6,3 % en un mois : l’explosion des prix alimentaires précarise les ménages libanais

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Les denrées de base entraînent l’indice à la hausse

Le Liban a enregistré en mai une augmentation inédite de 6,3 % de l’indice des prix à la consommation en un seul mois. Cette hausse est particulièrement alimentée par les produits alimentaires importés, dont les coûts grimpent en raison de la dévaluation continue de la livre libanaise et des frais de transport. Le riz, les conserves, l’huile ou encore le sucre affichent des hausses de prix comprises entre 8 et 14 %, affectant directement le quotidien des consommateurs.

Le prix du pain, élément essentiel de l’alimentation libanaise, a progressé de 12 % sur la même période. Cette augmentation s’explique par la réduction des subventions indirectes sur le blé et par le renchérissement des coûts logistiques. Les boulangeries sont contraintes d’augmenter leurs prix pour faire face aux nouvelles charges, provoquant une onde de choc chez les consommateurs.

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Dans les quartiers populaires de Beyrouth ou de Tripoli, de nombreux ménages achètent désormais le pain par unité ou à crédit. Les commerçants signalent une réduction drastique du panier moyen d’achat, désormais réduit à l’essentiel : pain, riz, huile, sucre. Les produits frais deviennent exceptionnels, les achats de viande ou de poisson sont rares.

Le pain devient un produit de tension sociale

La crise alimentaire s’installe durablement dans le quotidien des familles. Selon les estimations disponibles, 62 % du budget mensuel des foyers libanais est désormais consacré à l’alimentation. Ce niveau, supérieur aux seuils critiques définis par les agences humanitaires internationales, traduit une dégradation rapide du pouvoir d’achat.

Un représentant d’une association de consommateurs déclare que « l’alimentation est redevenue une forme de luxe pour une partie croissante de la population ». Cette réalité se manifeste par la baisse de la diversité alimentaire. Les légumes, les produits laitiers, les protéines animales sont délaissés au profit de produits plus caloriques mais moins nutritifs.

À Nabatiyé, Zahlé et Saïda, les observateurs rapportent une augmentation des files d’attente devant les centres de distribution alimentaire gérés par des ONG. Ces distributions deviennent une ressource vitale pour des milliers de familles, dont le revenu mensuel ne permet plus de couvrir les besoins de base.

Des budgets alimentaires hors de contrôle

Dans les foyers, les arbitrages financiers se font en défaveur de la santé, de l’éducation et du transport. Les repas sont réduits à deux par jour dans de nombreux cas. Certaines familles limitent la consommation d’eau potable, devenue un poste de dépense en hausse. Les collations disparaissent, les portions diminuent, les restes sont systématiquement réutilisés.

La part des dépenses alimentaires atteint des sommets dans les régions rurales ou périphériques. Dans le Akkar ou la Békaa, certains rapports communautaires indiquent que jusqu’à 75 % des revenus sont absorbés par la nourriture. Le reste sert au loyer ou à l’électricité, laissant très peu de place à l’imprévu.

Le recours aux aides familiales ou à la diaspora devient crucial. Des transferts modestes depuis l’étranger permettent parfois de sécuriser quelques jours d’alimentation. Cependant, cette dépendance accroît la vulnérabilité des ménages aux aléas extérieurs.

Carences et sous-nutrition : l’autre crise sanitaire

Cette crise alimentaire a des effets sanitaires documentés. Les cas d’anémie chez les enfants augmentent, les consultations pour fatigue et affaiblissement immunitaire sont en hausse dans les centres de soins primaires. La dénutrition infantile commence à être observée dans certaines régions défavorisées.

Les médecins tirent la sonnette d’alarme sur la qualité nutritionnelle des aliments consommés. La substitution des produits frais par des aliments très transformés augmente les risques de maladies chroniques. Les seniors souffrent également de cette situation : nombre d’entre eux se contentent d’un repas sec par jour, souvent composé uniquement de pain et de thé.

Dans les écoles publiques, certains enseignants signalent une baisse de concentration des élèves, liée directement à l’insuffisance alimentaire à domicile. La situation devient un problème de santé publique latent.

Marchés de survie, crédits et troc

Face à l’urgence, les stratégies d’adaptation se multiplient. Les familles réduisent la variété des repas, favorisent les plats collectifs, achètent en vrac ou cherchent des promotions. Dans les quartiers populaires, le crédit auprès des petites épiceries est devenu une pratique généralisée.

Le troc refait surface dans plusieurs régions : un kilo de pommes de terre contre un sac de sucre, du savon contre du lait en poudre. Des marchés informels s’organisent autour de ces échanges, souvent à l’initiative des femmes. La solidarité communautaire, bien que forte, atteint ses limites.

Certaines familles se tournent vers les produits de qualité inférieure, souvent proches de la date de péremption ou provenant de circuits non homologués. Ces choix, dictés par la nécessité, exposent à des risques sanitaires supplémentaires.

ONG et mairies à bout de souffle

Les ONG locales sont en première ligne face à cette détresse sociale. À Beyrouth, Tripoli, Tyr et Baalbek, des programmes alimentaires de secours sont mis en place, mais les besoins dépassent largement les capacités logistiques. Le financement des distributions alimentaires s’essouffle, les stocks diminuent, les volontaires sont épuisés.

Certaines municipalités tentent de structurer des réponses locales : cuisines collectives, cantines scolaires gratuites, jardins urbains. À Saïda, un projet pilote de repas chauds à prix symbolique permet à 300 familles de se nourrir une fois par jour. Mais ces efforts peinent à compenser l’ampleur de la crise.

Le soutien des institutions internationales devient de plus en plus indispensable, mais les financements tardent ou se rétractent. Dans ce contexte, la précarisation alimentaire pourrait durablement modifier la structure sociale du pays.