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Transition ou paralysie ? Le Liban entre rupture politique et survie sociale

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Un système institutionnel en fin de cycle

Le Liban traverse une phase de transition politique sans précédent, marquée par la décomposition des anciens équilibres et l’absence de nouvelles structures opérationnelles. L’échec des précédentes tentatives de réforme, l’accumulation des crises économiques et sociales, ainsi que l’érosion de la légitimité des élites politiques ont vidé le système de sa capacité d’action. Le pays fonctionne sur un mode de gestion de crise permanente, où chaque décision est conditionnée par des rapports de force instables.

La paralysie institutionnelle se manifeste dans tous les domaines. Le Parlement peine à légiférer, le gouvernement multiplie les réunions sans débouchés concrets, et les administrations fonctionnent au ralenti, faute de moyens et de clarté juridique. La présidence tente de rétablir une certaine verticalité, mais sans appui parlementaire structuré, son champ d’action reste limité. Le système politique, basé sur le compromis confessionnel, est devenu un carcan qui empêche toute réforme profonde.

Les appels au dialogue national se succèdent, mais restent lettre morte. Les initiatives de médiation sont perçues comme des manœuvres de diversion. Les commissions parlementaires chargées des grandes réformes ne se réunissent plus. Le pays se dirige vers une transition non structurée, où les décisions sont prises de manière fragmentée, en dehors de toute vision d’ensemble. Cette absence de cap renforce le sentiment d’abandon au sein de la population.

Une urgence sociale qui redéfinit les priorités

Face à cette vacance du pouvoir décisionnel, l’urgence sociale impose ses propres règles. La dégradation des conditions de vie pousse les acteurs institutionnels à recentrer leur action sur les services de base. L’éducation, la santé, l’eau, l’électricité deviennent les véritables terrains de légitimité. Dans ce contexte, les mairies, les syndicats, les ONG et les structures communautaires jouent un rôle de substitution à l’État central.

La pauvreté atteint des niveaux sans précédent. Une part croissante de la population vit en dessous du seuil de subsistance. L’inflation alimentaire, les coupures de courant, la dévaluation monétaire forment un cocktail explosif. Les classes moyennes s’effondrent, les jeunes émigrent en masse, et les plus vulnérables sombrent dans la marginalisation. La société libanaise se transforme en profondeur, sous l’effet de cette précarisation généralisée.

Cette situation sociale extrême influence les dynamiques politiques. Les priorités ne sont plus idéologiques, mais pragmatiques. Les électeurs ne jugent plus les partis sur leurs discours, mais sur leur capacité à apporter des solutions concrètes. Les mouvements sociaux se structurent autour de revendications immédiates : prix des médicaments, accès à l’eau potable, sécurité dans les transports. Ce retour aux besoins élémentaires redéfinit les contours de l’espace public.

La montée d’un activisme décentralisé

En l’absence d’un pouvoir central efficace, l’activisme local connaît une expansion notable. Dans plusieurs régions, des collectifs citoyens prennent en charge des fonctions abandonnées par l’État : gestion des déchets, éducation informelle, assistance médicale, sécurité de quartier. Ces initiatives ne sont plus marginales. Elles s’imposent comme des alternatives viables, parfois mieux organisées que les dispositifs publics.

Ce tissu d’engagements décentralisés constitue une réponse pragmatique à la crise. Il montre que la société libanaise n’est pas en état de passivité, mais d’auto-organisation. Ce foisonnement d’initiatives crée une dynamique nouvelle. Il produit des formes inédites de légitimité. Les leaders locaux gagnent en visibilité. Les compétences émergent en dehors des partis. Des modèles hybrides de gouvernance apparaissent, mêlant expertise technique, ancrage territorial et mobilisation communautaire.

Toutefois, cette dynamique reste fragile. Elle dépend souvent de financements externes, de bénévolat, ou de contextes très localisés. Elle ne peut se substituer durablement à une autorité centrale. Le risque est celui d’un éclatement du cadre national, où chaque territoire s’organise selon ses moyens, ses réseaux, et ses rapports de force. Cette balkanisation silencieuse menace l’unité du pays à long terme, si elle n’est pas accompagnée d’une reconstitution du cadre étatique.

Les fractures du système partisan

La crise de légitimité touche de plein fouet les formations politiques traditionnelles. Leurs discours ne convainquent plus. Leurs pratiques sont jugées archaïques. Leur gestion est associée à la corruption, à l’inefficacité, à la reproduction des élites. Leurs bases sociales se réduisent. Les jeunes s’en détournent. Les anciens partisans deviennent critiques. Cette perte d’audience transforme le paysage politique.

Les partis tentent de se réinventer, mais avec peu de succès. Ils lancent des plateformes numériques, ouvrent des antennes locales, multiplient les promesses. Mais ces efforts sont perçus comme cosmétiques. Le déficit de crédibilité est profond. Il ne se résorbe pas par des campagnes de communication. Il nécessite un renouvellement générationnel, idéologique et organisationnel que peu de structures sont capables d’assumer.

En parallèle, de nouvelles forces apparaissent. Elles ne se définissent pas toujours comme des partis. Elles refusent les étiquettes classiques. Elles revendiquent la transversalité, l’expérimentation, la transparence. Elles s’organisent en réseaux, en collectifs, en plateformes citoyennes. Leur poids électoral reste modeste, mais leur influence sur les idées, les pratiques, les agendas politiques est croissante. Elles imposent de nouveaux standards de responsabilité et d’efficacité.

