Le zaatar n’est pas qu’un simple mélange d’épices. Au Liban, c’est une odeur d’enfance, un petit-déjeuner sur le chemin de l’école, un sachet glissé dans les valises des expatriés, un rituel du matin ou une collation rustique partagée sur un coin de table en terrasse. Son parfum évoque des collines arides où pousse l’origan sauvage, des fours en pierre d’où s’échappent des manakich brûlants, et des souvenirs qui se transmettent comme des recettes de grand-mère.
Derrière ce nom devenu presque universel dans la diaspora levantine, se cache une culture, un héritage culinaire mais aussi une plante, des savoir-faire ancestraux et un artisanat menacé. Cet article vous propose une plongée dans l’univers du zaatar libanais, de son origine historique à ses usages contemporains, en passant par sa fabrication, ses secrets, ses déclinaisons et ses multiples recettes.
Une herbe, un mélange, une identité
Au Liban, le mot zaatar désigne à la fois une plante et un mélange d’épices. C’est là que commence la confusion pour les non-initiés.
Zaatar la plante : thym ou origan ?
Botaniquement, le zaatar est une herbe sauvage méditerranéenne appartenant au genre Origanum ou Thymbra. La variété la plus recherchée au Liban est le Origanum syriacum, que l’on appelle parfois zaatar baladi (zaatar du terroir). Il pousse naturellement sur les collines ensoleillées, entre les oliviers et les pins, souvent à plus de 1000 mètres d’altitude, là où le sol est pauvre mais le soleil abondant.
Cueilli à la main entre juin et septembre, séché à l’ombre, puis broyé grossièrement, ce zaatar est à la base du mélange éponyme. Son goût est puissant, herbacé, légèrement amer, avec une pointe citronnée. Rien à voir avec le thym de supermarché : le vrai zaatar libanais a une personnalité vibrante, presque piquante, qui rappelle à la fois la menthe, la marjolaine et l’origan.
Un mélange aux mille variantes
Mais le plus souvent, ce que l’on appelle zaatar est en fait un mélange d’épices et de graines à base de cette herbe séchée. Il en existe des dizaines de recettes régionales, artisanales ou familiales. Toutefois, la formule la plus répandue au Liban est la suivante :
- zaatar séché (herbe broyée)
- graines de sésame grillées
- sumac moulu (pour l’acidité)
- sel
- parfois une touche de farine, d’anis, de cumin ou de coriandre selon les villages
Ce mélange peut être conservé des mois, souvent dans des bocaux hermétiques en verre ou en métal. Il est consommé cru, mélangé à de l’huile d’olive, ou cuit sur du pain. Certains producteurs artisanaux y ajoutent même une huile parfumée au basilic ou des graines noires de nigelle pour une touche personnelle.
Origines et racines du zaatar
Les premières mentions du zaatar remontent à l’Antiquité. Les Égyptiens utilisaient déjà cette herbe dans des rituels religieux et comme conservateur alimentaire. Des tablettes sumériennes et des écrits bibliques évoquent une plante odorante utilisée pour ses vertus médicinales et rituelles : ce serait le zaatar.
Dans la tradition arabe, le zaatar est depuis longtemps associé à la santé du corps et de l’esprit. Ibn Sina (Avicenne), le célèbre médecin persan du XIe siècle, recommandait cette plante pour ses propriétés digestives et stimulantes. Jusqu’à aujourd’hui, les Libanais attribuent au zaatar des vertus de « nourriture du cerveau », censée améliorer la mémoire et la concentration. D’où sa place traditionnelle dans le petit-déjeuner scolaire des enfants.
Préparation traditionnelle : un savoir-faire transmis
La fabrication du zaatar commence par la cueillette. Dans les villages du Liban-Nord, du Chouf ou de la Békaa, la cueillette du zaatar est un moment communautaire. Dès l’été, des familles entières partent récolter les pousses. La plante est ensuite séchée à l’ombre, jamais au soleil direct, pour préserver ses huiles essentielles. Elle est ensuite tamisée, frottée à la main, puis mélangée aux autres ingrédients.
Les graines de sésame sont grillées à sec dans une poêle en fonte. Le sumac, fruit rouge séché d’un arbuste, est moulu à la meule ou au moulin traditionnel. Les proportions varient selon les goûts : plus de sumac pour un zaatar acide, plus de sésame pour un goût rond et noisetté.
Dans certains foyers, le zaatar est béni avant d’être stocké, une manière de protéger cette précieuse ressource jusqu’à la prochaine saison.
La man’ouché : icône du zaatar
Impossible d’évoquer le zaatar sans parler de la man’ouché, ce pain plat levé ou non levé, cuit au four ou sur une plaque, garni d’un mélange zaatar-huile d’olive. C’est l’un des emblèmes de la cuisine populaire libanaise.
Traditionnellement, on mélange le zaatar à de l’huile d’olive pour former une pâte sombre et aromatique. Cette pâte est étalée sur une galette de pâte à pain, puis cuite dans un four en pierre (sajj ou four à bois). Résultat : un pain croustillant, doré, gras et acidulé, que l’on déguste roulé ou coupé en morceaux.
Chaque quartier, chaque village a sa fournée. À Beyrouth, les boulangers de Hamra ou de Bourj Hammoud rivalisent d’astuces pour séduire les clients du matin. À Tripoli, la man’ouché au zaatar est souvent enrichie de fromage local (akkawi) ou d’œufs. À Zahlé, on y ajoute parfois de la tomate ou du labné.
(à suivre : l’article se poursuivra avec les recettes à base de zaatar, ses usages modernes, son rôle dans la diaspora, et son avenir face aux défis agricoles au Liban – prochaine partie dans le message suivant)



