dimanche, avril 27, 2025

Les derniers articles

Articles liés

Yassine Jaber : Pas de suppression des dépôts bancaires et fermeté sur les armes du Hezbollah

- Advertisement -

Le ministre des Finances libanais, Yassine Jaber, a dévoilé aujourd’hui une double stratégie gouvernementale face à deux dossiers brûlants : la crise des dépôts bancaires et les armes du Hezbollah. Dans une déclaration visant à rassurer, il a affirmé que le gouvernement ne supprimera pas les dépôts des citoyens, préférant un mécanisme organisé pour les restituer progressivement. Sur le front sécuritaire, il a exclu toute négociation des armes du Hezbollah pour obtenir un soutien international, tout en vantant des progrès dans l’application de la Résolution 1701 de l’ONU. Cependant, ces annonces, relayées dans un entretien avec Hourra Arabia, suscitent des doutes parmi les observateurs, qui critiquent l’irréalisme du plan bancaire dans une économie exsangue et soulignent les limites d’une approche sécuritaire prudente face aux pressions internationales.

Un mécanisme de restitution des dépôts sous le feu des critiques

Yassine Jaber, récemment nommé ministre des Finances dans le gouvernement de Nawaf Salam formé en février 2025, a tenté de répondre aux attentes des millions de Libanais dont les dépôts bancaires sont gelés depuis la crise de 2019. « Le gouvernement ne recourra pas à une suppression des dépôts, mais adoptera un mécanisme organisé pour les restituer progressivement », a-t-il déclaré. Cette promesse intervient alors que la crise économique, déclenchée par des décennies de mauvaise gestion et de corruption, a vu la livre libanaise perdre plus de 97 % de sa valeur et plus de 80 % de la population plonger sous le seuil de pauvreté, selon des estimations de 2023.

Depuis 2019, les restrictions bancaires ont bloqué l’accès des déposants à leurs fonds, transformant des économies personnelles en actifs virtuels. Les gouvernements précédents avaient flirté avec des plans de « haircut » – une réduction forcée des dépôts – qui auraient amputé les avoirs, notamment ceux des gros comptes, provoquant une levée de boucliers parmi les citoyens et les associations de défense des déposants. Jaber, un ancien député et homme d’affaires connu pour ses critiques des élites avant son retour au gouvernement, semble vouloir éviter cette solution radicale. Cependant, sa proposition d’un échelonnement progressif des restitutions soulève de sérieuses réserves.

Les observateurs et spécialistes financiers estiment que ce plan est irréalisable dans la situation actuelle des banques libanaises. Les pertes du secteur, initialement estimées à 70 milliards de dollars en 2020, se sont aggravées depuis 2019 en raison de la dévaluation continue de la monnaie, de la chute des actifs bancaires et de l’incapacité à récupérer les prêts accordés à l’État et au secteur privé. Jusqu’en 2023, les négociations avec le FMI pour un plan de sauvetage de 3 milliards de dollars avaient échoué, faute d’accord sur la répartition de ces pertes entre les déposants, les actionnaires et l’État. En 2025, avec une économie toujours en chute libre – aggravée par la guerre de 2024 contre Israël – les banques n’ont ni la liquidité ni les ressources pour financer une restitution, même graduelle, sans un soutien externe massif.

De plus, les analystes notent que l’échelonnement des dépôts sur de nombreuses années, comme le suggère Jaber, se ferait au détriment d’une relance rapide de l’économie. En étalant les remboursements sur une décennie ou plus, le gouvernement priverait les ménages et les entreprises de liquidités immédiates, essentielles pour relancer la consommation et l’investissement dans un pays où le PIB a chuté de plus de 40 % entre 2018 et 2023. « Cette approche pourrait calmer les tensions à court terme, mais elle paralyse toute perspective de reprise économique sérieuse », avertissent les experts, qui soulignent que la confiance dans le système bancaire, déjà au plus bas, risque de s’effondrer davantage face à des promesses perçues comme irréalistes.

Les armes du Hezbollah : une position ferme mais limitée

Sur le dossier sécuritaire, Jaber a adopté une stance intransigeante : « Les armes du Hezbollah ne seront pas négociées pour obtenir un soutien international. » Cette déclaration intervient alors que les États-Unis, la France et d’autres partenaires conditionnent leur aide à des réformes, y compris le désarmement des milices, tel que prévu par les Résolutions 1559 (2004) et 1701 (2006) de l’ONU. Le Hezbollah, soutenu par l’Iran, reste une force militaire et politique dominante au Liban, malgré les pressions internationales et les appels internes à limiter son influence armée.

La guerre de 2024 contre Israël, qui a fait des milliers de victimes et déplacé 1,4 million de personnes, a exacerbé les tensions autour de cet arsenal. Le cessez-le-feu du 27 novembre 2024, prolongé jusqu’au 18 février 2025, a marqué une pause dans les hostilités, mais des violations persistantes – comme les frappes israéliennes du 16 mars 2025 – maintiennent une menace latente. Jaber a vanté des avancées dans l’application de la Résolution 1701 : « Les armes ont été retirées du sud du Liban, et les forces de l’ONU se sont déployées pour garantir la stabilité », a-t-il affirmé, faisant référence à la zone entre la Ligne bleue et le fleuve Litani, censée être démilitarisée.