La pression des échéances électorales

Dans ce contexte instable, les prochaines échéances électorales sont à la fois redoutées et attendues. Elles pourraient constituer une porte de sortie institutionnelle à la crise, ou au contraire, en révéler l’impasse. Les élections municipales sont perçues comme un premier test. Elles permettront de mesurer l’état de mobilisation des citoyens, la capacité des forces émergentes à structurer une offre politique, et la réaction des partis traditionnels face à leur perte d’influence.

Plusieurs scénarios se dessinent. Un taux d’abstention élevé conforterait les formations établies, capables de mobiliser un noyau dur d’électeurs fidèles. Une participation massive en faveur des listes indépendantes pourrait au contraire signaler un basculement plus profond. Les enjeux ne sont donc pas seulement locaux. Ils renvoient à des dynamiques nationales. Chaque commune pourrait devenir un micro-laboratoire de transformation politique.

Le gouvernement central, quant à lui, hésite sur la stratégie à adopter. Organiser les élections, c’est accepter une reconfiguration des rapports de force. Les retarder, c’est renforcer la défiance. Le dilemme est d’autant plus aigu que les partenaires internationaux conditionnent leur soutien à la tenue de scrutins libres et réguliers. Les institutions sont donc prises en étau : entre nécessité démocratique et logique de conservation du pouvoir.

Les acteurs de la société civile se préparent. Des plateformes de surveillance électorale sont en cours de constitution. Des campagnes d’éducation au vote sont lancées dans les quartiers défavorisés. L’enjeu est d’éviter que les élections ne deviennent un simulacre de participation. Il s’agit de leur rendre un sens politique, social, institutionnel. C’est dans cette tension que se joue la transition : entre formalisme électoral et renouveau démocratique réel.

Les institutions internationales comme partenaires et arbitres

Le rôle des institutions internationales dans cette phase de transition est déterminant. Elles apportent des financements, une expertise technique, une capacité de pression. Mais elles sont aussi perçues avec ambivalence. Leur soutien est indispensable pour stabiliser l’économie, financer les services publics, accompagner les réformes. Mais leur influence suscite des critiques sur la perte d’autonomie nationale.

Le défi pour les autorités libanaises est de transformer cette dépendance en partenariat. Il s’agit de construire une coopération stratégique, fondée sur des objectifs partagés, des responsabilités mutuelles, et une gouvernance transparente. Certaines initiatives vont dans ce sens : co-construction de projets d’infrastructure, mise en place de mécanismes de suivi participatif, inclusion des acteurs locaux dans la définition des priorités.

Mais ces bonnes pratiques restent minoritaires. Trop souvent, les projets internationaux sont gérés dans l’opacité, captés par des réseaux d’influence, ou instrumentalisés à des fins partisanes. Le renforcement de la souveraineté passe aussi par la qualité de la relation avec les bailleurs. Il ne suffit pas de dénoncer l’ingérence. Il faut être capable d’imposer un agenda national cohérent, crédible, et légitime.

Un État en recomposition silencieuse

Au-delà des crises visibles, une recomposition plus discrète est en cours au sein de l’appareil d’État. Dans certaines administrations, de nouveaux profils apparaissent. Plus jeunes, souvent formés à l’étranger, ils tentent d’introduire des pratiques de gestion plus rigoureuses. Des cellules de planification stratégique émergent dans des ministères auparavant en sommeil. Des projets pilotes sont lancés, souvent en collaboration avec des organisations internationales, pour numériser les archives, rationaliser les procédures, introduire des indicateurs de performance.

Ces initiatives ne sont pas encore majoritaires. Elles ne suffisent pas à transformer l’ensemble du système. Mais elles introduisent des germes de changement. Elles démontrent qu’il est possible de gouverner autrement. Elles construisent une nouvelle culture administrative, fondée sur la compétence, la transparence et le service public. Cette dynamique est fragile. Elle dépend du soutien de quelques hauts fonctionnaires engagés, de la protection de la présidence ou du Premier ministre, et du maintien de financements extérieurs.

La question est de savoir si cette recomposition silencieuse pourra s’élargir. Si elle restera une exception, ou si elle deviendra la norme. Pour cela, il faut du temps, de la stabilité, et une volonté politique claire. Le Liban se trouve à un carrefour : soit ces efforts sont amplifiés, consolidés, et soutenus par des réformes institutionnelles ; soit ils sont étouffés par le retour des logiques clientélistes dès que la pression extérieure diminue.

Le Liban entre rupture et résilience

Malgré l’ampleur de la crise, le Liban ne s’est pas effondré. Sa société reste vivante, réactive, inventive. Ses structures locales tiennent bon. Ses intellectuels, ses artistes, ses entrepreneurs continuent de produire, de créer, d’exporter. Cette résilience, souvent vantée, a cependant un prix. Elle repose sur l’endurance des individus plus que sur l’efficacité des institutions. Elle s’accompagne d’une fatigue collective, d’un exode massif, et d’un sentiment croissant d’injustice.

La transition libanaise est donc ambivalente. Elle est à la fois un moment de désintégration et un espace d’invention. Elle révèle la faillite d’un modèle, mais aussi la possibilité d’en bâtir un autre. Elle est marquée par la souffrance, mais aussi par des tentatives de reconstruction. Le pays vit une période charnière, où les règles du jeu ne sont plus claires, où les rôles se redéfinissent, et où les marges d’action dépendent de la capacité à fédérer des énergies éparses.

Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la sortie de crise. C’est la nature même de l’État libanais. Sa capacité à se repenser, à se régénérer, à offrir une nouvelle promesse collective. Le Liban ne manque ni de talents, ni d’idées. Il lui manque un cadre politique et institutionnel capable de les accueillir, de les articuler, de les faire fructifier. C’est cette construction qui décidera de l’issue de la transition.

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Newsdesk Libnanews
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