Les derniers articles

Articles liés

 Tribune: L’espoir, est-il vraiment permis ? Par Mona Makki

- Advertisement -

« Vous les Libanais de la Diaspora, pourquoi vous faut-il toujours espérer, malgré les années qui passent, malgré les désillusions et malgré les épreuves ? »

A chaque fois qu’on me pose cette question je réponds que dès l’instant où vous le quittez, le Liban ne vous quitte plus. Il vous devance, il vous suit, et où que vous soyez, il surgit tel un vieux parfum enfoui qu’une brise attise, et vous happe par surprise.

J’ai quitté mon pays après les premiers massacres, les premières déchirures, les premières haines de la guerre dite « civile ». Nous étions des centaines de milliers à croire que ce serait un exil de courte durée. Ne dit-on pas que toutes les guerres ont une fin ?

Oui mais la guerre au Liban était partie pour durer. C’était écrit ! Avec le recul, on réalise que c’était écrit, depuis 1969, depuis les accords du Caire, c’était écrit, en catimini.

Soumis aux pressions populaires qui pouvaient menacer leurs régimes dans leurs pays respectifs, Les dirigeants du monde arabe, réunis dans la capitale égyptienne, se devaient d’offrir à la résistance armée palestinienne, qui le réclamait, un front dédié à ses opérations militaires contre Israël.

Face au niet catégorique de la Syrie et de la Jordanie, deux des trois pays limitrophes de l’Etat hébreu, le choix du Liban, maillon faible de la région, était une évidence.

C’est ainsi que, sans aucune concertation avec le Parlement, les hautes autorités de l’Etat libanais ont signé des accords obscurs livrant, d’une manière arbitraire, le sud du pays, terres et âmes, à diverses organisations palestiniennes de fedayin qui l’ont transformé en champ d’opérations.

C’est ainsi que Le Liban, pays déjà fragmenté et démuni, fut aspiré dans la tourmente infernale pour quelques décennies. Les armes palestiniennes, la domination syrienne, l’occupation israélienne, la toile iranienne…

Ainsi se faire la guerre sur le sol libanais, en embrigadant des Libanais, bons partisans et toujours partants, s’est révélé bien plus pratique et beaucoup moins coûteux.

Dans les années 50, à la question qu’est-ce qu’être Libanais ou bien qu’est-ce qui définissait le Liban, nos aînés les plus fanfarons répondaient que nous étions des Phéniciens, que le Liban était la Suisse de l’Orient. D’autres, à court de concept, avaient recours à l’affirmation par la négation,  être Libanais c’est ne pas être Syrien, ni Palestinien, ni Jordanien, ni Irakien.

Les théoriciens du panarabisme professaient, eux, du haut de leur chaire, que le Liban était une création artificielle, dessinée par les accords de Sykes-Picot et parrainée par le Mandat français.

Les nations sont souvent l’aboutissement d’une histoire douloureuse, chaotique et même sanglante, c’est à ce prix qu’une identité et qu’un destin partagé se forgent. Les Libanais en la matière ont lourdement payé le tribut. Peu de pays ont été soumis, à travers l’histoire, à autant d’épreuves, à autant de fractures, à autant de radicalisation, sans se scinder, sans se morceler.

Durant les dernières années, le Liban a connu deux chapitres fondateurs.

 Le premier débute le 17 octobre 2019, dans la soirée. Une manifestation spontanée se lance dans les rues de la capitale contre «la taxe WhatsApp» , la goutte d’eau jugée inique, et même cynique, sur fond de crise économique. La contestation enfle. Une révolte populaire massive contre la classe dirigeante  envahit Beyrouth et s’étend à d’autres villes et à d’autres régions du pays.

L’énergie libérée place de l’Indépendance a surpris tous ceux qui connaissaient le Liban, elle a surpris les Libanais eux-mêmes qui étaient dépassés par la force  et l’ampleur de leur soulèvement contre un pouvoir trop longtemps confisqué, pour un nouveau Liban.

Comme des milliers de la diaspora j’avais accouru. Nous voulions en faire partie. Voir le Liban libéré de ses démons et mourir ! Quelques mois plus tard,  personne n’était mort, et Liban n’était pas libéré.

