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Liban, 50 ans après : comment le pays se souvient (ou oublie) sa guerre civile

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En avril 2025, le Liban commémore discrètement le cinquantième anniversaire du début de sa guerre civile. Aucune cérémonie officielle d’envergure n’a été organisée par l’État, reflet d’un climat politique délétère et d’une élite dirigeante embourbée dans ses propres crises. Selon les informations de la Banque mondiale et les médias locaux, les priorités gouvernementales sont aujourd’hui absorbées par la gestion de l’effondrement économique et par les négociations continues avec le FMI.

Dans les rues de Beyrouth, Tripoli et Saïda, quelques rassemblements spontanés ont eu lieu, portés par des organisations de la société civile. Des veillées ont été organisées devant d’anciennes lignes de front comme celles du quartier de Basta à Beyrouth ou encore au musée national, symbole de la division entre l’est et l’ouest de la capitale pendant le conflit.

Les témoignages de survivants, recueillis par des ONG telles que « Act for the Disappeared », ont été projetés dans des espaces culturels indépendants. Ces récits poignants ont rappelé la brutalité des combats, les déplacements de populations et les souffrances des civils pris entre les feux des milices.

Cependant, l’absence d’un discours officiel unificateur est criante. Le président Joseph Aoun n’a pas prononcé d’allocution spécifique pour l’occasion. Le Premier ministre Nawaf Salam, quant à lui, a évoqué dans un communiqué l’importance « de tourner la page tout en tirant les leçons du passé », une formule qui a été critiquée par plusieurs associations pour son manque de substance.

La société civile s’est donc retrouvée en première ligne pour entretenir la mémoire de la guerre civile. Des expositions de photographies et des projections de documentaires ont été organisées à l’initiative de collectifs comme « Memory at Work » et « UMAM Documentation & Research ». Ces événements ont permis de rappeler aux jeunes générations les réalités du conflit, souvent absentes des récits officiels.

Dans ce contexte de crise prolongée, la mémoire de la guerre civile reste confinée à des cercles militants et universitaires. L’absence d’initiative étatique renforce la fragmentation de la mémoire collective, chaque communauté continuant de commémorer ses propres martyrs, souvent en opposition aux autres récits.

Une mémoire encore fragmentée

La guerre civile libanaise demeure, cinquante ans après son déclenchement, un sujet profondément fracturé dans la société libanaise. La mémoire du conflit varie radicalement d’une communauté à l’autre, nourrie par des récits antagonistes et des commémorations communautaires parallèles.

Selon une enquête menée par l’Université américaine de Beyrouth en mars 2025, près de 72 % des Libanais estiment que la mémoire de la guerre civile reste « confessionnalisée », avec des visions divergentes qui empêchent l’émergence d’un récit national unificateur. Les chiites rappellent les épisodes de résistance et de survie face aux milices adverses. Les sunnites mettent en avant les périodes de siège et de marginalisation, tandis que les chrétiens, notamment maronites, insistent sur la défense de leurs bastions pendant la guerre.

Chaque année, les commémorations organisées par les différentes factions historiques perpétuent cette fragmentation. Les Forces libanaises célèbrent leurs « martyrs » dans des messes spéciales, tandis que le Hezbollah honore les combattants tombés lors des affrontements contre les milices chrétiennes et israéliennes.

Cette mémoire divisée est également entretenue par l’absence de véritable travail de documentation unifié. Les archives publiques sont incomplètes, et certaines parties du conflit restent volontairement occultées. De nombreux dossiers sensibles, tels que les massacres de Damour ou de Sabra et Chatila, demeurent absents des programmes scolaires et des manuels d’histoire.

La mémoire communautaire est parfois instrumentalisée par les partis politiques actuels, qui ravivent les souvenirs de la guerre pour renforcer leur base électorale. Les tensions communautaires, exacerbées par la crise économique, trouvent un terreau fertile dans ces récits partisans du passé.

Face à cette fragmentation, des initiatives citoyennes tentent de construire une mémoire partagée. Le projet « Fushat Amal » (« Espace d’Espoir »), lancé par une coalition d’ONG en 2024, organise des ateliers de dialogue intercommunautaire autour de la mémoire du conflit. Ces espaces de parole permettent aux survivants de toutes confessions de partager leurs expériences, dans l’objectif de dépasser les clivages identitaires.

Cependant, ces efforts restent marginaux face à la prédominance des récits divisés. En l’absence de volonté politique forte, la mémoire de la guerre civile continue de refléter les fractures profondes de la société libanaise contemporaine.

L’enseignement de la guerre : un tabou persistant

L’absence d’un récit commun sur la guerre civile se reflète de manière frappante dans le système éducatif libanais. À ce jour, les manuels scolaires d’histoire s’arrêtent officiellement à l’indépendance du Liban en 1943, évitant sciemment d’aborder les événements de 1975 à 1990. Cette omission est l’une des plus vives critiques formulées par les enseignants et les historiens du pays.

