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Réformes économiques au Liban : l’urgence internationale

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Contexte de la crise économique libanaise

Depuis l’automne 2019, le Liban traverse l’une des crises économiques les plus sévères de son histoire moderne. La dépréciation de la livre libanaise a dépassé les 95 % par rapport au dollar américain, plongeant des pans entiers de la population dans la pauvreté. Selon les estimations de la Banque mondiale, plus de 80 % des Libanais vivent désormais sous le seuil de pauvreté, alors que le pays faisait autrefois figure de centre financier régional.

La crise est le résultat d’une accumulation de facteurs : une dette publique colossale représentant plus de 180 % du PIB, une gouvernance défaillante marquée par des décennies de clientélisme et de corruption, et une paralysie politique chronique empêchant toute décision structurante. La double explosion du port de Beyrouth en août 2020 a encore amplifié le traumatisme national, tout en mettant en lumière les défaillances systémiques de l’État libanais.

Sur le plan financier, le système bancaire, autrefois pilier de l’économie, est en ruines. Les restrictions sur les retraits bancaires, les contrôles de capitaux informels et l’effondrement de la confiance publique dans les institutions financières ont provoqué un gel quasi total des activités de crédit et d’investissement. Le secteur privé est asphyxié, les petites entreprises ferment en cascade, et le chômage atteint des niveaux records.

Face à cet effondrement, les partenaires internationaux du Liban conditionnent toute aide financière substantielle à l’adoption de réformes structurelles profondes. Cette pression, constante et multiforme, vise à forcer Beyrouth à engager des transformations indispensables à la reconstruction économique du pays.

Les exigences du FMI et de la Banque mondiale

Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale figurent en première ligne des institutions qui exercent une pression constante sur le Liban pour adopter des réformes structurelles ambitieuses. Depuis avril 2022, des discussions sont en cours pour débloquer un programme d’aide d’environ trois milliards de dollars, destiné à stabiliser la situation macroéconomique du pays. Toutefois, les négociations stagnent en raison du non-respect des préalables exigés par le FMI.

Parmi les principales conditions figurent la révision de la loi sur le secret bancaire, la restructuration du secteur bancaire, l’adoption d’un budget crédible et la mise en place d’une stratégie nationale de lutte contre la corruption. Le FMI insiste également sur la nécessité d’unifier les multiples taux de change en vigueur afin de rétablir la transparence et la confiance dans les transactions financières.

De son côté, la Banque mondiale alerte régulièrement sur l’aggravation de la crise sociale et humanitaire au Liban. L’organisation appelle à la mise en œuvre immédiate de programmes de protection sociale ciblés, d’investissements dans les infrastructures essentielles et de réformes pour améliorer la gouvernance publique. Dans ses rapports, elle souligne que sans réformes structurelles, toute aide financière risque d’être insuffisante pour éviter l’effondrement complet de l’économie libanaise.

Malgré ces avertissements répétés, les autorités libanaises peinent à concrétiser les engagements pris dans le cadre des pourparlers avec les institutions financières internationales. Les désaccords internes sur la répartition des pertes du secteur financier et les résistances aux réformes structurelles freinent les avancées vers un accord définitif avec le FMI.

La question de la corruption systémique

L’une des principales pierres d’achoppement des réformes au Liban reste la corruption enracinée dans l’appareil d’État. Transparency International classe régulièrement le Liban parmi les pays les plus corrompus de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). La dilapidation des fonds publics, les détournements de subventions et les pratiques de clientélisme généralisé minent la confiance des citoyens et des bailleurs de fonds internationaux.

Les scandales se succèdent sans qu’aucune responsabilité politique ou judiciaire ne soit clairement établie. L’affaire des silos de blé contaminé, la disparition de milliards de dollars de la Banque du Liban, ou encore les malversations dans le secteur de l’énergie illustrent l’étendue du problème. Ces dérives sont dénoncées par la communauté internationale, qui conditionne toute aide significative à la mise en place de mécanismes de contrôle stricts.

