lundi, mai 12, 2025

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Arabie saoudite : le projet NEOM entre ambition et scepticisme

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Le prince héritier Mohammed ben Salmane ne relâche pas ses efforts pour faire de NEOM, une mégapole futuriste estimée à 500 milliards de dollars, le symbole d’une Arabie saoudite réinventée. Annoncé en 2017 dans le cadre du plan Vision 2030, ce projet titanesque promet de transformer un désert aride du nord-ouest du royaume en une vitrine technologique et écologique, loin de sa dépendance historique au pétrole. Des grues s’élèvent déjà sur les rives de la mer Rouge, des routes se dessinent, et une île touristique, Sindalah, a ouvert ses portes en octobre 2024. Pourtant, derrière ces premiers signes de progrès, des fissures apparaissent. Les coûts s’envolent bien au-delà des prévisions initiales, le rythme des travaux ralentit, et des investisseurs étrangers hésitent à s’engager face à une gouvernance opaque et des réglementations floues. Le gouvernement saoudien, déterminé à maintenir le cap, injecte des fonds supplémentaires, mais les critiques se multiplient, qualifiant NEOM de chimère architecturale. Entre ambition démesurée et scepticisme croissant, le rêve de faire de l’Arabie saoudite un hub technologique mondial vacille, laissant planer des doutes sur sa concrétisation.

Une vision pharaonique pour un royaume en mutation

NEOM n’est pas un simple projet urbain : c’est une déclaration d’intention. Lancé lors de la conférence Future Investment Initiative à Riyad, il incarne la volonté de Mohammed ben Salmane de diversifier une économie qui tire encore 35 % de son PIB du pétrole, selon les données de 2023. Étendue sur 26 500 kilomètres carrés – soit la taille de la Belgique –, cette zone économique spéciale doit abriter des technologies de pointe : taxis volants, intelligence artificielle omniprésente, et une alimentation énergétique 100 % renouvelable. The Line, pièce maîtresse du projet, promet une ville linéaire de 170 kilomètres, bordée de deux gratte-ciel miroités de 500 mètres de haut, où 9 millions d’habitants vivraient sans voitures ni émissions de carbone.

Le financement initial repose sur une combinaison ambitieuse : 200 milliards de dollars du Fonds souverain saoudien (PIF), complétés par des investissements privés locaux et internationaux. En 2018, le royaume a levé 11 milliards de dollars via la vente de 5 % de Saudi Aramco, une manne destinée en partie à NEOM. Mohammed ben Salmane a également promis une introduction en bourse de la société NEOM en 2024 pour attirer davantage de capitaux. L’objectif est clair : faire du projet un moteur économique générant 100 milliards de dollars de revenus annuels d’ici 2030, tout en créant 380 000 emplois, selon les projections officielles de 2022.

Mais cette vision ne se limite pas à l’économie. NEOM est aussi une opération de soft power. En accueillant des événements comme les Jeux asiatiques d’hiver 2029 à Trojena, une station de ski en plein désert, ou en visant la Coupe du monde 2034, l’Arabie saoudite veut s’imposer comme une destination mondiale, loin de son image associée aux hydrocarbures et aux restrictions sociales. Pourtant, ce rêve pharaonique repose sur des bases fragiles, et les premières lézardes apparaissent déjà dans le sable.

Des grues dans le désert : les premiers pas d’un géant

Les travaux ont bel et bien commencé. En octobre 2024, Sindalah, une île artificielle de 840 000 mètres carrés sur la mer Rouge, a accueilli ses premiers visiteurs. Avec ses trois palaces, sa marina pour 86 yachts, et son golf de 18 trous, cette station balnéaire vise une clientèle de luxe et sert de vitrine pour démontrer que NEOM peut passer du concept à la réalité. À Oxagon, une ville industrielle flottante en construction, des usines de production d’hydrogène vert – un partenariat avec l’américain Air Products annoncé en 2020 – commencent à prendre forme. The Line, elle, affiche des avancées visibles : des images satellites de 2024 montrent 2,4 kilomètres de fondations creusées, avec des engins de chantier alignés sur des dizaines de kilomètres.

