Mission « archéocalyptique » à Beyrouth ou le retour de Hans Curvers au Liban ?

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Depuis des décennies, le patrimoine culturel du Liban est victime d’un incroyable mémoricide. Avec une Histoire qu’on ne réussit pas à transcrire dans un manuel destiné aux jeunes générations, avec plus de 250 sites archéologiques rasés dans la capitale libanaise et plusieurs centaines de maisons traditionnelles démolies en contournant et violant la Loi, et après une douloureuse hémorragie de cerveaux à l’étranger accompagnée d’une volonté claire d’abêtir la population en offrant la lie de produits de consommation tout sauf culturels, le Liban se meurt.

Comment parvenir à exprimer cette rage indicible qui ronge nos boyaux en apprenant l’anéantissement quasi-total des monuments marqueurs de l’Histoire de notre capitale par des mercenaires étrangers et locaux à la solde des capitaines de l’économie libanaise ?  Comment ne pas s’indigner en sachant que ces mêmes mercenaires ô combien lynchés notamment par le CPL parce qu’ils travaillaient par le passé avec Solidere, se trouvent actuellement en train de collaborer étroitement avec ses représentants au sein du ministère de la Culture ?

Ceux qui s’attendaient à une Réforme et à un Changement qui s’incarneraient dans la personne du ministre actuel de la Culture se trouvent aujourd’hui fortement déçus, non seulement après le fameux épisode de « destruction puis déclassement » d’un site archéologique, mais encore et surtout en apprenant que Hans Curvers, l’archéologue attitré de Solidere, a été de nouveau chaleureusement accueilli par des archéologues de la DGA afin de faire revivre « le bon vieux temps » en lui confiant de nouvelles missions archéologiques.

M. Curvers qui s’était rendu en Afghanistan depuis que son contrat avait été bel et bien achevé avec l’État libanais en 2010, se retrouve actuellement sur le sol de celle qui fut jadis la Mère des Lois, ce sol qu’il a tellement bien profané en effaçant son Histoire(1). Des messages anonymes qui nous sont parvenus ont fait état qu’il semblerait que Curvers travaille actuellement à la tête d’une équipe dans un des biens-fonds qui fait partie du complexe sportif romain de Wadi Abou Jmil au centre-ville de Beyrouth. Quelques curieux se sont informés, et le résultat s’avère être le suivant ; le célébrissime responsable des fouilles de la capitale semble avoir chargé M. Curvers de diriger quelques fouilles à Beyrouth ???

Le comble des combles. Ce quidam qui lançait à tout bout de champs « Je m’en fous, je ne suis pas Libanais », qui estimait que tous les sites archéologiques découverts au centre-ville sont d’insignifiantes carrières, et que rien ne mérite d’être sauvegardé in situ, est de retour. Tapis rouge, mesdames et messieurs, pour l’inauguration de la prochaine hécatombe archéologique.

Après l’installation portuaire phénicienne de Minet el-Hosn dont la société Venus Real Estate avait confié une première expertise aux bons soins de M. Curvers (2) dont le rapport a été pris en compte par le comité du ministre, c’est à ce qui reste du complexe sportif romain de Wadi Abou Jmil que ce dernier semble s’intéresser récemment. Il avait en février 2008 indiqué, dans une interview accordée à la LBC(3), que les éléments constituant l’Hippodrome de Wadi Abou Jmil sur la parcelle 1370 Minet el Hosn ne doivent pas spécialement rester sur place, alors qu’un autre archéologue avait affirmé dans ce même reportage que tous les éléments sur ce site sont disponibles et il est fort possible de reconstituer cet hippodrome sur place. Aujourd’hui, l’opinion publique est bien consciente que, sous le prétexte de démantèlement et de réintégration, ces mêmes personnes, dont l’actuel ministre de la Culture, font tout leur possible pour permettre l’édification d’un projet privé aux dépends des vestiges (4), en foulant au pied d’une part la décision n°63 de l’ancien ministre de la Culture M. Tamam Salam classant le 1370 et les décisions du Conseil d’Etat en 2012 empêchant provisoirement la suite des travaux(5), et d’autre part les victoires citoyennes défendant les intérêts publics (6). Qu’adviendra-t-il alors de ce qui reste des vestiges du complexe sportif romain ? Assisterions-nous au même débit de mystifications ?

Qu’en est-il du comité scientifique formé par le ministre de la Culture face à la reprise des tribulations de l’expert hollandais à Beyrouth ? Dr. Albert Naccache, historien et épigraphe qui fait partie de ce comité, avait multiplié les cris de détresses à une équipe norvégienne dans les années 1990, accusant Curvers « d’inhumanité » et de responsable de la « destruction systématique du site de Beyrouth » (7). Comment peut-il, après ce qu’il a vu de ses propres yeux en matière de fraude, de destruction, et de vandalisme, accepter de signer un rapport qui se base sur l’expertise du responsable de ce carnage ?

