Un rôle hégémonique maintenu malgré la crise
La Banque du Liban continue d’exercer un rôle central dans la gestion économique du pays, malgré une défiance croissante liée à l’effondrement de la livre libanaise. Le maintien de cette position dominante fait l’objet de critiques ouvertes dans plusieurs cercles politiques et économiques. Des voix s’élèvent pour dénoncer une gouvernance monétaire exercée sans coordination avec les autres institutions de l’État. Cette critique récurrente ressurgit à la faveur d’un article d’analyse consacré à la stratégie monétaire actuelle, dans lequel il est reproché à l’institution d’agir de manière autonome, voire en opposition avec les ministères et instances de contrôle.
Les décisions majeures, comme l’injection de liquidités ou la modification des plafonds de retrait, sont prises sans concertation avec le ministère des Finances, ni passage par le Parlement. Cette pratique marginalise les organes élus et renforce la perception d’une Banque centrale opérant comme une entité souveraine. Un député affirme que l’institution monétaire « agit comme une autorité au-dessus de l’État », soulignant l’absence de transparence dans la formulation des mesures économiques. Cette absence de coordination nuit à l’élaboration d’une stratégie macroéconomique cohérente.
Absence de coordination entre les régulateurs
Cette gouvernance isolée s’accompagne d’un dysfonctionnement plus large entre les différentes institutions financières. La Commission de supervision des banques, l’Autorité des marchés financiers et la Banque du Liban opèrent selon des logiques divergentes, sans mécanismes de coopération clairement établis. Cette désorganisation compromet les efforts de redressement du secteur bancaire, pourtant vital pour la stabilité du pays.
Le manque de coordination est manifeste dans la question de la transparence bancaire. Plusieurs banques commerciales refusent toujours de publier leurs bilans audités, en dépit des exigences du FMI dans le cadre des négociations d’aide. Cette réticence traduit un climat de défiance envers les dispositifs de régulation, perçus comme incapables de garantir une application uniforme des normes.
Le blocage du processus de réforme du secteur bancaire s’explique en partie par l’absence de hiérarchie claire entre les instances de contrôle. Les compétences se chevauchent, les responsabilités se diluent, et les mesures correctrices tardent à produire leurs effets. Cette situation alimente un cercle vicieux dans lequel la méfiance des déposants, l’opacité des institutions et la paralysie des régulateurs se renforcent mutuellement.
L’échec des mesures conjoncturelles
Face à cette désorganisation, la Banque du Liban a récemment procédé à l’injection de nouvelles liquidités sur le marché. Cette décision, prise dans un contexte de forte dépréciation de la monnaie, visait à freiner la montée du taux de change du dollar sur le marché parallèle. Cependant, l’effet a été de courte durée. Le dollar, qui s’échangeait à 97 000 livres libanaises début mai, atteignait 104 000 fin du mois. Cette envolée démontre l’inefficacité des interventions ponctuelles, non soutenues par une stratégie globale.
Les experts s’accordent à dire que ces mesures conjoncturelles, sans pilotage budgétaire coordonné ni plan macroéconomique, relèvent davantage de la réaction que de la planification. L’absence d’une vision intégrée rend toute stabilisation structurelle impossible. Certains analystes parlent même d’un « effondrement monétaire progressif », dissimulé par des artifices comptables. Ces derniers incluent le recours à des ajustements techniques dans les bilans, ou l’usage de taux multiples de change pour masquer les pertes.
L’écart croissant entre les taux officiels et le marché parallèle est révélateur d’un système de gestion monétaire fragmenté. Les distorsions créées par cette dualité empêchent une lecture fiable des indicateurs économiques. Elles sapent aussi la confiance des investisseurs, locaux comme étrangers, dans la capacité du Liban à restaurer un environnement économique prévisible.
Des tensions entre sphères politique et monétaire
La gouvernance actuelle de la Banque du Liban cristallise également des tensions entre les sphères politique et monétaire. Alors que le gouvernement affiche sa volonté de réformer le secteur public, la Banque centrale conserve une autonomie stratégique qui échappe largement au contrôle démocratique. Cette situation crée un déséquilibre institutionnel, dans lequel les leviers de l’économie réelle sont déconnectés des choix de politique monétaire.
Le flou persistant autour des pertes cumulées du secteur bancaire, ainsi que l’absence de stratégie de résolution des passifs de la Banque du Liban, renforcent la défiance institutionnelle. En l’absence d’une reddition de comptes claire, les décisions les plus sensibles continuent d’être prises dans l’opacité, souvent en contradiction avec les objectifs fixés par le gouvernement.
Plusieurs acteurs parlementaires réclament une révision du mandat de la Banque centrale, afin de le soumettre à un contrôle renforcé. Cette proposition soulève cependant des résistances, tant au sein de l’établissement qu’auprès de ses soutiens dans les milieux économiques. Les partisans du statu quo invoquent la nécessité de préserver une forme d’indépendance face aux aléas de la politique.
Une monnaie sous pression, un pouvoir d’achat en chute libre
L’impact le plus immédiat de cette crise de gouvernance reste la dévaluation continue de la monnaie nationale. La livre libanaise ne cesse de perdre de sa valeur, érodant le pouvoir d’achat des ménages et aggravant la précarité. Les salaires versés en monnaie locale sont désormais insuffisants pour couvrir les besoins de base. Le coût de la vie explose, tiré par l’indexation des biens importés sur le dollar.
Cette situation engendre un ressentiment croissant dans la population. Les protestations se multiplient contre l’incapacité des autorités à juguler la crise. Les critiques visent à la fois la Banque du Liban et les pouvoirs publics, accusés de passivité ou de connivence. La perte de confiance dans les institutions sape toute tentative de réforme.
Les commerçants, les entreprises et les salariés font face à une volatilité constante, qui rend toute planification impossible. L’incertitude monétaire devient un frein majeur à l’activité économique. Dans ce contexte, la persistance d’une gestion centralisée et opaque du secteur financier alimente une perception d’injustice économique.
Vers une remise en question du modèle de gouvernance
Les débats actuels sur le rôle de la Banque du Liban s’inscrivent dans une remise en cause plus large du modèle de gouvernance économique du pays. La concentration des pouvoirs entre les mains d’un nombre restreint d’acteurs, l’absence de mécanismes de reddition de comptes, et l’opacité des décisions financières, sont autant de symptômes d’un dysfonctionnement structurel.
Les réformes exigées par les partenaires internationaux, notamment le FMI, visent précisément à rompre avec cette logique. Elles prônent une transparence accrue, une gouvernance partagée entre institutions, et une mise en conformité avec les standards internationaux. Toutefois, leur mise en œuvre se heurte à des résistances internes puissantes.
La réforme du système bancaire, la refonte des procédures budgétaires et la redéfinition du rôle de la Banque centrale sont désormais perçues comme des conditions nécessaires au redressement. La réussite de ces transformations dépendra de la capacité des institutions à dialoguer, à coopérer, et à inscrire leurs actions dans un cadre stratégique commun.