Le FMI et la Banque mondiale demandent ainsi la création d’une autorité indépendante de lutte contre la corruption, dotée de pouvoirs d’investigation et de sanction. Ils réclament également l’activation effective des organes existants, tels que la Cour des comptes et la Commission nationale de lutte contre la corruption, souvent paralysés par les ingérences politiques.

La société civile libanaise, très mobilisée sur cette question, exige des réformes judiciaires profondes pour garantir l’indépendance des magistrats et l’application des lois anticorruption. Ces revendications trouvent un écho croissant parmi la jeunesse libanaise, lassée des promesses non tenues et des dérives du système politique en place.

La réforme du secteur bancaire libanais

Le secteur bancaire libanais, autrefois considéré comme l’un des plus sophistiqués de la région, est aujourd’hui en pleine débâcle. Selon les estimations du Fonds monétaire international, les pertes cumulées du secteur atteignent 72 milliards de dollars au premier trimestre 2025, soit l’équivalent de plus de trois fois le produit intérieur brut du pays. Ce gouffre financier résulte à la fois d’une mauvaise gestion des dépôts, de la dépendance excessive aux titres de dette publique, et de la perte de confiance généralisée des déposants.

Les réserves de change de la Banque du Liban, qui servaient traditionnellement de garantie au système financier, se sont effondrées pour tomber à moins de 8 milliards de dollars début 2025, contre près de 35 milliards avant la crise. Cette chute vertigineuse a privé la banque centrale de toute marge de manœuvre pour stabiliser la livre libanaise ou financer les importations stratégiques.

La réforme du secteur bancaire est donc au cœur des exigences de la communauté internationale. Le FMI insiste sur l’adoption d’une loi de restructuration bancaire qui clarifie la répartition des pertes entre les actionnaires, les grandes fortunes et l’État. Ce texte, encore bloqué au Parlement libanais, est perçu comme un préalable indispensable à toute assistance financière.

Par ailleurs, les contrôles de capitaux informels, mis en place depuis 2019 sans base légale claire, bloquent près de 95 % des dépôts en devises. Les épargnants libanais, dont les économies sont gelées dans les comptes bancaires, réclament une libéralisation progressive mais ordonnée des retraits. La pression sociale autour de cette question est immense, les scènes de protestation devant les agences bancaires s’étant multipliées ces derniers mois.

Le déficit budgétaire chronique aggrave encore la situation. En 2024, il a dépassé 15 % du PIB, plaçant le Liban parmi les pays les plus déficitaires au monde. Ce déséquilibre budgétaire structurel réduit la capacité de l’État à soutenir le secteur bancaire dans ses efforts de recapitalisation et de réforme.

Le gouvernement a annoncé vouloir recapitaliser les banques à hauteur de 20 milliards de dollars, mais les modalités de cette opération restent floues. La question cruciale de la responsabilité des pertes — entre l’État, les banques commerciales et les déposants — continue de diviser la classe politique et freine l’adoption des mesures nécessaires.

La pression des pays donateurs et bailleurs internationaux

Outre les institutions multilatérales comme le FMI et la Banque mondiale, plusieurs pays donateurs exercent une pression croissante sur le Liban pour l’inciter à engager des réformes concrètes. Le groupe de soutien international au Liban (ISG), qui regroupe notamment la France, les États-Unis, l’Allemagne et les pays du Golfe, conditionne toute assistance à des avancées vérifiables sur la réforme de la gouvernance et de la transparence financière.

Lors de la conférence de soutien au Liban organisée à Paris en mars 2025, les bailleurs ont rappelé que plus de 11 milliards de dollars d’aides promises lors de la conférence CEDRE de 2018 restent gelés faute de réformes structurelles. Ces fonds, initialement destinés à soutenir les infrastructures et la relance économique, demeurent bloqués par l’absence de garanties de bonne gouvernance.

Les pays du Golfe, historiquement généreux envers le Liban, ont durci leur position. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, en particulier, exigent des mesures concrètes contre la corruption et une réduction de l’influence du Hezbollah sur les institutions de l’État. Sans avancées sur ces dossiers, ils refusent de débloquer de nouvelles aides financières ou d’investir dans des projets de reconstruction.

