Fanny Reniou, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC); Aurélien Rouquet, Neoma Business School et Elisa Monnot, Université de Cergy-Pontoise

Selon les chiffres de l’Ademe, 28 tonnes de déchets sont produites en France chaque seconde ; leur bonne gestion constitue aujourd’hui un enjeu crucial pour le développement durable. Sur le plan environnemental, le tri des déchets permet en effet d’économiser les ressources naturelles et de limiter les pollutions. Sur le plan économique, il permet de limiter les frais de gestion liés au traitement des ordures. À titre d’illustration, le service public de gestion des déchets aura coûté en moyenne 89 euros HT par habitant en 2012.

La question est tout particulièrement cruciale pour les déchets ménagers issus de l’activité domestique des foyers. Un Français en produit en moyenne 354 kilos chaque année. Dans cet ensemble, on trouve les résidus alimentaires, les emballages, les bouteilles, les cartons, les papiers ou encore les journaux.

Or les Français ne sont que 44 % à trier systématiquement leurs déchets ; et 13 % ne le font jamais. D’après le dernier rapport de l’Agence européenne de l’environnement, la France est d’ailleurs en retard par rapport à ses voisins : seulement 37 % des déchets sont recyclés, contre 63 % pour l’Autriche, 62 % pour l’Allemagne ou encore 58 % pour la Belgique. Concernant précisément les déchets ménagers, seuls 23 % sont triés, alors que l’objectif est d’atteindre d’ici 2020 les 50 %.

Des niveaux de tri disparates

Pour comprendre comment encourager le tri, certaines études (comme celles de Vining et Ebreo ou de Granzin et Olsen) se sont intéressées au profil sociodémographique des trieurs (âge, revenu, niveau d’éducation, sexe) ainsi qu’à leurs motivations « internes » (attitude environnementale, croyances, valeurs) et « externes » (normes sociales, incitations financières, lois). D’autres travaux (à l’image de ceux de Thogersen ou de Berger) ont souligné le rôle du contexte, c’est-à-dire du lieu de tri, de la place au domicile ou de la distance des points de collecte.

Ces recherches ne suffisent cependant pas à expliquer la disparité des niveaux de tri.

Quels que soient ses motivations et le contexte dans lequel il agit, le consommateur qui veut trier doit en effet être capable de surmonter de nombreux problèmes « logistiques ». Quels types de bacs utiliser ? Où stocker les déchets ? Quand et comment les expédier ? De quelle manière les consommateurs assurent-ils et coordonnent-ils la logistique requise par le tri des déchets ? C’est la question traitée dans l’étude que nous avons conduite sur les logistiques du tri mises en place par vingt trieurs à leur domicile.

Comment trions-nous ?

Les résultats de la recherche montrent que les consommateurs utilisent trois types de logistiques différentes pour trier leurs déchets.

Il y d’abord la « massification », qui consiste à dédier un espace important au stockage et à la séparation des déchets au domicile et à réaliser l’expédition seulement quand les stocks débordent. C’est le cas de Célia :

« La plupart du temps j’attends vraiment qu’il y ait un gros cumul, un grand sac bien plein de plein de bouteilles pour aller les porter. »

Il y a ensuite le « juste-à-temps », qui consiste à expédier les déchets rapidement, dès qu’ils sont produits, comme en témoigne Boris, un consommateur vivant dans un très petit appartement :

« N’ayant pas de place, je mélange mon plastique avec mon verre chez moi, et après je suis obligé, quand je descends pour jeter, de tout poser et de faire ma répartition en bas… »

Il y a enfin la « mutualisation », qui consiste soit à se servir d’autres logistiques du quotidien pour expédier les déchets – notamment les sorties pour effectuer les courses alimentaires –, soit à profiter des flux de déchets d’autres ménages voisins, comme l’explique Judith :

« En général, j’ai un gros sac et c’est un peu encombrant, donc je préfère y aller en voiture, et je me débrouille pour que ça coïncide avec un trajet pour aller faire des courses ou déposer ma fille à la crèche. »

Presque comme dans une entreprise

La recherche met ainsi en évidence que les individus, pour trier, appliquent les grands principes logistiques utilisés par les entreprises. Cela témoigne du caractère universel de l’enjeu logistique, qui est d’assurer et coordonner des activités physiques : de l’approvisionnement au transport d’un point de départ à un destinataire final, en passant par la production et le stockage. Trois différences doivent toutefois être signalées entre les consommateurs et les entreprises.

