Le système éducatif public libanais, jadis un modèle dans la région, s’effondre sous le poids d’une crise financière qui laisse les enseignants contractuels sans salaires depuis plus de sept mois. « Les enseignants contractuels, qui représentent une grande partie du personnel éducatif, dénoncent le retard de paiement de leurs salaires depuis plus de sept mois. Certains ont cessé d’enseigner, mettant en péril l’avenir de milliers d’élèves. Les écoles publiques sont à bout de souffle et fonctionnent avec un personnel réduit, ce qui compromet la qualité de l’enseignement », rapporte un quotidien local. Cette situation, aggravée par l’incapacité de l’État à mobiliser des fonds, entraîne des grèves à répétition, des fermetures d’écoles temporaires et une menace croissante sur l’éducation d’une génération entière, creusant encore davantage les inégalités sociales dans un pays en pleine tourmente.
Une grève symptomatique d’un système en faillite
Les enseignants contractuels, qui forment l’épine dorsale des écoles publiques, ont multiplié les arrêts de travail pour protester contre des mois d’arriérés de salaires. Ces éducateurs, souvent employés à l’heure ou sur des contrats précaires, n’ont pas reçu de rémunération depuis juillet 2024, soit plus de sept mois à ce jour. Beaucoup ont déserté leurs salles de classe, incapables de subvenir à leurs besoins dans un pays où la livre libanaise a perdu plus de 98 % de sa valeur depuis 2019 et où l’inflation a culminé à 200 % en 2023, selon les statistiques officielles. Les écoles publiques, déjà sous-financées depuis des années, fonctionnent désormais avec un personnel squelettique, parfois réduit à un ou deux enseignants par établissement pour des centaines d’élèves.
Cette crise est le reflet direct de la déroute financière du gouvernement libanais. En défaut de paiement sur sa dette publique depuis mars 2020, avec un passif dépassant les 100 milliards de dollars, l’État peine à assurer les services de base. Les salaires des fonctionnaires, y compris ceux des enseignants, sont versés sporadiquement, parfois avec des retards de six à neuf mois. Pour les contractuels, la situation est encore pire : dépourvus des garanties des employés permanents, ils dépendent de budgets annuels qui ne sont plus adoptés ni financés dans un contexte de paralysie politique. Résultat : des milliers d’élèves se retrouvent sans professeurs, et les établissements publics ferment temporairement leurs portes, parfois pendant des semaines.
Une menace pour l’avenir des élèves
L’impact de ces grèves et abandons dépasse largement les salles de classe. Avec un personnel réduit, la qualité de l’enseignement s’effrite, privant les élèves d’un apprentissage structuré. Dans un pays où plus de 300 000 enfants étaient inscrits dans le système public en 2022, selon des estimations internationales, le risque de décrochage scolaire s’amplifie. Le taux d’abandon, déjà en hausse depuis la crise économique de 2019, pourrait atteindre des niveaux critiques, surtout dans les zones rurales et défavorisées où les écoles publiques sont souvent l’unique option. « L’avenir de milliers d’élèves est en péril », souligne le constat alarmant, tandis que les parents, eux-mêmes étranglés par la pauvreté – 80 % de la population vit sous ce seuil, selon l’ONU – n’ont ni les moyens ni les ressources pour compenser cette défaillance.
Cette crise creuse un fossé béant entre les élèves des écoles publiques et ceux des établissements privés, qui, bien que touchés par la dévaluation, continuent d’attirer les familles aisées capables de payer des frais en dollars. Alors que les écoles privées maintiennent un semblant de stabilité grâce à des financements extérieurs ou des contributions parentales, le secteur public, historiquement un égalisateur social au Liban, s’effondre. Cette fracture éducative menace de perpétuer les inégalités dans un pays où le chômage des jeunes dépasse 40 %, d’après l’Organisation internationale du travail en 2023, et où l’émigration massive – plus de 400 000 départs depuis 2019 – prive déjà le Liban de ses talents futurs.
Les racines profondes d’une crise systémique
La crise actuelle n’est pas un phénomène isolé, mais le prolongement d’années de sous-investissement et de mauvaise gestion dans l’éducation publique. Avant 2019, le budget alloué à ce secteur oscillait autour de 7 % du PIB, un chiffre déjà insuffisant comparé aux standards régionaux. Depuis l’effondrement économique, ce financement s’est réduit à une peau de chagrin, les priorités de l’État se concentrant sur la dette et la survie immédiate. Les enseignants contractuels, qui représentent environ 60 % du personnel éducatif selon des estimations syndicales de 2023, ont été les premiers sacrifiés. Payés à l’heure ou par semestre, leurs salaires, autrefois modestes mais réguliers, sont désormais gelés ou versés en livres libanaises dévaluées, équivalant à quelques dizaines de dollars par mois au taux du marché noir.
L’élection de Joseph Aoun à la présidence le 9 janvier 2025, après plus de deux ans de vacance institutionnelle, avait suscité un espoir de redressement. Soutenu par Washington et Riyad, cet ancien chef de l’armée a vu les États-Unis débloquer 95 millions de dollars pour renforcer l’armée libanaise, mais aucun plan concret n’a encore émergé pour sauver l’éducation. Le gouvernement intérimaire de Najib Mikati, en place depuis 2021, reste paralysé par l’absence de budget adopté et les querelles politiques. Les fonds internationaux, bien que promis lors de conférences comme celle de Paris en 2020, tardent à se concrétiser pour le secteur éducatif, laissant les enseignants dans une impasse.
Sans intervention rapide, les conséquences pourraient être irréversibles. Les grèves, bien qu’essentielles pour faire entendre la voix des enseignants, aggravent la discontinuité scolaire, rendant improbable le respect des programmes officiels. Les élèves perdent des mois d’apprentissage dans des matières fondamentales comme les mathématiques et les langues, essentielles pour leur avenir professionnel. Dans un pays où l’éducation était un ascenseur social, notamment pour les générations d’après-guerre civile (1975-1990), cette crise risque de produire une jeunesse désœuvrée, vulnérable à la précarité et à l’extrémisme.