Les États-Unis, par la voix du département du Trésor, ont renforcé leurs sanctions ciblées contre des responsables politiques et financiers libanais accusés de corruption ou de soutien aux activités illicites du Hezbollah. Cette stratégie de pression vise à isoler les élites récalcitrantes et à encourager des réformes systémiques.

La France, engagée de longue date dans le soutien au Liban, continue de jouer un rôle de facilitateur. Le président Emmanuel Macron multiplie les initiatives pour rassembler les acteurs internationaux autour d’un plan de sauvetage du Liban, à condition que Beyrouth accepte de s’engager résolument sur la voie des réformes. Paris a ainsi proposé la mise en place d’un mécanisme de suivi international pour vérifier l’application effective des engagements libanais.

Les blocages politiques internes face aux réformes

Le système politique libanais, caractérisé par un équilibre confessionnel complexe, constitue l’un des principaux freins à la mise en œuvre des réformes attendues par la communauté internationale. Chaque grande décision nécessite un consensus entre les différentes factions religieuses et politiques, ce qui entraîne des blocages récurrents dans les processus législatifs et exécutifs.

Les rivalités entre les principaux partis, notamment entre le Courant patriotique libre, les Forces libanaises, le Hezbollah et leurs alliés respectifs, paralysent la prise de décision. Les débats autour de la répartition des pertes du secteur bancaire en sont une illustration emblématique. Les uns prônent une restructuration radicale qui impliquerait la participation des grandes fortunes et des actionnaires des banques à l’absorption des pertes. D’autres, proches des milieux bancaires et financiers, défendent une solution qui préserverait au maximum les intérêts des élites économiques.

Ces divergences sont exacerbées par l’absence prolongée d’un président de la République jusqu’à l’élection de Joseph Aoun début 2025. Durant la vacance du pouvoir exécutif, le gouvernement en place s’est limité à expédier les affaires courantes, sans capacité d’initiative sur les réformes structurelles. Cette paralysie institutionnelle a accentué la méfiance des bailleurs internationaux quant à la volonté réelle des autorités libanaises d’engager des transformations en profondeur.

La classe politique libanaise redoute également les conséquences sociales d’une réforme brutale, qui entraînerait immanquablement des pertes pour les épargnants et une hausse du chômage à court terme. Les partis politiques, soucieux de préserver leurs clientèles électorales, hésitent à prendre des mesures impopulaires malgré l’urgence économique.

Les attentes de la société civile libanaise

Face à l’inaction du gouvernement et à l’opacité des négociations avec les institutions internationales, la société civile libanaise s’est fortement mobilisée. Depuis le début de la crise, des milliers de Libanais manifestent régulièrement pour réclamer des réformes profondes, la fin de la corruption et une meilleure transparence dans la gestion des affaires publiques.

Les revendications se sont structurées autour de plateformes citoyennes et d’ONG locales qui jouent un rôle croissant dans le débat public. Des organisations telles que Kulluna Irada ou l’Association libanaise pour la transparence (chapitre local de Transparency International) formulent des propositions concrètes pour la réforme du secteur bancaire, la fiscalité équitable et le renforcement des institutions de contrôle.

La jeunesse libanaise, particulièrement touchée par l’exode des talents et l’effondrement des perspectives économiques, se mobilise également pour exiger un changement de paradigme. Selon une étude de l’Organisation internationale du travail, plus de 65 % des jeunes Libanais envisagent de quitter le pays faute d’opportunités professionnelles et de confiance dans l’avenir.

Cette pression populaire est amplifiée par la diaspora libanaise, très active dans la dénonciation des blocages politiques et dans le soutien aux initiatives de réforme. Les Libanais de l’étranger, qui représentent une source essentielle de devises pour l’économie nationale, conditionnent de plus en plus leurs transferts de fonds à des avancées tangibles sur le front des réformes.

