Une campagne sous tension dans le Nord
La tenue des élections municipales dans les régions du Nord-Liban, en particulier à Tripoli et dans le Akkar, a été marquée par une série d’incidents de sécurité, de tensions communautaires et d’actes de violence à caractère politique. Ces deux régions, historiquement sensibles et fragilisées par des décennies de marginalisation structurelle, ont connu une campagne électorale sous haute surveillance. Le déroulement du scrutin a été émaillé d’épisodes d’affrontements verbaux, de rassemblements non autorisés, de tirs de joie incontrôlés, et d’interventions répétées des forces de sécurité pour contenir des mouvements de foule.
Multiplication des incidents électoraux
Dans plusieurs quartiers de Tripoli, notamment à Bab al-Tebbaneh, Jabal Mohsen, Qobbeh, et Mina, des groupes de jeunes ont été vus en train de circuler armés ou d’ériger des points de contrôle informels autour des bureaux de vote. Des échauffourées ont éclaté à proximité de centres de vote, parfois liées à des contestations sur les listes électorales ou à la présence de délégués de partis rivaux. Dans certains cas, des urnes ont été temporairement bloquées par des groupes contestant la régularité du processus.
Dans le Akkar, des incidents similaires ont été observés dans les localités de Halba, Bireh, et Bebnine, avec des tensions entre familles influentes et partisans de différentes listes municipales. Des tirs de joie, en dépit de leur interdiction, ont retenti dans plusieurs villages, déclenchant l’intervention des forces de sécurité. Plusieurs interpellations ont eu lieu au cours de la journée électorale.
Déploiement renforcé des forces de sécurité
Face à la recrudescence des troubles, un dispositif sécuritaire renforcé a été mis en place dans tout le Nord. L’armée libanaise a été déployée autour des principaux bureaux de vote, épaulée par les Forces de sécurité intérieure. Des patrouilles mixtes ont assuré la surveillance des points sensibles, en particulier à Tripoli où le spectre des violences interquartiers restait présent.
Des barrages mobiles ont été installés sur les axes menant aux bureaux de vote pour limiter les rassemblements motorisés non autorisés. À plusieurs reprises, les unités d’intervention rapide sont intervenues pour séparer des partisans rivaux ou disperser des groupes armés.
Dans certains cas, les électeurs ont exprimé leur inquiétude quant à la sécurité des urnes, incitant les autorités à assurer un transport sécurisé des bulletins vers les centres de dépouillement.
Rivalités communautaires et enjeux d’ancrage local
Les tensions observées dans la campagne électorale trouvent leur origine dans la structuration clanique, communautaire et partisane du paysage local. À Tripoli, plusieurs listes soutenues par des chefs de quartiers, des figures religieuses sunnites et des réseaux économiques concurrents se sont affrontées dans une logique de captation de l’espace public.
Certaines formations ont misé sur un discours de revitalisation économique et de gestion municipale moderne, tandis que d’autres ont ancré leur campagne dans une rhétorique identitaire centrée sur la défense des quartiers. Les rivalités entre mouvements islamistes, groupes traditionnels liés aux anciens parlementaires, et candidats issus de la société civile ont accentué les lignes de fracture.
Dans le Akkar, les dynamiques électorales restent marquées par les équilibres tribaux, les loyautés familiales et les appartenances religieuses, notamment entre les communautés sunnites et chrétiennes dans certaines localités. Les pressions communautaires sur les électeurs ont été signalées dans plusieurs villages, sans intervention directe des autorités.
Participation inégale et abstentionnisme politique
Malgré une forte mobilisation des formations politiques, les taux de participation se sont révélés inégaux. Dans les quartiers de Tripoli historiquement marginalisés, la participation est restée faible, en raison d’une désillusion croissante vis-à-vis du processus électoral. Des observateurs locaux ont constaté une abstention élevée chez les jeunes électeurs, en particulier ceux issus des mouvements contestataires ayant émergé depuis octobre 2019.
Dans les zones rurales du Akkar, la participation a été plus importante, notamment là où les structures communautaires et familiales exercent une influence directe sur le comportement électoral. Dans plusieurs villages, des listes consensuelles ont été imposées sans véritable concurrence, contribuant à une mobilisation mécanique des électeurs.
Mécanismes de pression et d’achat de voix
Des pratiques d’achat de voix ont été rapportées dans de nombreuses circonscriptions, sous forme de distribution d’argent liquide, de bons alimentaires ou de promesses d’emplois municipaux. Ces pratiques, bien que dénoncées par les associations de surveillance électorale, se sont poursuivies dans un climat d’impunité.
Des candidats ont également eu recours à des promesses de services publics immédiats, tels que l’installation de générateurs, la réhabilitation de routes locales ou le financement d’activités religieuses, pour s’assurer le soutien d’électeurs ou de notables influents.
Dans plusieurs cas, des électeurs ont indiqué avoir subi des pressions de la part de figures communautaires pour voter en faveur d’une liste donnée. Ces méthodes ont particulièrement visé les populations les plus précaires, dépendantes de l’aide humanitaire ou des réseaux de solidarité confessionnelle.
Violence symbolique et instrumentalisation de l’espace public
Outre les violences physiques et les actes d’intimidation, la campagne électorale a été marquée par une forte charge symbolique. Les murs des villes ont été recouverts d’affiches représentant des figures locales accompagnées de slogans à forte teneur identitaire.
Des drapeaux, banderoles et images religieuses ont été apposés dans l’espace public pour signifier la domination d’un groupe sur un quartier. Dans certains cas, des affiches de listes concurrentes ont été arrachées ou recouvertes dans des actes perçus comme des provocations.
L’usage des haut-parleurs, la tenue de cortèges de voitures, et les rassemblements festifs ont contribué à accentuer les tensions perceptibles dans les zones mixtes. Des affrontements verbaux ont éclaté à proximité des mosquées, des cafés et des marchés, espaces traditionnellement investis à des fins de propagande.
Rôle ambigu des autorités locales et absence de médiation civile
Les autorités municipales sortantes ont parfois été accusées de partialité ou de soutien tacite à certaines listes. Des accusations ont été portées contre des fonctionnaires locaux pour leur implication dans l’organisation des campagnes ou leur inertie face aux désordres.
Aucun dispositif de médiation indépendant n’a été mis en place pour anticiper les conflits électoraux. Les associations locales, bien que mobilisées pour la sensibilisation, n’ont pas pu freiner l’intensification des confrontations dans les jours précédant le scrutin.
Dans les localités les plus isolées du Akkar, l’absence de représentants d’associations ou de journalistes a limité la documentation des abus. Certains villages n’ont reçu aucun observateur extérieur, et les résultats y ont été proclamés sans vérification indépendante.
Discours de victoire et contestations post-scrutin
Dans les heures suivant la fermeture des bureaux de vote, plusieurs candidats se sont déclarés vainqueurs avant la fin du dépouillement officiel. Des cortèges ont sillonné les rues, diffusant de la musique partisane et provoquant parfois les partisans des listes rivales.
Des scènes de liesse ont dégénéré en affrontements, nécessitant de nouvelles interventions des forces de sécurité. Dans certains quartiers, des tensions ont perduré dans la nuit suivant l’annonce partielle des résultats.
Des recours ont été déposés devant les autorités judiciaires par des candidats dénonçant des irrégularités dans le déroulement du vote, le transport des urnes ou la compilation des résultats. Les instances électorales locales ont affirmé que toutes les procédures avaient été respectées, sans que ces déclarations parviennent à apaiser les tensions.