Cette révolution inachevée n’a pas eu le temps de se structurer en une force politique parce que les ennemis jurés d’hier qui se partageaient le pouvoir depuis de longues années, étaient devenus, en une nuit, les meilleurs alliés afin d’étouffer dans l’œuf toutes velléités de changement et de mettre en échec les aspirations d’un peuple qui voulait leur signifier la fin d’un système clanique et sclérosé.

Au-delà de la parenthèse grisante de l’automne 2019, les pages écrites par plus d’un million de Libanais à travers le pays ne peuvent plus être effacées. Elles sont définitivement gravées dans notre histoire commune, dans notre logiciel collectif et dans notre perception du possible.

Ce qui fut accompli en octobre 2019 est loin d’être anecdotique :

Pour la première fois des Libanais de toutes les confessions, de toutes les régions, de tous les âges, de tous les milieux, affluaient tous les jours vers  la place des Martyrs rebaptisée place de l’Indépendance.

Pour la première fois l’individu avait droit à toute sa place au sein d’une dynamique à l’échelle d’un pays, d’une nation, d’une Patrie.

Pour la première fois la fraternisation observée au sein des foules joyeuses, affranchies, balayait naturellement les barrières des préjugés et des allégeances.

Pour la première fois les femmes libanaises, indépendamment de leur appartenance religieuse ou sociales, ont investi un espace commun de débats et de lutte. Leur mobilisation aux côtés des ONG locales et leur contribution à la logistique quotidienne pour soutenir les manifestants, ont été décisives.

Tout commence par un rêve, or pour la première fois le rêve était permis.

Le deuxième chapitre fondateur est celui de la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth qui a fait plus de 200 morts, et environ 7000 blessés. Une déflagration apocalyptique, considérée comme l’une des plus graves explosions non nucléaires de l’histoire. Des quartiers historiques de Beyrouth comme ceux de Gemmayzeh et d’Achrafieh, où réside depuis des siècles une forte communauté chrétienne, ont été ravagés,

77 000 bâtiments furent endommagés et 300 000 personnes étaient sans abri.

Une tragédie nationale face à laquelle l’Etat libanais s’était illustré par une absence coupable et un silence assourdissant.

 Et c’est au cœur de ce cauchemar qu’a surgi l’espoir. La société civile libanaise que l’on croyait futile et individualiste s’est spontanément mobilisée dans un élan émouvant de solidarité.

Une jeunesse volontaire équipée uniquement de pelles, de seaux et de balais, affluait des quatre coins du Liban pour aider, consoler, retirer des morceaux de verre brisé, colmater des trous et des brèches, évacuer des gravats…

Ces scènes de résilience collective face à l’adversité nous ont appris un peu plus sur nous-mêmes, quel peuple nous étions et ce que nous valons.

Mais ces pages d’élan patriotique ont été occultées par la faillite économique et financière et par une crise sociale et humanitaire qui a plongé le pays dans une douloureuse précarité.

L’année 2024 fut, elle, celle de tous les dangers pour le pays du Cèdre.

Après plusieurs mois d’affrontements frontaliers au sud entre le Hezbollah et Israël, le Liban, paralysé depuis des années par le blocage de ses Institutions politiques et démocratiques, fut condamné à assister, impuissant, au mois de novembre de cette année, à une offensive radicale menée par l’aviation israélienne contre les positions du Hezbollah, dans la capitale libanaise, au sud, et sur l’ensemble du territoire national.

L’intensité des ravages causés par ces attaques et l’exode interne de centaines de milliers de déplacés sans abris, ont réveillé un sentiment amer d’un pays confisqué, isolé, abandonné, au bord du précipice.

La défaite militaire subie par le Hezbollah ainsi qu’un bouleversement de la conjoncture régionale et internationale, vont incroyablement rebattre les cartes et permettre au Liban de renaître de ses cendres dès 2025.

Après deux longues années de vacance à la tête de l’Etat faute d’accord entre les partis, Joseph Aoun est confortablement élu président de la République début janvier, obtenant 99 voix sur 128 députés. En février, Nawaf Salam, Premier ministre désigné, forme un nouveau gouvernement sous le signe de la « réforme » et du « salut ». Deux profils, un commandant en chef de l’armée et un ancien président de la Cour internationale de Justice, deux personnalités qui ne sont pas issues du sérail politique traditionnel, inamovible depuis des décennies et honni par la majorité des Libanais.

