La normalisation de l’anormal

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A quelques jours de la visite de Trump en Arabie Saoudite puis en Israël les informations relatives à une nouvelle proposition des Etats du Golfe se confirment. Mardi, le Wall Street Journal a déclaré que ces derniers avaient proposé de prendre des mesures concrètes pour établir de meilleures relations avec Israël. Une offre de normalisation des relations en échange d’un gel partiel de la colonisation et de « mesures concrètes » pour améliorer la vie des Palestiniens, dont un allégement des restrictions commerciales sur la bande de Gaza, sans pour autant exiger qu’Israël déclare un retrait de toutes les régions occupées en 67.

Cette proposition est incluse dans un document de position élaboré par les Etats du Golfe sous la direction de l’Arabie Saoudite – y compris le Qatar, Dubaï et les Emirats Arabes Unis dans le cadre de discussions internes. Israël et les Etats Unis auraient été informés du contenu du document. Ce rapport arrive un jour après la rencontre entre le Prince héritier d’Abu Dhabi, Mohamed Bin Zayed al Nahyan et le président Trump à Washington en vue de la préparation d’une réunion entre le président et les dirigeants musulmans lors d’un sommet en Arabie Saoudite.

Cette initiative n’est pas vraiment une surprise et était annoncé par de nombreux signes avant-coureurs qui préludaient à un dégel entre certains pays arabes et Israël, notamment la crainte commune représentée par l’Iran et la coopération dans la lutte contre le terrorisme pour invoquer les prétextes officiels. Cependant il n’y avait aucune indication précise sur le contenu et la portée de l’initiative. A plusieurs reprises les dirigeants israéliens avaient fait des déclarations qui allaient dans le sens d’une amélioration des relations et d’une détente entre Israël et les Etats conservateurs sunnites du Golfe. En février dernier, le Wall Street Journal révélait les intentions de l’administration Trump de créer une alliance militaire incluant les puissances du Golfe et Israël dans le but de lutter contre leurs ennemis communs, l’Iran et le terrorisme. Selon les mêmes sources, l’Arabie saoudite et les Emirats souhaitaient que les États-Unis annulent la loi permettant aux familles des victimes des attentats du 11 septembre 2001 de poursuivre leurs gouvernements devant les tribunaux américains, en échange d’accepter de coopérer avec Israël.

Après la fin de non recevoir cinglante, méprisante et humiliante d’Israël à leur initiative de paix “historique” de Beyrouth – déterrées récemment dans un premier temps par un Netanyahu confronté à d’autres initiatives mal venues qu’il fallait éviter, puis vidée de son contenu avant que d’être à nouveau enterrée – voici que les Etats du Golfe dits « modérés » présentent une nouvelle offre inédite, voire inespérée, à Israël qui consiste en une normalisation des relations avec des conditions revues à la baisse. Nous nous doutions déjà que la normalité était un concept quelque peu relatif pour les Etats du Golfe nous en avons désormais la confirmation.

Parmi les mesures de normalisation l’établissement de lignes de télécommunications directes entre Israël et certains pays arabes, le survol des compagnies d’aviations israéliennes de leur espace aérien, l’abolition des limitations aux échanges commerciaux, l’octroi de visas aux athlètes et hommes d’affaires israéliens.

Inédite elle l’est sans aucun doute du fait qu’elle relève de la capitulation et de l’abdication pure et simple en échange de concessions infimes qui n’en sont même pas. Une main tendue qui s’apparente à de la mendicité et à un signe univoque de faiblesse, en direction de l’Etat Hébreux. Certes à l’issue du « printemps arabe » Israël est plus fort que jamais en terme de puissance et de sécurité mais il vient de subir revers sur revers quand à sa politique de colonisation, notamment avec l’adoption le 23 Décembre 2016 de la résolution 2334 du Conseil de Sécurité exigeant l’arrêt des activités de peuplement dans le Territoire palestinien occupé. Voici à présent que les Etats du Golfe dilapident sans contrepartie les potentialités d’une telle résolution rendue uniquement possible grâce à l’abstention des Etats-Unis, transformant cette avancée en une victoire à la Pyrrhus.

Leur proposition gèle ainsi définitivement l’initiative arabe de Paix de Beyrouth et met aussi en péril les acquis de la résolution 242 du Conseil de Sécurité. Cela constitue un renoncement aux droits inaliénables du peuple palestinien consacrés par le droit international. En échange d’un geste à moindre coût, ils dispensent ainsi Israël de se conformer à ses obligations et aux décisions contraignantes de la légalité internationale. Ils se départissent d’une arme de pression et d’une carte de négociation en échange d’une supplique qui relève de la mendicité.

Un gel partiel, pas même l’arrêt de la colonisation et la rétrocession des territoires. Un gel qui ne s’appliquerait qu’à la Cisjordanie, pas même à Jérusalem Est qui a atteint le point de non retour, et qui ne concernerait que les constructions en dehors des blocs de logements déjà existants. Même le BDS va plus loin que les Etats arabes !

