Les municipales au Liban et le siège d’Alep

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Deux grands titres d’actualité ces jours ci  au Liban : Les municipales au Liban et le siège d’Alep.
Avec les municipales, les Libanais redécouvrent après 6 ans d’absence, une vacance présidentielle de deux ans et un parlement auto prolongé à deux reprises, élu il y a 7 ans, l’exercice même limité de la vie démocratique.

Dans la plupart des villes, les familles, les partis communautaires (il n’y a pas de parti laïque au Liban même le parti communiste, en principe athée est devenu inopérationnel, compte tenu de la réalité sociologique et du système confessionnel) et bien sûr, la société civile qui semble reprendre, de l’initiative car le travail municipal sollicite son implication et correspond à ses objectifs.

Les élections municipales (qui sont également politiques car toutes les élections sont par définition politiques) sont en principe, de par leur nature des élections locales et non nationales pouvant dépasser, le clivage idéologique (communautaire au Liban) et partisan. Toutefois la réalité politique libanaise, surinvestit par défaut les élections locales, tant qu’il n’y a pas une mainmise politique d’un seul et unique parti (ou tandem de partis) sur sa propre communauté.

A part la communauté chiite quasi verrouillée (qui poursuit une alliance inconditionnelle voire sacrée au sommet et bénéficie, d’un quasi-diktat communautaire, grâce au caractère religieux de son chef et sa disposition, d’une formation paramilitaire), chez toutes les autres communautés, il y a plusieurs listes et plusieurs options locales, qui reflètent dans leur ensemble, la diversité de la société libanaise. Même le tandem majoritaire chrétien forces libanaises-mouvement du changement, le mouvement du futur majoritaire sunnite et le parti progressiste socialiste majoritaire druze n’ont pas pu, mobiliser à cent pour cent, laissant une marge de manœuvre sinon de débat, à la participation active citoyenne, qui commence depuis la crise des déchets à faire entendre ,de manière autonome et structurelle sa voix.

D’une certaine manière, les élections municipales réactivent la vie politique libanaise et fournissent, un espace organisé d’expression aux citoyens, même si le Liban continue à osciller, entre un système patriarcal communautaire et familial et une société civile qui rêve de citoyenneté et de démocratie. D’ailleurs la plupart des partis communautaires eux-mêmes, ont saisi l’urgence de concéder un espace de liberté et d’expression aux citoyens (participation des femmes, de jeunes cadres dynamiques issus des professions libérales….).
Ainsi, les élections municipales fournissent aux Libanais étranglés, une occasion de se recentrer sur leurs soucis quotidiens et leurs communes et d’essayer de les auto- gérer. Au niveau de la localité (villages, villes), il peut s’établir plus facilement, une situation de proximité qu’il faudrait maintenir et observer.

Toutefois, ces élections ne peuvent pas se substituer, aux institutions démocratiques nationales (Présidence-Parlement).Un pays ne peut pas fonctionner éternellement, avec un gouvernement provisoire, qui expédie les affaires courantes. Il aurait fallu aux décideurs politiques communautaires, une décision courageuse, pour réactiver les institutions nationales au lieu de les bloquer.

Un pays a une constitution qu’on ne peut réformer et interpréter, au gré de ses envies et au regard, de certains intérêts fluctuants partisans. Le jeu démocratique a des règles, qui si elles sont remises en question détournent la finalité du jeu, entraînant l’anarchie, le putsch ou la guerre civile.

Pourquoi ce qui a pu réussir au niveau local ne pourrait pas se traduire au niveau national ? La démocratie suppose une majorité et une opposition, qui dialoguent entre elles pour assurer, un bon fonctionnement et éventuellement, une alternance pacifique du pouvoir.

Les Libanais plus que jamais sont confrontés à un choix primordial, de principe : soit ils se conforment à la démocratie, qui demeure à travers ses aménagements et malgré ses défauts, le moins pire des systèmes politiques, soit ils ont recours à la force, qui finira inéluctablement, par un coup d’état ou une nouvelle guerre civile. Quels que soient les résultats, les élections municipales ont accordé aux Libanais, un sursis démocratique et pacifique dans la vie politique.

Au même moment, une autre population civile, dans un pays tout proche est soumise, à un traitement inhumain. La guerre civile en Syrie a atteint des pics de monstruosité, devant l’impuissance et le silence coupable, complice ou complaisant, de la communauté internationale. Le drame Syrien (après le drame Irakien et Libyen) a atteint un degré de violence inadmissible. Comment peut on martyriser une population de la sorte, de la part d’un régime qui dure avec les mêmes personnes, depuis plus de 46 ans (Le père 30 ans et le fils 16 ans dont plus de 5 ans de tueries).Certes les pseudo- printemps arabes ont partout échoué et ont sombré, soit dans l’anarchie et la guerre civile (Irak, Libye, Yémen), soit un retour à la case départ, avec des régimes autoritaires (Algérie, Tunisie, Egypte).

Toutefois, quelles que soient les raisons politiques, accepter le massacre quasi organisé, de toute une population civile et son exode, par un dictateur, soutenu par un autre quasi-dictateur, est une honte pour l’Occident et l’Humanité.

Certes il y aura toujours, la question des minorités culturelles (notamment religieuses et ethnico-linguistiques) mais on ne peut pas décimer, un peuple et toute une population désarmée, assiégée, affamée, piégée par l’armée régulière de son propre pays, à la solde du régime. On en est déjà, à presqu’un demi million de morts et de disparus et plus de 12 millions de déplacés (8 millions à l’intérieur du pays et 4 millions échoués, dans des camps de fortune dans les pays voisins ou sur les berges des villes occidentales) sur une population de 23 millions d’habitants.

Certes les interventions malencontreuses de l’Occident ont abouti, à des résultats désastreux car les dictateurs arabes ont été, soit doublés, soit remplacés par la guerre civile mais en Syrie, c’est la guerre civile doublée par la même dictature, depuis presque 5 décennies. La dictature ne peut être, qu’une transition provisoire et limitée, pour remettre de l’ordre et échapper à la guerre civile mais ne peut constituer, un état permanent. Une dictature obligée, doit avoir pour but, de préparer à terme la démocratie et non de la confisquer, indéfiniment.

Les démocraties occidentales sont également en crise .Ce n’est pas un mystère, qu’outre Atlantique, devant le côté fuyant (lâche ou conciliateur) du président Obama, on ait recours pour éventuellement lui succéder, au caricatural et excessif Trump. De même de la montée des extrêmes (gauche et droite) en Europe, face à une gauche et une droite, en pleine débandade .D’un côté des décideurs apeurés, rêveurs, régressifs et de l’autre des décideurs provocateurs et agressifs .Dans les deux cas, il y a un cadre de rationalité qui nous échappe et qui est lié, aux identités et aux différences culturelles, qu’on ne parvient toujours pas à définir. Nous ne savons plus déterminer, ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas et nous passons des règles démocratiques rationnelles, à la loi sauvage de la survie de l’instinct et du plus fort.

En reprenant la vie démocratique vaille que vaille, les Libanais ont exprimé, leur désir de vie et de renouvellement positif même limité. Quelles que soient les déconvenues, il est de loin préférable, de vivre aujourd’hui dans la ville de Beyrouth réunifiée, décevante mais vivante (20% de participation), que dans la ville d’Alep divisée, assiégée et martyrisée.

Bahjat Rizk
Avocat à la cour, écrivain libanais, professeur universitaire, attaché culturel à la délégation du Liban auprès de l’UNESCO (depuis 1990) a représenté le Liban à de multiples conférences de l’UNESCO (décennie mondiale du développement culturel-patrimoine mondial

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