Ces réalisations ne sont pas anodines. En 2023, NEOM a signé des contrats de 21 milliards de riyals (environ 5,6 milliards de dollars) pour construire des complexes résidentiels destinés aux 100 000 ouvriers mobilisés sur le site. Le royaume a aussi investi 175 millions de dollars dans Volocopter, une entreprise allemande de taxis aériens électriques, dont les premiers essais ont eu lieu en 2021. À Trojena, des pistes de ski artificielles et un lac de 2,8 millions de mètres cubes d’eau douce sont en cours de développement, malgré un climat où les températures dépassent souvent 40 °C.

Mais ce tableau impressionnant cache une réalité plus nuancée. Les délais initiaux prévoyaient une première phase achevée en 2025, avec 1,5 million d’habitants dans The Line d’ici 2030. En 2024, les autorités ont revu ces ambitions à la baisse : seuls 300 000 résidents sont désormais attendus d’ici la fin de la décennie, sur une portion réduite à 2,4 kilomètres. Ce recalibrage, annoncé par le ministre des Finances Mohammed al-Jadaan en octobre 2024, reflète les premiers signes d’un projet qui avance plus lentement que prévu, sous le poids de défis logistiques et financiers colossaux.

Coûts explosifs : un gouffre financier en plein désert

L’estimation initiale de 500 milliards de dollars semble aujourd’hui optimiste. En 2023, les dépenses de construction ont déjà dépassé 50 milliards de dollars, selon des chiffres officiels, rien que pour les infrastructures de base. The Line, avec ses gratte-ciel miroités, pose des défis techniques inédits : creuser des fondations dans un sol sablonneux, transporter des matériaux sur des centaines de kilomètres, et bâtir une structure de 500 mètres de haut sur 170 kilomètres de long exigent des ressources titanesques. Des experts en urbanisme estiment que le coût final pourrait atteindre 1 000 milliards de dollars, soit le double des prévisions.

Le financement devient un casse-tête. Le PIF, principal bailleur, a injecté des fonds supplémentaires en 2024, portant sa contribution à 319 milliards de dollars pour la première phase, selon une déclaration de juillet 2022. Mais les 200 milliards restants, censés provenir d’investisseurs privés, tardent à se concrétiser. En avril 2024, des délégations saoudiennes ont sillonné Pékin, Shanghai et Hong Kong pour séduire les investisseurs chinois, vantant les opportunités d’un hub technologique. Malgré ces efforts, les engagements fermes restent limités. La chute des prix du pétrole, passés sous les 80 dollars le baril en 2024, a réduit les marges de manœuvre du royaume, qui dépend encore lourdement de cette ressource pour financer Vision 2030.

Les surcoûts ne sont pas seulement financiers. En 2023, des protestations violentes ont éclaté parmi les travailleurs immigrés – principalement pakistanais, bangladais et népalais – contre des conditions de vie déplorables : logements précaires, nourriture de mauvaise qualité, et salaires impayés. Huit décès ont été recensés officiellement cette année-là, un chiffre relativement bas comparé aux chantiers qataris pour la Coupe du monde 2022, mais qui alimente les critiques sur le coût humain de NEOM. Ces tensions sociales, rares dans un pays où les manifestations sont quasi inexistantes, soulignent les défis d’un projet dont l’ambition dépasse les capacités actuelles.

Investisseurs étrangers : entre fascination et méfiance

NEOM a séduit certains grands noms. En 2020, Air Products a signé un contrat de 5 milliards de dollars pour une usine d’hydrogène vert, la plus grande au monde. SoftBank, dirigé par Masayoshi Son, a exprimé son intérêt dès 2017, voyant dans NEOM une opportunité de déployer ses technologies. Des architectes renommés – Zaha Hadid Architects, BIG, OMA – ont conçu des structures audacieuses, comme la Discovery Tower de Trojena ou l’hôtel Siranna à flanc de falaise. Ces partenariats renforcent la crédibilité du projet sur la scène internationale.

Mais la fascination s’accompagne de réticences. Les investisseurs étrangers, notamment chinois et européens, demandent des garanties sur la gouvernance. NEOM est censé fonctionner comme une zone économique spéciale, avec ses propres lois et un système judiciaire autonome, mais ces réglementations restent floues. En 2024, aucun cadre légal clair n’a été publié, laissant planer des doutes sur la protection des investissements. La démission surprise de Nadhmi al-Nasr, PDG de NEOM depuis 2018, en novembre 2024, a amplifié ces incertitudes. Remplacé par Aiman al-Mudaifer, un cadre du PIF, cette transition a été perçue comme un aveu de difficultés internes, notamment des retards dans The Line.

