Lors de la convention annuelle du Courant patriotique libre (CPL), son chef, Gébran Bassil, a lancé une mise en garde retentissante : « L’abolition du sectarisme politique n’est pas une réforme, mais une élimination de la communauté chrétienne au Liban. » Dans un discours incisif, Bassil a dénoncé une approche sélective du sectarisme qui, selon lui, menace l’existence même des chrétiens dans le pays, promettant une résistance farouche, y compris une « révolution », pour protéger leur place dans le système libanais. Soutenant une laïcité complète plutôt qu’une réforme partielle, il a également abordé la loi électorale et les armes du Hezbollah, réaffirmant l’engagement du CPL à préserver l’équilibre communautaire et la souveraineté nationale.
Une menace existentielle pour les chrétiens
Gébran Bassil, leader du CPL, a centré son discours sur une critique virulente de l’abolition du sectarisme politique telle qu’elle est parfois proposée. « Nous soutenons l’abolition du sectarisme, mais pas uniquement du sectarisme politique », a-t-il déclaré, soulignant que limiter la réforme à la sphère politique est une approche biaisée. « Ce n’est pas une abolition du sectarisme politique, mais une élimination de la communauté chrétienne au Liban, et nous y ferons face, comme nous ferons face à toute tentative d’éliminer une autre composante du pays », a-t-il averti, érigeant ce point en thème central de son intervention.
Pour Bassil, cette abolition sélective met en péril les chrétiens, qui forment environ un tiers de la population selon des estimations officieuses (le dernier recensement date de 1932). Le système confessionnel libanais, instauré par le Pacte national de 1943, garantit une répartition équilibrée des pouvoirs – président maronite, Premier ministre sunnite, président du Parlement chiite – et assure une représentation communautaire dans les institutions. Bassil argue qu’éliminer uniquement le sectarisme politique, sans toucher aux autres aspects de la vie sociale comme le mariage ou l’héritage gérés par des autorités religieuses, désavantagerait les chrétiens en les privant de leur rôle institutionnel, tandis que les autres communautés conserveraient leurs privilèges dans d’autres domaines.
« Nous sommes des laïcs, alors venez à une laïcité complète ! Quant à votre sélectivité dans l’abolition du sectarisme politique tout en le maintenant dans tous les autres aspects de la vie, nous la rejetterons », a-t-il ajouté. Cette position reflète une crainte profonde : sans un système qui garantit leur représentation, les chrétiens risquent de perdre leur influence dans un pays où la démographie et la politique pourraient favoriser une majorité musulmane. Bassil, qui a succédé à son beau-père Michel Aoun à la tête du CPL en 2015, s’appuie sur cette rhétorique pour mobiliser sa base, reprenant un narratif historique de défense des droits chrétiens face à des réformes perçues comme déséquilibrées.
Une révolution pour protéger l’équilibre communautaire
Bassil a poussé son argumentation plus loin en mettant en garde contre toute « manipulation des composantes, de la Constitution, du Pacte national et de la raison d’être de ce pays ». Il a promis une résistance sans compromis, déclarant : « Nous sommes prêts à mener une révolution pour empêcher une telle tentative. » Cette menace d’une « révolution » souligne l’importance qu’il accorde à la préservation de l’équilibre communautaire, qu’il voit menacé par des projets de réforme visant à abolir le sectarisme politique sans alternative globale.
Le chef du CPL perçoit dans ces initiatives une tentative déguisée d’affaiblir les chrétiens, une communauté qui a historiquement joué un rôle clé dans la fondation du Liban moderne. Depuis l’indépendance en 1943, le Pacte national a assuré une parité entre chrétiens et musulmans, un principe que Bassil considère comme la « raison d’être » du pays. Supprimer cette garantie dans la sphère politique, sans une laïcité totale qui dissoudrait également les privilèges religieux des autres communautés, équivaudrait selon lui à une marginalisation des chrétiens, les laissant vulnérables dans un système où leur poids démographique a diminué au fil des décennies.
Cette crainte n’est pas nouvelle. Jusqu’en 2023, les débats sur la laïcité ou la révision du système confessionnel ont souvent été interprétés par les partis chrétiens, y compris le CPL, comme des tentatives de réduire leur influence face à des partis sunnites ou chiites plus nombreux. Bassil, en s’opposant à une abolition sélective, positionne le CPL comme un rempart contre ce qu’il décrit comme une élimination déguisée, une posture qui résonne avec les inquiétudes d’une base électorale attachée à son identité communautaire.
