mardi, mai 13, 2025

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Neutralisations préventives : une doctrine illégale ? Lecture juridique des frappes israéliennes à Saïda

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Le 7 mai 2025, deux membres présumés du Hamas sont tués par un drone israélien alors qu’ils circulaient à proximité du camp de Mieh Mieh, dans la région de Saïda. L’attaque, survenue en dehors de tout affrontement militaire direct, soulève une vague de réactions officielles et une série de questions juridiques. En invoquant la notion de « neutralisation préventive », l’armée israélienne relance le débat sur les limites du droit de légitime défense et sur la compatibilité de ces actions avec le droit international humanitaire.

Un ciblage hors contexte opérationnel

Les victimes n’étaient pas en tenue militaire, ni engagées dans une opération armée au moment de l’attaque. Elles circulaient à bord d’un véhicule civil, selon les éléments recueillis par les autorités locales. L’explosion a été déclenchée par un drone à quelques centaines de mètres de l’entrée du camp de Mieh Mieh, en pleine zone résidentielle.

Cette frappe est intervenue en dehors de la ligne bleue, dans une zone considérée comme neutre selon la cartographie de la FINUL. Aucune action hostile n’avait été signalée dans le secteur dans les heures précédentes. Les autorités libanaises affirment que l’attaque ne peut être justifiée par une menace imminente.

L’argument de la neutralisation préventive

Selon des relais diplomatiques, l’armée israélienne aurait fait valoir auprès d’intermédiaires que l’opération relevait d’une logique de « neutralisation préventive ». Il s’agirait, selon cette doctrine, d’éliminer des éléments considérés comme susceptibles de préparer des attaques futures, même en l’absence de preuve directe et immédiate.

Cette notion, marginale en droit international, repose sur une interprétation extensive du droit à la légitime défense. Elle postule qu’un État peut agir de manière anticipée s’il estime qu’un danger grave et certain est en formation. Mais cette lecture soulève des objections majeures.

Illégalité au regard des conventions de Genève

Le droit international humanitaire, notamment les conventions de Genève, n’autorise l’usage de la force armée que dans des conditions strictement encadrées. Une attaque ciblée ne peut être légale que si la cible est directement engagée dans un conflit armé, si la menace est réelle et immédiate, et si les principes de proportionnalité et de précaution sont respectés.

Dans le cas présent, aucune de ces conditions ne semble remplie. Les personnes visées ne participaient à aucune action hostile. L’opération a été menée dans un contexte civil, sans alerte préalable, et en violation de la souveraineté territoriale libanaise. Le fait que l’attaque se soit produite hors ligne bleue renforce son illégalité.

Violation de la résolution 1701

La résolution 1701 du Conseil de sécurité, adoptée en 2006, encadre le cessez-le-feu entre Israël et le Liban. Elle interdit toute action militaire unilatérale, appelle au respect de la ligne bleue, et prévoit des mécanismes de surveillance confiés à la FINUL.

La frappe de Saïda constitue une infraction à cette résolution. Elle n’a pas été signalée en amont, ni suivie d’un rapport de justification. Le gouvernement libanais a officiellement saisi le commandement de la FINUL pour exiger l’ouverture d’une enquête technique. La mission onusienne a dépêché une équipe sur place pour collecter les éléments de preuve.

Les limites d’un recours judiciaire

Malgré les violations constatées, la possibilité d’un recours judiciaire concret reste limitée. Le parquet libanais, tout comme la justice militaire, dispose de peu de marges de manœuvre. Aucun mandat d’arrêt ne peut être lancé contre des officiers étrangers, et la compétence extraterritoriale des juridictions libanaises est très restreinte.

La saisine de la Cour pénale internationale, bien que théoriquement envisageable, se heurte à l’absence d’adhésion du Liban au Statut de Rome. En outre, Israël ne reconnaît pas la compétence de la CPI dans ce type d’affaire. La procédure risquerait de rester symbolique.