La viabilité économique pose aussi question. Sindalah cible une clientèle fortunée, mais sa capacité maximale de 2 400 visiteurs par jour d’ici 2028 semble modeste face aux ambitions globales de NEOM. The Line, avec ses 300 000 habitants prévus d’ici 2030, est loin des 9 millions initialement promis pour 2045. Des analystes financiers doutent que le projet atteigne la rentabilité escomptée – 50 milliards de dollars par an – dans un désert où 80 % de la nourriture est encore importée et où l’eau provient majoritairement de coûteuses usines de dessalement.

Un fantasme architectural sous le feu des critiques

Les sceptiques ne mâchent pas leurs mots. Pour beaucoup, NEOM est un « fantasme architectural irréalisable ». The Line, avec son design vertical et son absence de voitures, défie les lois de l’urbanisme traditionnel. En 2023, des urbanistes ont pointé les défis techniques : maintenir une température viable dans des gratte-ciel de 500 mètres sous un climat désertique, assurer une logistique sans faille sur 170 kilomètres, et éviter l’isolement social dans une ville linéaire. Certains comparent le projet à des utopies avortées comme Brasilia, critiquant son artificialité et son déracinement du contexte local.

Les critiques environnementales sont tout aussi cinglantes. Alimenter NEOM à 100 % en énergies renouvelables est un objectif ambitieux dans un pays qui émet 600 millions de tonnes de CO2 par an, soit 1,5 % des émissions mondiales en 2022. Construire une station de ski à Trojena, où la neige est inexistante, nécessite des quantités colossales d’énergie et d’eau, contredisant les promesses écologiques. En 2021, Amnesty International a dénoncé le déplacement forcé de 20 000 membres de la tribu Huwaitat pour libérer le site, dont certains ont été emprisonnés ou exécutés pour s’être opposés.

Le coût humain ajoute une couche de controverse. En 2025, des rapports ont révélé des cas de viols collectifs, de meurtres et de suicides parmi les travailleurs, vivant dans des camps aux conditions sanitaires déplorables. Ces scandales ternissent l’image d’un projet censé incarner le progrès, rappelant les dérives du Qatar avant 2022. Face à ces critiques, le gouvernement saoudien reste inflexible, augmentant les budgets pour maintenir le rythme, mais sans répondre directement aux accusations.

Le hub technologique mondial : un rêve encore lointain

Mohammed ben Salmane voit en NEOM un levier pour repositionner l’Arabie saoudite comme un centre mondial de l’innovation. En 2022, il a promis que The Line fonctionnerait comme un laboratoire vivant, attirant les meilleurs scientifiques pour développer l’intelligence artificielle, la biotechnologie et les énergies vertes. L’accord avec Volocopter et le centre de données d’Oxagon, dévoilé en 2025 pour 5 milliards de dollars, visent à faire de NEOM un rival de la Silicon Valley ou de Shenzhen.

Pourtant, ce positionnement reste incertain. En 2024, la bourse saoudienne Tadawul a atteint une capitalisation de 2,5 trillions de dollars, loin des 5 trillions visés par le prince pour 2030. Les investissements étrangers directs, bien qu’en hausse (26 milliards de dollars en 2023), ne suffisent pas à compenser les besoins de NEOM. La concurrence avec Dubaï, hub régional établi, et les tensions géopolitiques avec les États-Unis, qui sanctionnent des responsables saoudiens depuis 2022, compliquent l’attractivité du projet.

L’Arabie saoudite persiste. En 2025, le PIF a promis 50 milliards de dollars supplémentaires pour accélérer les travaux, tandis que des campagnes médiatiques vantent Sindalah comme une réussite. Mais entre les ambitions futuristes et la réalité d’un chantier chaotique, NEOM oscille entre espoir et illusion. Le royaume peut-il transformer son désert en un phare technologique mondial, ou ce rêve s’effondrera-t-il sous son propre poids ?

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