Une visite symbolique à Akkar
Lors d’une visite récente à la région d’Akkar, dans le nord du Liban, le Premier ministre Nawaf Salam a mis en avant un projet ambitieux : la réactivation de l’aéroport René Moawad, plus connu sous le nom d’aéroport de Qleiat. Arrivé par hélicoptère sur le tarmac de cet aéroport militaire sous-utilisé, Salam a annoncé qu’un accord avait été conclu avec la société Dar Al-Handasah pour réaliser une étude gratuite visant à évaluer les besoins pour son exploitation. Selon ses déclarations, un plan préliminaire sera présenté dans un délai de trois mois, marquant le coup d’envoi d’un processus destiné à transformer cet aéroport en un levier économique pour le nord du pays. Cette visite, accompagnée d’une délégation ministérielle, a été largement perçue comme un geste symbolique fort, visant à réaffirmer l’engagement de son gouvernement envers une région historiquement marginalisée.
Salam a promis de revenir à Akkar pour lancer officiellement ce plan, ainsi que d’autres projets de développement. Il a également souligné l’importance de la collaboration entre les secteurs public et privé pour stimuler les investissements, notamment dans le nord, en précisant avoir présidé, la veille, une réunion du Conseil supérieur de la privatisation pour le réactiver. Ces annonces s’inscrivent dans une volonté affichée de rompre avec des décennies de négligence envers Akkar, une région riche en potentiel agricole et touristique mais souvent oubliée par les politiques centralisées de Beyrouth.
Une vision économique pour le nord
Le ministre des Travaux publics et des Transports, Faiz Rassamni, a complété les propos de Salam en révélant qu’une délégation de Dar Al-Handasah avait déjà visité l’aéroport il y a quelque temps et soumis une évaluation initiale. Rassamni a mis en avant les avantages stratégiques de Qleiat : sa proximité avec le port de Tripoli, à seulement 25 kilomètres, pourrait en faire un hub pour le fret aérien, tandis que sa situation géographique – à 7 kilomètres de la frontière syrienne et 105 kilomètres de Beyrouth – offre une alternative viable à l’aéroport international Rafic Hariri, saturé et vulnérable aux perturbations politiques. Il a proposé plusieurs axes de développement : un aéroport de fret pour soutenir les exportations agricoles d’Akkar, une zone franche pour attirer les investisseurs, et même un centre de maintenance pour avions, profitant de l’espace disponible et de la faible densité urbaine autour du site.
Les députés d’Akkar, présents lors de la visite, ont salué cette initiative, la qualifiant de « preuve tangible » de l’engagement du gouvernement envers le développement équilibré promis dans le discours d’investiture et le programme ministériel. Ils ont insisté sur l’urgence d’activer l’aéroport, soulignant son potentiel pour créer des emplois, améliorer les infrastructures routières et augmenter les revenus nationaux. Pour eux, cette visite est « historique » et pose les bases d’un avenir économique plus prometteur pour le nord.
Un projet aux multiples promesses
L’aéroport de Qleiat, construit dans les années 1940 par les Alliés puis repris par l’armée libanaise en 1966, dispose d’atouts indéniables. Avec une piste de 3 kilomètres – l’une des plus longues du Moyen-Orient – et un radar moderne, il est techniquement apte à accueillir des vols commerciaux sans investissements massifs immédiats. Sa position dans la plaine fertile d’Akkar, à proximité de la Méditerranée, le protège des intempéries qui affectent parfois Beyrouth, tandis que son éloignement des zones de tension politique, comme celles sous influence du Hezbollah près de l’aéroport de la capitale, en fait une option stratégique. Les partisans du projet estiment qu’il pourrait désengorger l’aéroport Rafic Hariri, stimuler le tourisme dans le nord et faciliter les exportations agricoles vers les marchés arabes et européens.
Salam et Rassamni ont également évoqué une approche pragmatique : le recours au modèle BOT (Build-Operate-Transfer), qui permettrait au secteur privé de financer et gérer l’aéroport sans grever les finances publiques, déjà exsangues. Cette formule, combinée à l’étude gratuite de Dar Al-Handasah, une firme d’ingénierie de renommée internationale, donne au projet une apparence de sérieux et de faisabilité.
Une analyse critique : ambitions vs réalité
Cependant, derrière les annonces optimistes, plusieurs questions critiques émergent. Premièrement, le délai de trois mois pour un plan préliminaire semble ambitieux, voire irréaliste, compte tenu de la complexité logistique et financière d’un tel projet. Une étude complète – incluant l’évaluation des infrastructures existantes, les besoins en modernisation, et les projections économiques – nécessite généralement des mois, voire des années, surtout dans un pays où les processus administratifs sont notoirement lents. Dar Al-Handasah, bien que compétente, devra composer avec des données potentiellement obsolètes sur l’état de l’aéroport, inutilisé pour des vols commerciaux depuis des décennies.
Deuxièmement, le modèle BOT, bien qu’attrayant sur le papier, repose sur l’intérêt réel des investisseurs privés. Le Liban, avec une économie en ruines, une instabilité politique chronique et une dette publique écrasante, n’est pas une destination évidente pour des projets d’infrastructure risqués. Les promesses de zones franches ou de centres de maintenance sont séduisantes, mais sans garanties étatiques solides – difficiles à offrir dans le contexte actuel – les investisseurs pourraient hésiter. De plus, la proximité de la frontière syrienne, bien qu’un atout pour le fret, pourrait dissuader certains en raison des risques sécuritaires liés au conflit voisin.
Troisièmement, les déclarations de Salam sur la lutte contre la négligence d’Akkar et le contrôle des frontières sonnent comme des vœux pieux sans un plan concret. La région souffre d’un manque criant d’infrastructures – routes délabrées, électricité intermittente – qui doivent être résolus en parallèle pour que l’aéroport devienne viable. Le problème des réfugiés syriens, mentionné par Salam, ajoute une couche de complexité : comment financer ces améliorations alors que le gouvernement peine à gérer cette crise humanitaire ?
Enfin, l’histoire du Liban est jonchée de projets annoncés avec fanfare mais jamais concrétisés. L’aéroport deQleiat lui-même a été évoqué comme une priorité par plusieurs gouvernements depuis les années 2000, sansrésultat tangible. Le Conseil supérieur de la privatisation, que Salam veut réactiver, est resté inactif pendant desannées malgré des promesses similaires. Cette récurrence invite à une prudence légitime : les paroles de Salamet Rassamni, bien que porteuses d’espoir, doivent être jugées à l’aune de leur exécution.