Le Conseil de sécurité, quant à lui, fonctionne sur la base du consensus. Toute tentative de condamnation formelle d’Israël pourrait être bloquée par le veto d’un membre permanent. Cette configuration rend toute réponse juridique effective improbable à court terme.

La position du gouvernement libanais

Face à cette impasse juridique, le président de la République a convoqué un Conseil des ministres restreint. Il y a déclaré que « le Liban ne tolérera plus ces actes d’agression unilatéraux qui défient la légalité internationale ». Cette déclaration traduit une volonté d’affirmation diplomatique, sans traduction opérationnelle directe.

Le ministère des Affaires étrangères a adressé une note officielle au Secrétaire général de l’ONU, demandant la convocation d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité. Ce geste vise à inscrire la plainte libanaise dans une dynamique multilatérale, même si les résultats concrets restent incertains.

Un précédent dangereux pour le cessez-le-feu

Cette attaque crée un précédent. En la qualifiant de neutralisation préventive, Israël ouvre la voie à une justification élargie de l’usage unilatéral de la force. Si cette lecture venait à se banaliser, elle affaiblirait l’architecture du cessez-le-feu et rendrait les opérations militaires unilatérales plus fréquentes.

Pour les autorités libanaises, l’enjeu est donc double : défendre leur souveraineté territoriale, et préserver l’intégrité des mécanismes de désescalade. La multiplication de frappes de ce type pourrait faire basculer le Sud dans une nouvelle spirale de confrontation.

Neutralisation vs exécution extrajudiciaire

Le débat ne se limite pas à une querelle sémantique. La notion de neutralisation préventive entre en contradiction directe avec les normes interdisant les exécutions extrajudiciaires. Celles-ci sont condamnées par les conventions internationales relatives aux droits de l’homme.

En ciblant des individus hors contexte de combat, sans procédure judiciaire, sans preuve publique, sans possibilité de défense, Israël contrevient à ces normes fondamentales. La notion de cible légitime ne peut être étendue au point de faire disparaître la distinction entre civil et combattant.

Position des acteurs internationaux

Les premiers échos au sein des missions diplomatiques présentes à Beyrouth montrent une certaine inquiétude. Plusieurs chancelleries soulignent que la répétition de ces incidents risque de décrédibiliser les mécanismes onusiens. La FINUL, déjà critiquée pour son manque d’efficacité, se trouve à nouveau mise à l’épreuve.

Le général en charge de la commission de surveillance du cessez-le-feu aurait été saisi pour rédiger un rapport circonstancié. Celui-ci pourrait être transmis au Conseil de sécurité. Mais son impact dépendra des équilibres diplomatiques en cours.

Perception populaire et instrumentalisation

L’événement a également un impact sur la population. Dans les zones proches de Saïda, la colère monte. Des marches ont été organisées dans les camps palestiniens. Des affiches dénonçant les « assassinats ciblés » ont été placardées sur les murs. Cette mobilisation renforce les tensions internes et le risque d’engrenage.

Certains partis politiques libanais utilisent cet incident pour relancer le discours sur la souveraineté. D’autres appellent à la prudence pour éviter une escalade incontrôlable. La scène politique reste divisée entre partisans d’une réponse ferme et promoteurs de la désescalade.

Un test pour le droit international

En définitive, l’affaire de Saïda constitue un test pour le droit international. Si l’opération reste sans réponse, elle pourrait être interprétée comme un blanc-seing pour d’autres frappes du même type. L’enjeu dépasse le cas particulier : il concerne l’avenir des normes qui encadrent les conflits asymétriques.

Le silence, ou l’inaction, face à cette doctrine risque de renforcer les logiques d’impunité. Dans un contexte où les frontières entre guerre, paix et sécurité deviennent floues, la capacité à faire respecter le droit constitue le seul rempart contre la généralisation de la violence ciblée.

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Newsdesk Libnanews
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