Comment peut on concevoir une normalisation avant la paix, avant même des négociations sur le statut final et la reconnaissance de la Palestine dans les frontières de 67 ? La triste vérité est que nombres d’Etats arabes ont normalisé depuis longtemps leurs relations avec l’Etat Hébreux. Et puis il faut garder à l’esprit les priorités, il y a plus urgent et pressant que la Palestine, cette dernière attendra bien encore un peu. N’est-ce pas l’Iran qui représente la véritable menace pour le monde arabe ? Un épouvantail efficace qui les a même détournés de la cause palestinienne et les a entrainés dans des conflits fratricides de la Syrie au Yémen ?

Une fois encore des Etats arabes consentent de leur plein gré à des concessions substantielles et unilatérales pour quémander un droit pourtant déjà consacré et reconnu. Le tout en contrepartie d’un gel partiel de la colonisation, qui faut-il le rappeler est illégale dans le fond comme dans la forme selon le droit international et au regard de l’ensemble de la communauté internationale. Une proposition qui donne gain de cause à Israël et entérine sa politique des faits accomplis.

Et dire qu’il fut un temps où les Arabes prétendaient, projet pour le moins ambitieux, vouloir libérer l’ensemble de la Palestine et refusèrent, au grand bonheur d’Israël, le plan de partage de 1947. Puis ils se contentèrent des frontières de 67, abandonnèrent progressivement et subrepticement le droit au retour, reconnurent Israël à Oslo en renonçant à 78% de la Palestine historique en échange de moins que rien, pas même d’une reconnaissance par Israël de l’Etat Palestinien.

Qui veut le plus ne peut souvent que le moins mais persiste à demander toujours plus pour finalement accepter toujours moins. Encore quelques années et les Arabes finiront par accepter un Bamboustan semi- autonome réduit à la Bande de Gaza et des enclaves désarticulés dans ce qui restera de la Cisjordanie, le tout sous souveraineté partagée égyptienne, israélienne et jordanienne.

En proposant, avant même la conclusion d’un accord de paix, normalisation économique, et donc diplomatique, ils offrent à Israël la reconnaissance qu’il recherche désespérément et une intégration régionale à un coût dérisoire mais exorbitant pour les Palestiniens. Ils donnent ainsi raison à Israël et le conforte dans son arrogance et sa stratégie de maintien du statut quo qui table sur le temps et son œuvre d’érosion. Une stratégie lui permet d’étendre le fait accompli par la force et la violation du droit encouragé par une impunité totale et par la passivité, la lâcheté, l’hypocrisie et la duplicité des dirigeants arabes qui ne reculent devant aucune compromission et abandonnent les Palestiniens à eux-mêmes dans un face à face déséquilibré et mortifère avec Israël.

Dans l’esprit des dirigeants israéliens, de droite comme de gauche, l’absence d’un accord de paix est du pain béni pour Israël, un objectif en soi, même s’il s’agit d’une vision qui a terme pêche par manque de rationalité et desserre le projet sioniste. Il est évident que le prix de la paix, en terme de concessions qu’il n’est pas disposé à faire, serait de loin plus élevé pour Israël que celui de ne pas parvenir à un accord. Du reste, il pense ne tirer que des dividendes de l’alternative incarnée par la situation actuelle de ni guerre ni paix : Expansion des colonies, poursuite de l’aide militaire américaine, de l’occupation, maintien de la cohésion interne de la société israélienne, etc.  En réalité le prix pour Israël, son peuple, sa démocratie et sa survie sera énorme.

Du reste, Israël n’a que trop rarement respecté ses engagements même lorsque les accords lui étaient entièrement favorable à l’instar d’Oslo. Face à Israël seuls l’internationalisation, la fermeté, la confrontation, la dissuasion et le langage de la force se sont avérés payants. Israël n’a jamais signé d’accord ni de traité lorsqu’il était en position de force et ce n’est qu’acculé et sous pression qu’il a dû consentir à des concessions. Des décennies de reculs, de compromis, de gestes de bonnes fois, de concessions unilatérales n’ont fait que renforcer Israël dans ses refus catégoriques, qu’il a opposé même à ses alliés les plus proches, et dans ses conditions rédhibitoires.

Les Arabes n’ont jamais rien obtenu en présentant en front désuni ; Israël a toujours manœuvré afin d’isoler ses adversaires et de diviser pour mieux régner et s’est constamment évertué à obtenir des traités de paix séparés.

Les pays du Golfe devraient garder cela à l’esprit, mais ont-ils jamais tiré les leçons du passé et de leurs innombrables erreurs ?

Camille Najm
Analyste, chercheur, consultant et journaliste politique basé entre Genève et Beyrouth. Auteur d’études, de rapports, d’articles de presse et pour revues spécialisées, d’éditoriaux, de chroniques. D.E.A en Science politique et relations internationales – Université de Genève. Domaines de spécialisation : Les rapports entre la culture, la religion, identité et la politique – Les minorités religieuses, culturelles, ethniques du monde arabe – Les relations islamo-chrétiennes – le christianisme dans le monde arabe – Laïcité, communautarisme et multiculturalisme – Le Vatican – Le système politique libanais, les institutions et la démocratie – De nombreuses problématiques liées au Moyen Orient (Liban, Syrie, conflit israélo-arabe).

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