Culture: Entre trafic et crise, le patrimoine libanais s’évanouit

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Le Liban, berceau de civilisations millénaires, voit son patrimoine culturel vaciller sous les coups d’une crise multidimensionnelle. Les sites archéologiques de Baalbek et Byblos, joyaux inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, subissent les assauts du temps, de la négligence et des conflits récents, tandis qu’un trafic illicite d’antiquités prospère dans l’ombre de l’instabilité. Malgré des efforts désespérés pour préserver cette richesse, les moyens manquent, et les experts sonnent l’alarme face à une détérioration accélérée et une dispersion irréversible des trésors libanais. En mars 2025, alors que le pays lutte pour sa survie économique et politique, l’héritage culturel devient un champ de bataille où se jouent identité et avenir.

Baalbek et Byblos : un patrimoine en sursis

Baalbek, surnommée la « Cité du Soleil » par les anciens, abrite l’un des complexes de temples romains les mieux préservés au monde. Ses colonnes massives, dédiées à Jupiter, Vénus et Bacchus, ont résisté à deux millénaires d’histoire, mais elles affrontent aujourd’hui des menaces modernes. Byblos, l’une des plus anciennes villes habitées en continu, porte les traces des Phéniciens, des Romains et des croisés dans ses murailles et son port antique. Ces sites, symboles de la grandeur passée du Liban, souffrent d’un manque criant d’entretien, exacerbé par une crise qui prive la Direction générale des antiquités (DGA) des ressources nécessaires.

Depuis 2019, le budget de la DGA a fondu de 80 %, passant de plusieurs millions à quelques centaines de milliers de dollars annuels, selon des estimations internes relayées par des médias locaux. Les équipes, réduites à une poignée d’agents sous-payés, peinent à effectuer des travaux de base – nettoyage, consolidation, protection contre les intempéries. À Baalbek, les pluies acides et l’érosion rongent les pierres calcaires, tandis qu’à Byblos, l’urbanisation sauvage et la montée des eaux menacent les fondations. Les bombardements israéliens de 2024, bien que n’ayant pas directement touché les temples principaux, ont amplifié ces risques. Des explosions près de Baalbek ont secoué les structures, et des experts, cités par New Lines Magazine, craignent des fissures invisibles qui pourraient s’aggraver avec le temps.

La guerre récente a ajouté une couche de péril. Entre septembre et novembre 2024, Israël a ciblé des zones proches de Baalbek et Tyr dans sa campagne contre le Hezbollah, détruisant des bâtiments adjacents et endommageant des sites secondaires. UNESCO, dans un rapport de novembre 2024, a noté que si les temples de Baalbek restent intacts, des vibrations répétées pourraient fragiliser leurs bases. À Byblos, épargnée par les frappes, la négligence chronique reste le principal ennemi. Sans fonds pour des restaurations d’urgence, ces sites risquent de perdre leur statut de trésors universels.

Le fléau du trafic illicite

Parallèlement, le pillage des antiquités libanaises atteint des proportions alarmantes. Le chaos économique et sécuritaire a transformé le pays en terrain fertile pour les trafiquants. Des objets phéniciens – poteries, statuettes, bijoux – et des artefacts romains ou byzantins refont surface sur les marchés noirs internationaux, de Genève à New York. En mars 2025, Nowlebanon a rapporté le retour d’antiquités volées depuis la Suisse, un cas parmi d’autres illustrant l’ampleur du problème. Ces pièces, souvent déterrées illégalement à Baalbek, Tyr ou dans la Bekaa, transitent par la Syrie ou la Turquie avant d’atterrir chez des collectionneurs privés.

La guerre civile (1975-1990) avait déjà ouvert la voie à ce commerce, avec des milliers d’objets pillés dans des musées et des sites excavés sous le couvert du conflit. La crise actuelle, avec une pauvreté touchant 80 % de la population et une livre dévaluée à plus de 100 000 pour un dollar, a relancé cette activité. Des villageois, poussés par la misère, se tournent vers le pillage, tandis que des réseaux organisés exploitent l’absence de contrôle. En 2023, Interpol a saisi un lot de mosaïques romaines libanaises à Istanbul, et des enquêtes montrent une hausse de 30 % des objets libanais sur le marché noir depuis 2020.

Les efforts pour contrer ce fléau sont timides. La DGA, en collaboration avec UNESCO et Interpol, a intensifié les rapatriements – comme en 2008 avec une statue d’Athéna rendue par les États-Unis – mais les moyens manquent. Sarkis Khoury, directeur de la DGA, a appelé à une « intervention urgente » dans une interview récente, soulignant que chaque objet perdu est une page d’histoire arrachée. Pourtant, les fouilles illégales se multiplient, et les frontières poreuses du Liban facilitent l’évasion de ces trésors.

Une réponse internationale sous tension

Face à ces menaces, des initiatives émergent, mais elles peinent à suivre l’ampleur du désastre. En novembre 2024, UNESCO a accordé une protection renforcée à 34 sites libanais, dont Baalbek et Byblos, à la suite d’un plaidoyer de plus de 100 parlementaires libanais (Jordan Times). Cette mesure, issue d’une session extraordinaire à Paris, vise à offrir une immunité juridique contre les attaques militaires, mais elle ne résout ni le manque d’entretien ni le trafic. Des experts, comme ceux cités dans VOA News, réclament des « zones sans cible » autour des sites et un déploiement d’observateurs internationaux, des propositions freinées par les tensions géopolitiques.

Le gouvernement libanais, sous Nawaf Salam, a promis des fonds d’urgence pour la DGA, mais avec des réserves de devises à 8 milliards de dollars et une économie en lambeaux, ces engagements sonnent creux. La communauté internationale, bien que sensibilisée, hésite à investir dans un pays instable, où l’aide risque d’être détournée par une corruption endémique. Les États-Unis et la France, historiquement impliqués dans la restitution d’antiquités, conditionnent leur soutien à des réformes que Beyrouth peine à mettre en œuvre.

Un patrimoine au bord du précipice

En mars 2025, le patrimoine libanais oscille entre résilience et désastre. Baalbek et Byblos, témoins d’un passé glorieux, résistent encore, mais leur avenir est incertain face à la négligence et aux conflits. Le trafic illicite, dopé par la crise, disperse ces trésors à un rythme effréné, privant le Liban de son identité culturelle. Les efforts de préservation, bien qu’admirables, sont en péril, écrasés par des réalités économiques et politiques impitoyables. Sans une action concertée, ce legs millénaire risque de n’être plus qu’un souvenir.

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Newsdesk Libnanews
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