LIBAN-SYRIE: La poudrière des réfugiés

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 Le Liban accueille au moins 41 494 réfugiés syriens
 Ces chiffres sont fortement contestés
 Des craintes sont exprimées quant à une déstabilisation de la situation politique
 Les préoccupations politiques entravent les efforts d’aide

BEYROUTH, 5 septembre 2012 (IRIN) – Les progrès réalisés en matière d’accroissement et d’amélioration de l’aide pour répondre à l’afflux régulier de réfugiés syriens au Liban sont entravés par l’indécision qui règne au sein du gouvernement : certains craignent en effet de voir les violences qui secouent la Syrie déstabiliser la situation politique fragile du pays.

Les affrontements religieux qui se sont produits au cours de ces dernières semaines dans la ville de Tripoli, située dans le nord du pays, ont fait 15 victimes et 120 blessés. Les représentants politiques de tous bords ont appelé au calme, mais bon nombre de personnes pensent que les réfugiés constituent une menace pour la sécurité.

Le général Ibrahim Bachir, secrétaire général du Haut comité de secours (HCS) libanais, une agence d’aide humanitaire rattachée au bureau du Premier ministre (initialement établie pour coordonner la reconstruction d’après-guerre en 2006), a indiqué que sa priorité était « d’assurer la sécurité de ce pays ».

Les tensions sont fortes au Liban : Michel Samaha, un ancien ministre de l’Information qui entretient des relations étroites avec Damas, a été arrêté le 9 août pour avoir planifié des attentats à la bombe dans le Nord, visant notamment le patriarche de l’Église maronite.

Cependant, les principaux partis politiques semblent avoir un intérêt à maintenir la stabilité du pays. Certains experts font même preuve d’un optimisme prudent. Rami Khoury, qui travaille à l’université américaine de Beyrouth, a dit à IRIN : « Nous avons déjà subi les principales retombées du conflit syrien, je ne pense pas qu’il y en aura davantage. Nous avons été témoins des effets du conflit, comme les fusillades et les enlèvements, et la situation va perdurer, mais je ne pense pas qu’elle va se dégrader ».

La Syrie, qui a retiré ses troupes du Liban en 2005, a longtemps considéré le Liban comme un État-client ; bon nombre de factions politiques libanaises sont cataloguées pro ou anti-gouvernement syrien. L’Alliance du 8 mars réunit des forces pro-syriennes, comme le Hezbollah et le parti Amal, des mouvements chiites, et le Courant patriotique libre, le mouvement chrétien de Michel Aoun. L’Alliance du 14 mars rassemble quant à elle le parti du Futur, un mouvement sunnite, des chrétiens maronites et des indépendants, et constitue le front anti-syrien.

Le gouvernement doit trouver le juste équilibre lorsqu’il vient en aide aux réfugiés. « Nous préférons régler la question en douceur, tranquillement, et éviter tout problème qui pourrait entraîner [une] nouvelle guerre civile au Liban », a dit M. Bachir.

Il serait préjudiciable de distribuer des cartes d’immatriculation officielles aux réfugiés ou d’établir des camps, a dit M. Bachir à IRIN.

Les travailleurs humanitaires qui, sous couvert d’anonymat, se sont entretenus avec les journalistes d’IRIN ont indiqué que les régions du nord du pays, où les réfugiés syriens se sont installés, sont bombardées par l’armée syrienne (en représailles aux tirs des rebelles le soir). Pour pénétrer dans ces zones, les agences d’aide humanitaire ont besoin d’une autorisation délivrée par les Forces armées libanaises : cela laisse penser que le gouvernement a pour priorité d’empêcher toute invasion de la région par le Liban et toute fourniture d’armes aux réfugiés, et non pas d’assurer leur sécurité.

Le Liban n’est pas partie à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés : il n’a donc aucune obligation de reconnaitre les réfugiés, qualifiés de simples « visiteurs » par le gouvernement. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) confirme toutefois que le gouvernement offre une aide d’urgence et que la frontière reste ouverte aux réfugiés syriens.