D’abord, alors que les entreprises voient dans les flux physiques des unités logistiques aux caractéristiques objectives (fragilité, poids, taille, etc.) qu’ils gèrent rationnellement, les individus, eux, accordent de l’importance au rapport aux déchets. Leurs logistiques sont dictées par des principes rationnels mais aussi sensoriels (le dégoût lié aux odeurs ou à la saleté des déchets par exemple).

Ensuite, alors que les entreprises font en sorte d’adapter leurs ressources à la logistique mise en place, les consommateurs adaptent plutôt leur logistique à leurs ressources, leur domicile. Sur cette question des ressources, les moyens de transport dont disposent les individus influent aussi sur les logistiques.

Enfin, les logistiques des entreprises s’appuient sur des dispositifs formalisés : des systèmes d’information, des fonctions logistiques institutionnalisées, des indicateurs de mesure de performance, etc. À la différence des entreprises, les individus font davantage appel à leur créativité et s’appuient sur des micropratiques pour faire face aux « rugosités » du quotidien, pour reprendre l’expression de Dominique Desjeux, qui structurent la vie domestique : compactage des emballages, superposition et stockage vertical, etc.

Bande-annonce de l’exposition « Vie d’ordures » jusqu’au 14août au Mucem (Mucem, 2017).

Améliorer les capacités logistiques des trieurs

Les résultats de notre recherche ont montré qu’au-delà des actions mises en place par les acteurs institutionnels (collectivités locales, syndicats intercommunaux, Ademe, État) en termes d’incitation ou d’information sur les règles de tri, d’autres initiatives relatives à l’accompagnement logistique des consommateurs méritent d’être considérées.

D’abord, afin de limiter l’encombrement physique des déchets au domicile, les incitations à l’achat de produits avec moins d’emballage, compactables ou rechargeables doivent être poursuivies. À titre d’exemple, Danone a récemment modifié ses packs d’eau Evian en supprimant l’emballage plastique servant à regrouper les bouteilles pour laisser place à quelques points de colle.

Pour limiter le caractère peu hygiénique des systèmes de collecte, des améliorations pourraient ensuite être proposées, comme le développement de conteneurs munis de trappes s’ouvrant avec les pieds plutôt qu’avec les mains.

La poubelle italienne Ovetto et ses containers de tri.
DR

Au niveau des bacs de tri, qui jouent un rôle primordial au domicile, les acteurs de la gestion des déchets pourraient avoir intérêt à équiper systématiquement les individus de bacs de tri individuels et personnalisés en fonction de leur contexte de tri (formats adaptés à la fois au stockage et à l’expédition). Si cela n’est vraisemblablement pas encore proposé car difficile à mettre en place, de nombreuses poubelles innovantes existent aujourd’hui, plus esthétiques et pratiques.

Pour lutter contre la contrainte de déplacement jusqu’aux points de collecte, les nouveaux programmes immobiliers collectifs pourraient intégrer des réceptacles dédiés, directement accessibles depuis les appartements à la manière de « vide-ordures » conçus avec des matériaux permettant d’éviter les nuisances sonores et hygiéniques.

On pourrait aussi penser à impliquer les distributeurs, qui livrent de plus en plus les courses à domicile, en leur donnant pour mission de repartir avec les déchets recyclables une fois leur livraison effectuée et favoriser ainsi des retours de tournées. Ceci favoriserait grandement la logistique inversée.

Enfin, la communication autour du tri demeurant essentielle, la présence de spécialistes logistiques dans les communes pourrait être envisagée afin de répondre aux questions des individus et les accompagner dans le déploiement d’une organisation qui leur convienne.

Les initiatives logistiques en matière de tri doivent continuer à se développer en visant davantage d’efficacité. En région nantaise, la Tricyclerie collecte ainsi à vélo les déchets organiques de restaurants pour les composter dans des jardins collectifs voisins. Un bel exemple de mutualisation de la logistique du tri !

Fanny Reniou, Maître de conférences, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC); Aurélien Rouquet, Professeur de logistique et supply chain, Neoma Business School et Elisa Monnot, Maître de conférences, Université de Cergy-Pontoise

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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