Le Liban a franchi une étape clé dans sa tentative de modernisation institutionnelle avec la publication, cette semaine, de la nouvelle feuille de route de l’Office du Ministre d’État pour la Réforme Administrative (OMSAR). Ce plan stratégique vise à reconstruire les fondements de l’administration publique autour de trois piliers prioritaires : la réforme administrative, la transparence anticorruption et la transition numérique. Dans un pays où les institutions publiques sont marquées par l’inefficacité, les clientélismes politiques et le désengagement citoyen, cette stratégie représente une tentative de redonner cohérence, efficacité et légitimité à l’action publique.
Une administration minée par la fragmentation et la perte de compétence
En 2024, le Liban comptait environ 250 000 agents publics répartis dans une quarantaine d’organismes autonomes, ministères, offices et directions générales. Selon l’Institut de Finances Basil Fuleihan, plus de 30 % de ces effectifs sont concentrés à Beyrouth, tandis que 22 % sont affectés à des fonctions administratives non productives. Le poids de la masse salariale publique atteint 4,2 milliards USD, soit près de 25 % du budget de l’État.
L’OMSAR alerte sur l’effet délétère des nominations politiques et communautaires, qui a conduit à un effondrement des compétences internes. La nouvelle stratégie entend instaurer un système fondé sur le mérite avec des concours ouverts, des critères de performance objectifs, et une base de données centralisée des postes publics. Un nouveau cadre pour le recrutement des hauts fonctionnaires a déjà été approuvé début 2025, avec un premier appel à candidatures prévu pour septembre.
Tableau 1 : Répartition des employés publics au Liban (2024)
Secteur | Effectif estimé | Pourcentage |
---|---|---|
Éducation | 77 000 | 30.8 % |
Forces armées | 65 000 | 26.0 % |
Santé | 29 000 | 11.6 % |
Administrations | 55 000 | 22.0 % |
Autres | 24 000 | 9.6 % |
Total | 250 000 | 100 % |
Lutte anticorruption : la condition indispensable à tout financement international
Le deuxième pilier de la stratégie repose sur l’activation de la Stratégie nationale de lutte contre la corruption (NAS). L’OMSAR a annoncé la publication du troisième rapport de suivi en juin, ainsi que le lancement d’un examen par les pairs dans le cadre de la Convention de l’ONU contre la corruption (UNCAC). Une réforme de l’Inspection centrale est à l’étude, avec pour objectif de doter l’institution de pouvoirs d’enquête renforcés, indépendants du pouvoir exécutif.
Par ailleurs, des groupes de travail transversaux ont été créés pour analyser les risques sectoriels (santé, éducation, urbanisme) et proposer des mécanismes de contrôle adaptés. L’objectif affiché est double : rendre compte aux citoyens et répondre aux conditions de la communauté internationale, notamment en vue d’un accord avec le FMI.
Digitalisation : priorité à l’accessibilité citoyenne et à la sécurité des données
Le troisième pilier s’appuie sur un programme accéléré de numérisation des services publics. L’OMSAR prévoit de généraliser l’authentification numérique, d’automatiser les procédures d’état civil, de créer des guichets électroniques multiservices et de développer un cadastre foncier digital.
Un projet pilote d’open data est en cours dans 6 ministères pilotes (Travail, Finances, Intérieur, Énergie, Justice, Éducation). Il vise à publier de manière standardisée les budgets, marchés publics, nominations et performances des services. Le financement de cette transformation numérique provient d’un fonds de 28 millions USD alimenté par l’Union européenne, la Banque mondiale et l’AFD.
Tableau 2 : Répartition du budget OMSAR 2025 par pilier stratégique
Pilier | Budget (USD) | % du total |
Réforme administrative | 8 000 000 | 28.6 % |
Anticorruption et NAS | 6 000 000 | 21.4 % |
Digitalisation et e-gouvernement | 14 000 000 | 50.0 % |
Total | 28 000 000 | 100 % |
Enjeux institutionnels et législatifs à court terme
La réussite de cette feuille de route reste conditionnée à l’adoption de plusieurs lois structurelles par le Parlement, dont celle sur la fonction publique, le statut des agences autonomes, et la protection des données. Au 1er mai 2025, aucun de ces textes n’a encore été inscrit à l’ordre du jour. En outre, plusieurs syndicats du secteur public ont exprimé leur scepticisme quant à l’application de ces réformes dans un contexte de salaires gelés et de pression budgétaire.
Le ministère des Finances prévoit une enveloppe complémentaire de 12 millions USD en 2026, si les indicateurs de performance montrent des résultats tangibles sur la réduction des délais administratifs, l’augmentation de la satisfaction usagers et la baisse du taux de contentieux.
OMSAR : structure de pilotage technique
L’OMSAR, fondée en 1993 et financée en grande partie par des contributions internationales, est chargée de coordonner les réformes administratives et numériques de l’État. En 2025, elle regroupe 74 agents et 35 consultants permanents, avec un portefeuille de 80 projets actifs. Son rôle de coordination entre ministères, partenaires techniques et financiers s’est renforcé, notamment à travers les instruments d’évaluation communs mis en place avec la Banque mondiale et la Commission européenne.