Selon un rapport publié en mars 2025 par l’UNESCO, 87 % des enseignants interrogés estiment que l’absence d’enseignement sur la guerre civile empêche les jeunes générations de comprendre les origines des divisions actuelles. En l’absence de contenu officiel, l’histoire de la guerre est souvent transmise de manière informelle, à travers les récits familiaux ou communautaires, eux-mêmes marqués par des biais et des omissions.

Cette situation est le résultat d’un blocage politique persistant. Depuis les années 1990, plusieurs tentatives d’introduction d’un manuel d’histoire unifié ont échoué, en raison des désaccords entre les différents groupes politiques sur l’interprétation des faits historiques. Les commissions chargées de rédiger ces manuels se sont régulièrement heurtées à l’impossibilité de s’entendre sur des événements tels que le déclenchement du conflit, les responsabilités des milices, ou encore les massacres intercommunautaires.

Le ministère de l’Éducation nationale a relancé, en janvier 2025, un projet de réforme des programmes scolaires avec le soutien de l’Union européenne. Ce projet ambitieux vise à intégrer une approche plus inclusive de l’histoire nationale, mais les discussions au sein des groupes de travail montrent que les lignes de fracture demeurent extrêmement vives.

Des enseignants engagés tentent de contourner ces blocages par des initiatives locales. Des ateliers d’histoire orale, comme ceux organisés par l’association « Lebanese Association for History », offrent aux élèves la possibilité d’écouter des témoignages de survivants de toutes confessions. Ces sessions permettent aux jeunes d’appréhender la complexité du conflit et d’éviter les récits univoques.

Par ailleurs, les universités libanaises jouent un rôle crucial dans la transmission de la mémoire critique. L’Université Saint-Joseph de Beyrouth et l’Université américaine de Beyrouth proposent des cursus spécifiques sur les conflits libanais, analysant les causes profondes et les conséquences durables de la guerre civile. Ces enseignements rencontrent un succès croissant auprès des étudiants, témoignant d’un besoin profond de compréhension historique.

Cependant, ces initiatives restent isolées et peinent à compenser l’absence d’une politique nationale d’éducation à la mémoire. La persistance de ce tabou éducatif contribue à la reproduction des fractures générationnelles, et prive le pays d’un outil fondamental de réconciliation.

Les voix de la société civile pour une mémoire partagée

Face à l’absence de leadership politique sur la question mémorielle, la société civile libanaise s’est mobilisée pour pallier le vide institutionnel. Depuis plusieurs années, des organisations locales et internationales œuvrent pour préserver la mémoire de la guerre civile et promouvoir un dialogue national sur le passé.

L’association « Act for the Disappeared », créée en 2011, travaille à identifier les personnes disparues pendant le conflit, dont le nombre est estimé à 17 000, selon les chiffres officiels de la Croix-Rouge libanaise. Grâce à la collecte de témoignages, à la cartographie des fosses communes et à l’exhumation de plusieurs sites, l’organisation espère offrir aux familles des réponses attendues depuis des décennies.

En parallèle, des initiatives culturelles ont émergé pour questionner la mémoire collective. L’exposition « Memory of War », présentée en avril 2025 à Beyrouth, rassemble des œuvres d’artistes libanais contemporains abordant les cicatrices laissées par la guerre civile. Peintures, photographies et installations vidéo y interrogent les mécanismes de l’oubli, de la transmission et de la résilience.

Le théâtre et le cinéma s’emparent également du sujet. La pièce « Fragments de mémoire », jouée dans plusieurs villes du pays en mars 2025, met en scène des récits de survivants de toutes confessions, offrant une pluralité de points de vue souvent absente des discours officiels. Les films documentaires, tels que ceux de la réalisatrice libanaise Carol Mansour, contribuent à porter ces histoires au-delà des frontières communautaires.

Les médias indépendants jouent également un rôle fondamental dans ce travail de mémoire. Des plateformes comme « Megaphone News » ou « The Public Source » publient régulièrement des enquêtes et des reportages sur les séquelles de la guerre civile, donnant la parole aux survivants, aux historiens et aux chercheurs.

Enfin, certains jeunes militants explorent des formes de mémoire numérique. Des projets de cartographie interactive des événements de la guerre, accessibles en ligne, permettent de visualiser les lieux des combats, des massacres ou des déplacements de populations, contribuant à inscrire la mémoire dans le quotidien des Libanais.

Ces initiatives citoyennes, bien que fragmentées, démontrent la vitalité de la société civile libanaise et sa détermination à ne pas laisser sombrer dans l’oubli les leçons de la guerre civile. Elles témoignent aussi d’un besoin collectif de surmonter les récits partisans et de construire une mémoire commune qui soit un socle pour la réconciliation nationale.

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Newsdesk Libnanews
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