Une rupture historique est assumée. D’emblée, les engagements du tandem exécutif ne souffrent d’aucune ambiguïté. Il s’agit « de restaurer l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire, de le redoter du monopole des armes, de rétablir la confiance avec les citoyens, avec les voisins arabes, avec la communauté internationale, de remettre sur les rails le système bancaire, de garantir la transparence, de restructurer la dette publique qui s’élevait à 280% en 2022 … »

Les défis sont titanesques mais certains pourraient être plus épineux que d’autres comme la question brûlante de l’indemnisation des déposants dont les avoirs sont illégalement bloqués dans les banques libanaises depuis l’automne 2019 à cause de la gestion délibérément opaque de la Banque du Liban (BDL) avec la complicité d’une caste politique corrompue.

L’autre question brûlante est celle de l’avenir de l’arsenal détenu par le Hezbollah qui, très affaibli après la guerre avec Israël, semble vouloir aujourd’hui mettre en avant sa casquette de formation politique mais demeure très évasif sur le désarmement de sa branche militaire. Aucun calendrier ni modalité d’exécution ne sont à l’ordre du jour.

Pour la première fois, le Hezbollah et son principal allié le mouvement chiite Amal de Nabih Berri, président du Parlement, n’ont pas obtenu le contrôle total sur le quota chiite. Leur participation à l’équipe gouvernementale est purement symbolique.

Qu’en est-il du soutien massif dont jouissait le Hezbollah au sein de la communauté chiite depuis 2006 ? Celui des « gens de la terre », les gens du sud et ceux des milieux populaires dans la banlieue de Beyrouth, à ne pas confondre avec les cadres et miliciens que l’on exhibait pour les grandes occasions avec en renfort des mises en scène soignées de démonstration de force.

Comment cette assise populaire a-t-elle réagi à la défection du régime iranien lorsque, sous les bombes, les familles furent jetées sur les routes avec femmes et enfants tels des réfugiés dans leur propre pays ?

Comment réagissent-ils aujourd’hui face à l’étendue des destructions qui les ont privés de leurs toits et de leurs terres brûlées, sans pouvoir compter sur des indemnisations décentes de la part du Parti de Dieu.

Il est difficile de le dire car nous ne disposons actuellement d’aucun outil de mesure fiable d’où l’importance des prochaines élections législatives prévues en 2026 qui pourraient valider l’émergence d’une nouvelle offre politique chiite indépendante, bloquée depuis plus de trois décennies.

Avant cette échéance cruciale, l’Etat a un rôle majeur à jouer pour redonner de l’autonomie à cette communauté en soutenant la reconstruction de ce qui fut pulvérisé par les frappes israéliennes dans les villages et les quartiers, et en garantissant sa sécurité au sud.

Il est par ailleurs utile de rappeler que la stabilité du Liban, de par sa situation géopolitique, n’a jamais été une affaire exclusivement intérieure.

Après les années noires de la dynastie des Assad, comment redéfinir les relations du Liban avec la Syrie d’Ahmad al-Chareh ? Quel avenir pour Gaza ?  Quels choix, quelle voie pour la société civile israélienne après la guerre ? Quelle sera la marge de manœuvre de la République islamique d’Iran dans le nouveau contexte mondial ? Quel rôle entend jouer l’Arabie saoudite de MBS ? Quel est le véritable dessein de la Turquie ? Quel sera le marchandage USA/Russie au Proche-Orient ? De quel poids pèsera l’Europe face aux empires ? Quels sont les desiderata de la feuille de route dont parle Donald Trump pour le Liban ?

Seul l’avenir le dira, mais en attendant, il est permis d’espérer…

*Productrice émissions Espace francophone

Réalisatrice

- Advertisement -
Newsdesk Libnanews
Newsdesk Libnanewshttps://libnanews.com
Libnanews est un site d'informations en français sur le Liban né d'une initiative citoyenne et présent sur la toile depuis 2006. Notre site est un média citoyen basé à l’étranger, et formé uniquement de jeunes bénévoles de divers horizons politiques, œuvrant ensemble pour la promotion d’une information factuelle neutre, refusant tout financement d’un parti quelconque, pour préserver sa crédibilité dans le secteur de l’information.

A lire aussi