La société civile demande également une plus grande inclusion dans les processus décisionnels, réclamant la transparence des négociations avec le FMI et la publication intégrale des termes des accords envisagés. Cette exigence de participation reflète une aspiration profonde à rompre avec les pratiques opaques du passé.

Scénarios possibles pour la mise en œuvre des réformes

Les perspectives de mise en œuvre des réformes structurelles au Liban se déclinent aujourd’hui selon plusieurs scénarios distincts, évalués par les experts économiques et politiques de la région.

Le premier scénario, optimiste mais incertain, table sur un sursaut politique sous la pression conjuguée de la société civile et des bailleurs internationaux. Dans cette hypothèse, les autorités libanaises parviennent à dépasser leurs rivalités internes pour adopter les réformes clés exigées par le FMI et la Banque mondiale. La restructuration bancaire est lancée, un accord avec le FMI est scellé, et les flux d’aide gelés sont débloqués, offrant une bouffée d’oxygène à l’économie. Ce scénario, envisagé par certains analystes du Carnegie Middle East Center, nécessiterait néanmoins une volonté politique forte et un alignement inhabituel des intérêts des factions libanaises.

Le second scénario, que beaucoup considèrent comme le plus probable à court terme, est celui d’une stagnation prolongée. Le Liban continuerait d’éviter les réformes structurelles majeures, se contentant de mesures ponctuelles et incomplètes pour apaiser la colère populaire et maintenir des flux financiers minimaux grâce à la diaspora et à l’aide humanitaire internationale. Cette trajectoire maintiendrait le pays dans un état de survie économique sans véritable relance, avec un appauvrissement continu de la population.

Le troisième scénario, plus pessimiste, envisage un effondrement complet du système économique et institutionnel libanais. Faute de réformes et d’assistance extérieure suffisante, l’État pourrait faire défaut sur ses obligations financières, provoquant une spirale d’hyperinflation et un effondrement des services publics essentiels. Ce scénario entraînerait une détérioration dramatique de la situation humanitaire et une intensification des flux migratoires, avec des conséquences régionales potentiellement déstabilisantes.

Ces différents scénarios dépendent étroitement de la capacité du Liban à restaurer la confiance, tant à l’intérieur du pays qu’auprès de la communauté internationale. Les mois à venir seront décisifs pour savoir si le Liban s’oriente vers une sortie de crise maîtrisée ou s’il s’enfonce davantage dans l’instabilité.

Conséquences régionales et internationales de l’inaction

L’inaction prolongée du Liban face à ses défis économiques et structurels aurait des répercussions bien au-delà de ses frontières. Sur le plan régional, un effondrement libanais risquerait de déstabiliser l’équilibre précaire du Moyen-Orient. Les voisins du Liban, à commencer par la Syrie et Israël, seraient directement affectés par l’aggravation des tensions socio-économiques et la dégradation de la sécurité intérieure libanaise.

Les flux migratoires représentent l’une des principales préoccupations des pays européens et des États du Golfe. En cas de dégradation supplémentaire de la situation, des milliers de Libanais pourraient tenter de rejoindre Chypre, la Grèce ou d’autres destinations européennes, accentuant la pression sur les politiques migratoires de l’Union européenne.

Sur le plan économique, le Liban joue un rôle stratégique comme plateforme de transit et de services pour la région. Sa désintégration compliquerait les flux commerciaux et financiers, tout en alimentant l’instabilité des marchés énergétiques et financiers du Levant.

La communauté internationale craint également que le vide institutionnel ne profite à des acteurs non étatiques, en particulier au Hezbollah et à d’autres groupes armés. Le renforcement de ces organisations dans un contexte d’effondrement de l’État libanais augmenterait les risques de déstabilisation régionale et de confrontation avec Israël.

Face à ces risques, les puissances extérieures intensifient leurs efforts diplomatiques pour encourager Beyrouth à prendre la voie des réformes. Des initiatives de coopération régionale sont également envisagées pour soutenir la relance du Liban, à condition que les dirigeants du pays démontrent une volonté politique claire et tangible.

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Newsdesk Libnanews
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