Les retournements de vestes, ô combien fréquents en politique, semblent de nos jours tout aussi récurrents en matière d’héritage culturel et historique. Nos confrères libanais ont l’air de n’avoir toujours rien compris, rien appris … Les adversaires politiques d’hier peuvent devenir très facilement les alliés de demain, non pour la cause suprême qui est la défense de ce pays, de son peuple et de ses richesses, mais pour les intérêts pécuniaires privés.

La sauvegarde du Patrimoine, de l’Identité et de l’Histoire du Liban transcende cependant toutes les équations politiques. C’est une Culture à part entière, où les principes sont immuables, et comme l’avait si bien dit Dr. Naji Karam, ardent et assidu défenseur du patrimoine archéologique depuis le début des années 1990, « la Culture est le domaine des grands » (7) … et de nos jours, que de pseudo-grands, complices lors du massacre archéologique de Beyrouth de l’après-guerre, semblent vouloir réécrire notre Histoire, conformément à des marchés conclus étriqués …

Il ne nous reste plus qu’à méditer les paroles d’un des grands de ce pays comme on n’en fait plus « Malheur à la nation qui acclame son tyran comme un héros, et qui estime bienfaisant son conquérant de pacotille. (…) Malheur à la nation dont le politicien est mi-renard et mi-pie, le philosophe un jongleur de mots, et l’artiste un maître en rafistolage et en contrefaçon. » (Gibran Khalil Gibran).

Libnanews

Références :

(1)    Article paru dans Al-Akhbar, le 4 juillet 2012 « موقع «فينوس»ممنوع على القضاء ».

(2)    Article paru sur Tayyar.org, le 2 juillet 2012 « Port phénicien de Minet el Hosn: Vérité ou intox? ».
Voir également à ce sujet un article paru sur Libnanews le 3 juillet 2012 du Dr. Naji Karam « L’installation portuaire phénicienne et le rapport de la honte ».

(3)    Vidéo d’un reportage diffusé le 23 février 2008 concernant les fouilles archéologiques de Wadi Abou Jamil

(4)    Article paru sur Libnanews, le 13 mars 2012 « Mutilation de l’hippodrome romain de Beyrouth ou le désastre du démantèlement des sites archéologiques au Liban »

(5)    Article paru sur Libnanews, le 31 mai 2012 « Après le Port Phénicien, l’Hippodrome Romain menacé de destruction ».  Voir également le comparatif des reportages des différents journaux télévisés rapportant les faits en cliquant ici.

(6)    Article paru sur Libnanews, le 31 mai 2012 « Hippodrome Romain de Beyrouth: La Justice suspend la décision de démantèlement suite au recours de l’APPL »

(7)    « Curvers is in a category by himself.  He knows what urban archaeology is about (recording all the strata that are threatened by an urban project), and yet he gives the legitimacy of his position as a ‘European Urban Archaeology Expert’ to the systematic destruction of the site of Beirut. His callousness is such that some of the people who work with him are trying to call the world’s attention to his activities». Citation du Dr. Naccache tirée d’un courriel entre lui et M. Borre Gustavsen, lue sur le site Al-Mashriq.

(8)    Article paru sur Libnanews, le 16 juillet 2012 « Dr. Naji Karam : « J’accuse le ministre de la Culture ».

Voir la catégorie Patrimoine sur Libnanews pour d’avantage d’infos sur les dossiers archéologiques.

Marie Josée Rizkallah
Marie-Josée Rizkallah est une artiste libanaise originaire de Deir-el-Qamar. Versée dans le domaine de l’écriture depuis l’enfance, elle est l’auteur de trois recueils de poèmes et possède des écrits dans plusieurs ouvrages collectifs ainsi que dans la presse nationale et internationale. Écrivain bénévole sur le média citoyen Libnanews depuis 2006, dont elle est également cofondatrice, profondément engagée dans la sauvegarde du patrimoine libanais et dans la promotion de l'identité et de l’héritage culturel du Liban, elle a fondé l'association I.C.H.T.A.R. (Identité.Culture.Histoire.Traditions.Arts.Racines) pour le Patrimoine Libanais dont elle est actuellement présidente. Elle défend également des causes nationales qui lui touchent au cœur, loin des équations politiques étriquées. Marie-Josée est également artiste peintre et iconographe de profession, et donne des cours et des conférences sur l'Histoire et la Théologie de l'Icône ainsi que l'Expression artistique. Pour plus de détails, visitez son site: mariejoseerizkallah.com son blog: mjliban.wordpress.com et la page FB d'ICHTAR : https://www.facebook.com/I.C.H.T.A.R.lb/

3 COMMENTAIRES

  1. Excellent
    Article…. Je defie quiconque pourra prouver que le contenu de cet
    Article est faux. et toute personne qui a qc a dire, qu’il ait le
    courage de la faire en public, non pas comme De Chadarevian qui a poste
    sur ULCM France, une invitation pour venir dans son bureau afin qu’il
    donne les explications necessaires que tout ce qui a ete ecrit sont des
    Chimeres…

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