Syndrome palestinien

Le Liban, qui n’est pas étranger à la question des réfugiés, accueille déjà 455 000 Palestiniens installés dans 12 camps. L’arrivée de groupes armés palestiniens dans les années 1970 a changé l’équilibre des pouvoirs entre les groupes religieux et a provoqué une course aux armes entre les différentes milices ; celle-ci s’est soldée par une guerre civile sanglante (de 1975 à 1990) qui a fait au moins 150 000 victimes. Aujourd’hui encore, les Palestiniens réfugiés au Liban sont privés de plusieurs droits fondamentaux, et les camps de réfugiés sont devenus des bidonvilles. Les réfugiés dépendent des services de base fournis par l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). Les affrontements entre les groupes extrémistes installés dans les camps et les forces libanaises sont fréquents.

« Le gouvernement a peur que la situation se répète avec les Syriens et qu’elle perdure, que les réfugiés ne repartent pas », a dit à IRIN Simon Faddoul, président de Caritas Liban.

Bon nombre de personnes craignent que les camps de réfugiés palestiniens ne servent de bases arrières aux rebelles syriens.

L’établissement de camps de réfugiés officiels pourrait mettre le gouvernement libanais en porte-à-faux avec le régime syrien de Bachar el-Assad et le gouvernement du 8 mars n’est pas enclin à prendre ce genre de risque, pense M. Faddoul. Les interférences politiques entravent les efforts d’aide : avant juillet, le HCS n’a pas été autorisé à intervenir dans la vallée de la Bekaa où se trouvent bon nombre de réfugiés syriens.

Entretemps, les réfugiés ont commencé à construire des camps de fortune dans certaines zones, mais ces camps sont dépourvus d’installations sanitaires. Les travailleurs humanitaires d’une organisation non gouvernementale (ONG) internationale – ils ont préféré garder l’anonymat – ont dit à IRIN qu’une discussion portant sur une alternative aux camps – l’établissement de structures temporaires – se poursuit et que des décisions doivent prises alors que l’hiver approche.

Wadi Khaled et la vallée de la Bekaa, où la plupart des réfugiés se sont installés, comptent parmi les régions les plus froides du Liban. Cinquante-trois pour cent des réfugiés du Nord sont accueillis chez des parents libanais ou d’autres habitants, selon une étude récente du Programme des Nations pour le développement (PNUD). Mais dans la région de la Bekaa, à majorité chrétienne et chiite, les réfugiés (pour la plupart sunnites) comptent peu de proches. Certains d’entre eux ont les moyens de louer un appartement et des chambres d’hôtel, d’autres vivent dans des mosquées en ruines ou des écoles.

M. Faddoul de Caritas a dit à IRIN que le problème du logement pourrait s’aggraver si les réfugiés continuent à affluer. « Le nombre de réfugiés augmente très rapidement et il y a peu de place ».

Bataille de chiffres

Le bureau du HCR au Liban a enregistré 41 949 réfugiés syriens. L’agence a cependant indiqué à IRIN que ces chiffres n’étaient pas exacts : bon nombre de réfugiés sont venus dans le pays pour échapper aux affrontements les plus violents et sont repartis, et une grande partie des réfugiés enregistrés se sont installés dans le pays il y a plusieurs années en tant que travailleurs saisonniers. M. Faddoul conteste également les chiffres officiels, indiquant que beaucoup ne se sont peut-être pas enregistrés de crainte que leur nom ne soit transmis aux autorités syriennes.

« Tout le monde sait que nous accueillons bien plus de 150 000 réfugiés. Le Liban comptait déjà 300 000 travailleurs saisonniers syriens avant la guerre. Combien d’entre eux viennent de villes comme Homs, Alep et Damas, et combien ont déjà contacté leurs familles pour qu’elles viennent au Liban ? Des milliers d’autres réfugiés louent des chambres d’hôtel et des appartements. Ils ne sont pas enregistrés, car ils ont suffisamment d’argent pour vivre sans aide. Combien de milliers de personnes sont arrivées et vivent chez des proches ? Que cela nous plaise ou non, ces personnes doivent être comptées avec les réfugiés », a dit M. Faddoul.

Le HCS essaye de trouver de nouvelles sources de financement pour organiser ses opérations de secours d’urgence, car le gouvernement dispose de peu de fonds et les principaux bailleurs de fonds internationaux ne versent pas leur aide par le biais du HCS. Des discussions ont lieu pour savoir si, et comment, le ministre des Affaires sociales peut prendre en charge une partie des efforts d’urgence, mais les divisions au sein du gouvernement ont empêché une prise de décision claire jusqu’à présent, ont dit à IRIN les responsables de l’aide internationale, sous couvert d’anonymat.

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[Cet article ne reflète pas nécessairement les vues des Nations Unies]

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