Ces progrès sont réels mais partiels. Depuis le cessez-le-feu, l’armée libanaise a renforcé sa présence dans le Sud, et la FINUL a intensifié ses patrouilles, répondant aux exigences de la Résolution 1701, qui réserve cette région aux forces étatiques et internationales. Cependant, Jaber a tempéré cet optimisme : « Les armes dans les régions au nord du Litani ne seront pas retirées en quelques semaines. » Cette distinction reflète une réalité complexe : si le Hezbollah a réduit ses activités militaires au Sud pour respecter le cessez-le-feu, son arsenal au nord – incluant des roquettes et missiles sophistiqués – reste intact, hors du champ immédiat de la résolution.

Les observateurs critiquent cette position comme un compromis insuffisant. En refusant de lier les armes du Hezbollah au soutien international, Jaber évite une confrontation directe avec le groupe, qui conserve un poids politique via ses alliés comme le mouvement Amal de Nabih Berri, dont Jaber est proche. Mais cette fermeté risque de frustrer les partenaires occidentaux, qui exigent un désarmement complet pour débloquer une aide substantielle à la reconstruction, estimée à des dizaines de milliards de dollars après la guerre de 2024. « Maintenir les armes au nord du Litani perpétue une ambiguïté qui pourrait compromettre les efforts de stabilisation à long terme », notent les analystes, soulignant que la Résolution 1559, plus large, appelle à la dissolution de toutes les milices, un objectif que Jaber élude.

Une stratégie fragile dans un contexte critique

Les annonces de Jaber s’inscrivent dans une tentative de naviguer entre des impératifs économiques et sécuritaires dans un Liban en ruines. La crise bancaire, qui a gelé les dépôts depuis 2019, reste un abcès non résolu. Les pertes, aggravées par la dévaluation et les destructions de la guerre, dépassent désormais les estimations initiales, rendant le plan de restitution graduelle illusoire sans une recapitalisation massive des banques – un scénario improbable sans un accord avec le FMI ou des donateurs comme l’Arabie saoudite, qui hésitent face à l’influence persistante du Hezbollah.

Les critiques des spécialistes soulignent que cet échelonnement prolongé sacrifie la relance économique sur l’autel d’une stabilité politique précaire. « Les déposants ont besoin d’argent maintenant, pas dans dix ans », insistent-ils, notant que la consommation et l’investissement, moteurs de toute reprise, resteront étouffés tant que les fonds resteront bloqués. Cette approche contraste avec des modèles comme celui de Chypre en 2013, où des mesures rapides, quoique douloureuses, avaient permis une stabilisation plus rapide. Au Liban, la procrastination risque d’aggraver une crise sociale déjà explosive, dans un pays où la sécheresse de 2025 et les coupures d’électricité amplifient les difficultés quotidiennes.

Sur le plan sécuritaire, la position de Jaber sur le Hezbollah reflète un pragmatisme teinté de prudence. Sous la présidence de Joseph Aoun, élu en janvier 2025, et le gouvernement Salam, le Liban s’est engagé à appliquer la Résolution 1701 pour sécuriser le Sud, un effort salué par les États-Unis et la France, qui ont négocié le cessez-le-feu. Cependant, en excluant les armes au nord du Litani des discussions, Jaber limite la portée de cette avancée, maintenant un statu quo qui satisfait le Hezbollah mais irrite les bailleurs de fonds. Cette stratégie pourrait débloquer une aide partielle à court terme, mais elle compromet les espoirs d’une solution durable, alors que les tensions avec Israël – marquées par des violations récentes – restent une menace constante.

Un équilibre précaire entre promesses et réalités

Les déclarations de Jaber visent à projeter une image de contrôle dans un pays au bord du gouffre. En promettant la restitution des dépôts sans préciser les moyens, il tente de calmer une population désabusée, mais les observateurs doutent de la viabilité de ce plan face à des banques exsangues et une économie paralysée. En affirmant que les armes du Hezbollah ne sont pas à négocier, il préserve une unité fragile au sein du gouvernement, mais au prix d’un bras de fer potentiel avec les partenaires internationaux.

Dans un Liban confronté à une sécheresse historique, une guerre récente et une crise bancaire sans fin, la stratégie de Jaber apparaît comme un exercice d’équilibriste. Si elle évite des décisions impopulaires immédiates, elle repousse les réformes radicales nécessaires à une véritable relance, laissant planer le spectre d’un échec retentissant dans un pays qui n’a plus de marge d’erreur.

- Advertisement -
Newsdesk Libnanews
Newsdesk Libnanewshttps://libnanews.com
Libnanews est un site d'informations en français sur le Liban né d'une initiative citoyenne et présent sur la toile depuis 2006. Notre site est un média citoyen basé à l’étranger, et formé uniquement de jeunes bénévoles de divers horizons politiques, œuvrant ensemble pour la promotion d’une information factuelle neutre, refusant tout financement d’un parti quelconque, pour préserver sa crédibilité dans le secteur de l’information.

A lire aussi