Une enquête judiciaire au cœur du pouvoir financier libanais
Depuis plusieurs années, la Banque du Liban est au centre d’une tempête judiciaire sans précédent. L’institution, longtemps considérée comme le garant de la stabilité économique du Liban, est désormais au cœur d’accusations graves de détournements massifs de fonds publics, de malversations financières et d’enrichissement personnel de hauts responsables. L’enquête, d’abord timidement amorcée, a connu une accélération notable en 2025, avec l’implication de nouvelles autorités judiciaires déterminées à aller au fond du dossier malgré les pressions politiques. Cette investigation marque une rupture historique dans un pays où les affaires de corruption sont souvent restées sans suites judiciaires réelles.
Riad Salamé et le début des soupçons
L’ancien gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, reste la figure centrale de cette enquête. Accusé de détournement de fonds publics, d’abus de pouvoir et de blanchiment d’argent, il incarne aux yeux de nombreux Libanais l’impunité des élites financières du pays. Les investigations locales, soutenues par plusieurs enquêtes internationales notamment en Suisse, en France et en Allemagne, ont mis en lumière des montages financiers complexes impliquant des comptes offshore, des achats de biens immobiliers de luxe et des transferts de fonds douteux. Les sommes évoquées dépassent plusieurs centaines de millions de dollars, représentant une ponction considérable sur les ressources d’un État déjà au bord de la faillite.
La multiplication des procédures judiciaires
Depuis 2022, plusieurs procédures distinctes mais convergentes ont été lancées contre Riad Salamé et ses proches collaborateurs, tant au Liban qu’à l’étranger. Les autorités judiciaires libanaises, sous la pression de l’opinion publique et de la communauté internationale, ont été contraintes de réactiver des dossiers longtemps gelés. En 2025, de nouvelles inculpations ont été prononcées, élargissant l’enquête à d’autres cadres dirigeants de la Banque du Liban ainsi qu’à certains anciens ministres des Finances. Ces inculpations concernent non seulement des faits de détournement de fonds mais également de faux en écriture, d’enrichissement illicite et de complicité dans des opérations de dissimulation de patrimoine.
Les obstacles institutionnels et politiques à l’avancée de l’enquête
Malgré les avancées judiciaires, l’enquête rencontre des résistances multiples. Le système politique libanais, basé sur un équilibre confessionnel fragile, rend difficile toute poursuite judiciaire contre des figures associées aux principales communautés du pays. De nombreuses tentatives de blocage administratif, d’intimidation des juges et de manipulation des procédures sont observées. La lenteur des réponses aux commissions rogatoires internationales, le refus de certains responsables de coopérer avec la justice et la difficulté d’accéder à des documents bancaires essentiels entravent la progression des investigations. Cette obstruction systématique met en lumière les limites structurelles de l’indépendance judiciaire au Liban.
L’impact symbolique et politique de l’enquête
L’affaire Banque du Liban dépasse de loin la seule question des responsabilités individuelles. Elle symbolise l’effondrement d’un modèle économique fondé sur le clientélisme, l’opacité et l’impunité. Pour une large partie de la population, la justice rendue dans ce dossier constituerait un tournant décisif dans la lutte contre la corruption et dans la restauration de la confiance citoyenne. À l’inverse, un échec judiciaire, perçu comme un nouvel exemple d’impunité, pourrait déclencher une nouvelle vague de colère sociale et aggraver encore la crise de légitimité des institutions.
La pression de la communauté internationale
La communauté internationale suit de près l’évolution de l’enquête. Le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, ainsi que plusieurs gouvernements occidentaux ont explicitement lié leur assistance financière future à des progrès concrets dans la lutte contre la corruption, en citant régulièrement l’affaire Banque du Liban comme test décisif. Des mandats d’arrêt internationaux ont été émis contre certains acteurs clés, tandis que des avoirs bancaires suspects ont été gelés à l’étranger. Cette pression externe, combinée à la mobilisation de la société civile libanaise, représente l’un des rares leviers pour tenter d’imposer une dynamique judiciaire autonome.
L’enjeu de la restitution des fonds détournés
Au-delà des sanctions pénales, l’un des objectifs majeurs de l’enquête est la restitution des fonds détournés vers l’État libanais. Cette restitution représente une nécessité vitale pour financer une partie de la reconstruction économique du pays. Toutefois, la récupération des avoirs placés à l’étranger est un processus complexe, nécessitant une coopération judiciaire internationale étroite et des procédures longues. En l’absence de condamnations définitives, les obstacles juridiques restent nombreux. Le risque est grand que, faute d’efficacité judiciaire, une partie importante des sommes détournées échappe définitivement à toute récupération.