La loi électorale : un autre front de résistance
Dans ce contexte, Bassil a également abordé la loi électorale, un domaine où il voit une menace concrète à l’équilibre communautaire. « Nuire à la représentation équilibrée dans le pays et dans la loi électorale est inacceptable, et la tentative d’approuver deux votes préférentiels pour favoriser une majorité numérique sur une minorité numérique est rejetée », a-t-il averti. La loi électorale de 2017, adoptée sous la présidence de Michel Aoun, repose sur un scrutin proportionnel avec un vote préférentiel unique par district, conçu pour préserver la représentation des différentes communautés. Une proposition d’introduire deux votes préférentiels, selon Bassil, risquerait de donner un avantage disproportionné à une majorité numérique – souvent perçue comme musulmane dans son discours – au détriment des chrétiens.
Cette position reflète une préoccupation centrale du CPL : maintenir un système qui garantit aux chrétiens une voix significative dans un pays où les dynamiques démographiques et politiques pourraient autrement les marginaliser. Bassil voit dans cette réforme un prolongement de l’abolition sélective du sectarisme politique, une autre étape vers ce qu’il appelle une « élimination » de sa communauté. En menaçant d’une révolution, il signale que le parti est prêt à mobiliser ses partisans pour défendre cet équilibre, un enjeu qu’il considère comme non négociable.
Les armes du Hezbollah : un enjeu secondaire mais révélateur
Bien que le thème principal de son discours soit la menace contre les chrétiens, Bassil a également abordé la question des armes du Hezbollah, adoptant une approche qui complète sa vision de la souveraineté nationale. « L’État devrait bénéficier de ces armes afin de pouvoir défendre le Liban et le protéger par une décision de guerre et de paix qu’il détient », a-t-il déclaré, appelant à une gestion « souveraine et responsable » de l’arsenal du groupe chiite. Cette proposition contraste avec les demandes internationales de désarmement total des milices, comme stipulé dans les Résolutions 1559 (2004) et 1701 (2006) de l’ONU.
Bassil a rejeté deux extrêmes : « Nous nous opposons à la suppression des armes par une guerre civile au lieu d’un accord, même imposé, et nous nous opposons à une normalisation imposée avec Israël sans droits, au lieu d’une paix juste avec des droits. » Cette position intervient dans un contexte marqué par la guerre de 2024 entre le Hezbollah et Israël, qui a causé des milliers de victimes et déplacé 1,4 million de Libanais. Le cessez-le-feu du 27 novembre 2024, prolongé jusqu’au 18 février 2025, a permis un déploiement accru de l’armée libanaise et de la FINUL dans le Sud, mais Bassil privilégie une intégration des armes sous contrôle étatique plutôt qu’une confrontation interne ou une capitulation face aux pressions extérieures.
Cette approche, bien que moins centrale dans son discours, renforce son argument principal : protéger les composantes du Liban, y compris les chrétiens, nécessite une stabilité interne et une souveraineté nationale, que le CPL veut garantir face à toute tentative de déséquilibre ou d’ingérence.
Un contexte de crise amplifiant les enjeux
Le discours de Bassil s’inscrit dans un Liban confronté à des crises multiples. La crise économique, débutée en 2019, a vu la livre perdre plus de 97 % de sa valeur et plus de 80 % de la population sombrer sous le seuil de pauvreté (estimations 2023). La guerre de 2024 a aggravé les destructions, tandis qu’une sécheresse historique en 2025 affecte l’eau et l’électricité. Sous la présidence de Joseph Aoun, élu en janvier 2025, et le gouvernement de Nawaf Salam, formé en février, le pays tente de se relever, mais les tensions communautaires restent vives.
Bassil, en centrant son discours sur la menace d’élimination des chrétiens, cherche à rallier sa base dans un climat d’incertitude. Le CPL, fondé en 2005 par Michel Aoun, a bâti sa légitimité sur la défense des droits chrétiens, une mission que Bassil réaffirme face à des réformes qui pourraient redessiner le paysage politique au détriment de sa communauté. Sa menace d’une « révolution » et son appel à une laïcité totale positionnent le parti comme un acteur clé dans ce débat, prêt à confronter toute tentative de bouleverser l’équilibre historique du Liban.