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Liban, qui détient la force ? Souveraineté en miettes et institutions sous tension

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Une souveraineté disloquée : héritage de la guerre et inertie post-conflit

Au Liban, la question du monopole de la violence légitime par l’État n’a jamais été pleinement résolue depuis la fin de la guerre civile. L’accord de Taëf, censé refermer une page sanglante de l’histoire, n’a pas permis de reconstituer un État centralisé exerçant une autorité exclusive sur l’ensemble du territoire. À la place, il a entériné un système de coexistence entre institutions fragiles et groupes armés communautaires, avec pour résultat une souveraineté partagée, voire concurrencée.

Cette souveraineté fragmentée est visible à plusieurs niveaux. Elle se manifeste par l’existence d’arsenaux militaires non contrôlés par l’État, de zones géographiques où les forces de sécurité nationales ne peuvent intervenir sans accord tacite des autorités locales, et d’une justice à géométrie variable selon l’influence des réseaux politiques. La violence devient un outil politique, un instrument de régulation, une variable de négociation. Elle n’est plus l’apanage de l’État, mais un bien partagé entre factions, confessions, et alliances fluctuantes.

Cette dislocation du pouvoir de contrainte a pour effet de réduire à l’état symbolique l’autorité régalienne. Les institutions sont perçues comme faibles, incapables d’imposer la loi de manière équitable, et souvent manipulées à des fins partisanes. Ce vide sécuritaire structurel a des répercussions directes sur la confiance des citoyens, la stabilité du pays et la possibilité de mettre en œuvre des politiques publiques cohérentes.

Une armée crédible mais politiquement encadrée

L’armée libanaise demeure l’une des institutions les plus respectées du pays. Son image de neutralité relative, son engagement dans la lutte contre le terrorisme, et son rôle de médiateur lors de tensions internes lui valent une reconnaissance large. Mais cette crédibilité ne s’accompagne pas d’une autonomie totale. L’armée évolue dans un cadre politique contraint, où ses marges de manœuvre sont limitées par des considérations communautaires et géopolitiques.

Son commandement doit en permanence composer avec les équilibres confessionnels, les pressions des partis, et les lignes rouges imposées par les forces armées non étatiques. Elle peut intervenir pour rétablir l’ordre, mais rarement pour remettre en cause un statu quo jugé politiquement sensible. Cette posture ambivalente limite sa capacité à faire respecter le monopole de la violence au profit exclusif de l’État.

L’armée bénéficie pourtant d’un soutien international conséquent, notamment des États-Unis, de la France, et de plusieurs pays arabes. Ce soutien se traduit par des livraisons d’équipements, des formations spécialisées, et une coopération opérationnelle renforcée. Mais il ne suffit pas à transformer l’armée en acteur stratégique de refondation nationale. Tant que le cadre politique ne lui donne pas un mandat clair, son rôle restera celui d’un garant de stabilité temporaire, plutôt que celui d’un vecteur de souveraineté restaurée.

Le Hezbollah, une force armée au sein de l’État

Le Hezbollah incarne la plus forte expression de cette dualité sécuritaire. Organisation politique représentée au Parlement et au gouvernement, il dispose également d’une branche militaire structurée, autonome, et dotée d’un arsenal sophistiqué. Sa capacité à mener des opérations indépendantes, y compris en dehors des frontières libanaises, en fait un acteur militaire à part entière, extérieur à la chaîne de commandement officielle de l’État.

Cette situation soulève des interrogations fondamentales sur la nature de la souveraineté au Liban. Un État peut-il être souverain lorsqu’une organisation armée, même ancrée dans le tissu social, dispose d’un pouvoir coercitif supérieur à celui de l’armée nationale dans certaines zones ? Le débat est récurrent, mais jamais tranché. Les autorités invoquent la nécessité d’un dialogue national sur la stratégie de défense. Le Hezbollah défend le principe de la « résistance » comme complément à l’armée. Les partenaires internationaux dénoncent une situation de double pouvoir sécuritaire.

Cette dualité nourrit un sentiment d’inégalité devant la loi. Dans les zones où le Hezbollah est dominant, les forces de sécurité nationales interviennent peu, voire pas du tout. Les mécanismes judiciaires y sont souvent doublés de structures informelles de résolution des conflits. Cette organisation parallèle repose sur une forte implantation communautaire, mais elle rompt l’universalité du droit. Elle contribue à un morcellement de la souveraineté, où l’autorité publique devient relative, négociée, fragmentaire.

Le maintien de cette configuration repose sur un équilibre instable. Toute tentative de remise en cause frontale peut déboucher sur une crise majeure. Toute tentative d’intégration graduelle suppose un consensus politique large, aujourd’hui introuvable. Cette impasse sécuritaire constitue l’un des principaux obstacles à la reconstruction d’un État souverain, capable d’imposer ses normes, de faire respecter ses lois, et d’assurer la protection de tous les citoyens de manière équitable.

Les zones grises de l’autorité : féodalités locales et clientélisme

La problématique du monopole de la violence ne se limite pas aux grands équilibres géopolitiques. Elle se joue aussi à l’échelle locale, dans les interstices d’un État faible. Dans de nombreuses régions, l’autorité est exercée de facto par des leaders communautaires, des chefs traditionnels, ou des figures politiques locales disposant de milices privées ou de réseaux de solidarité armée. Ces acteurs contrôlent l’accès aux services, distribuent les ressources, et assurent la sécurité en dehors du cadre légal.

Ces « féodalités modernes » sont tolérées, voire encouragées, par les partis politiques dominants. Elles leur permettent de maintenir leur emprise électorale, de contrôler les territoires, et de contourner les procédures officielles. Ce système de clientélisme armé perpétue une culture de l’impunité. Il renforce le sentiment d’abandon chez les citoyens, notamment ceux qui ne bénéficient pas de ces protections informelles.

Les forces de l’ordre, souvent sous-dotées et mal encadrées, sont reléguées à des fonctions symboliques ou administratives. Leur capacité à intervenir est entravée par des jeux d’influence. Dans certains cas, elles doivent négocier leur présence sur le terrain avec les autorités locales non officielles. Cette réalité vide le concept même de souveraineté de son contenu. L’État devient une abstraction, alors que le pouvoir réel s’exerce dans les réseaux, les clans, et les allégeances personnelles.

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Newsdesk Libnanews
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