Déficit public libanais : entre blocage fiscal et pari risqué sur la collecte

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Le Liban fait face à une nouvelle aggravation de sa crise budgétaire. Pour l’exercice en cours, le déficit de l’État est estimé à 6,2 milliards de dollars, soit environ 33 % du produit intérieur brut. Ce déséquilibre, symptomatique d’une gestion publique affaiblie et d’une base fiscale en délitement, révèle les limites d’une stratégie qui repose désormais sur une amélioration hypothétique de la collecte, sans réforme fiscale profonde ni soutien extérieur assuré.

Un déficit structurel aux proportions alarmantes

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Depuis l’éclatement de la crise économique en 2019, les déséquilibres budgétaires du Liban se sont amplifiés de manière continue. Le niveau actuel de déficit atteint un sommet historique et interpelle par son ampleur. Dans un pays où les capacités de production sont réduites, la monnaie instable et la pression inflationniste constante, un déficit équivalant à un tiers du PIB apparaît insoutenable.

Les principales lignes de dépense de l’État – salaires de la fonction publique, subventions résiduelles sur certains produits essentiels, paiement des intérêts de la dette – continuent d’absorber la majorité des ressources disponibles. Mais c’est la contraction brutale des recettes fiscales qui provoque le déséquilibre majeur. L’effondrement de la taxe sur la valeur ajoutée, naguère l’un des piliers de la fiscalité, illustre cette tendance. Les fermetures massives d’entreprises et la montée de l’économie informelle réduisent la base taxable.

Une telle situation pousse les autorités à naviguer à vue. Les priorités budgétaires deviennent de plus en plus politiques et conjoncturelles, au détriment d’une planification rigoureuse. Le déficit ne reflète plus seulement une situation de crise, mais tend à devenir une composante structurelle du système.

Une fiscalité sous-performante et un gouvernement paralysé

Face à cette impasse, le gouvernement s’est exprimé sur sa stratégie budgétaire. Il a exclu toute création de nouvelles taxes, annonçant sa volonté d’améliorer la collecte fiscale existante plutôt que d’alourdir les charges. Cette ligne de conduite repose sur l’idée qu’une gestion plus efficace, appuyée sur une réforme administrative, permettrait de compenser les pertes.

Cependant, cette approche soulève de nombreux doutes. Les mécanismes de collecte sont en grande partie dysfonctionnels. L’administration fiscale souffre de multiples carences : équipements obsolètes, absence de bases de données à jour, personnel en sous-effectif, et forte dépendance à des processus non numérisés. La corruption endémique et l’absence de sanctions dissuasives minent encore davantage la crédibilité du système.

Améliorer la collecte suppose des ressources techniques, un engagement politique fort, et une confiance restaurée entre l’administration et les contribuables. En l’absence de ces trois piliers, la déclaration gouvernementale apparaît davantage comme une posture politique visant à temporiser que comme une solution durable.

Cette paralysie est aggravée par les blocages institutionnels. Chaque tentative de réforme se heurte à des résistances croisées entre les partis politiques. Les intérêts clientélistes, la protection de zones économiques privilégiées et l’absence de coordination entre les ministères empêchent toute avancée substantielle.

L’aide internationale en attente : exigences et inertie

Dans un contexte aussi contraint, le pays avait entamé des discussions avec plusieurs institutions financières internationales pour obtenir un appui budgétaire. Mais ces échanges sont aujourd’hui suspendus. Les bailleurs de fonds réclament des engagements fermes en matière de transparence, d’audit des comptes publics et de lutte contre la corruption, conditions restées sans réponse.

Les représentants des institutions internationales ont formulé une liste précise de mesures minimales, parmi lesquelles figurent la publication d’un état consolidé des finances publiques, l’établissement d’un registre fiscal centralisé, et l’indépendance du mécanisme de vérification des dépenses. Aucun de ces critères n’a été formellement adopté par les autorités locales à ce jour.

Ce blocage a un effet domino. Tant que ces conditions ne sont pas satisfaites, les autres partenaires bilatéraux et multilatéraux – y compris des pays donateurs – retiennent également leurs aides. Cette absence de soutien aggrave la pression sur les ressources internes de l’État, qui se trouve contraint de financer ses engagements par des moyens précaires, souvent via des artifices monétaires ou des avances exceptionnelles de la banque centrale.

Ce climat d’incertitude réduit encore la marge de manœuvre financière, tout en augmentant le coût du financement public. Les titres de dette nationale sont moins bien valorisés, et les appels à l’épargne locale rencontrent une méfiance croissante.

Entre réalisme politique et aveu d’impuissance : regards croisés

La stratégie gouvernementale actuelle divise les observateurs. Pour certains, refuser de nouvelles taxes dans un contexte de paupérisation généralisée relève du pragmatisme. Hausser les prélèvements dans un tel climat risquerait de provoquer une rupture sociale. Cette lecture insiste sur la prudence et la volonté d’éviter une explosion populaire.

Mais pour d’autres, il s’agit d’un renoncement déguisé. Ne pas réformer une fiscalité injuste et inefficace, ne pas corriger les déséquilibres flagrants dans la répartition des charges, c’est entériner un effondrement progressif de l’autorité publique. Sans élargissement de la base fiscale, aucune politique de relance n’est possible.

Le débat oppose ainsi deux visions : celle du risque immédiat, que le gouvernement veut éviter à tout prix, et celle de l’effondrement progressif, dont les économistes redoutent les effets à moyen terme. Ce clivage reflète aussi l’absence d’un projet économique global et partagé.

Perspectives : une refondation indispensable mais improbable

La question de la sortie de crise budgétaire reste entière. Les scénarios de redressement existent. Une réforme fiscale progressive, fondée sur la justice contributive, l’intégration de l’économie informelle, la rationalisation des dépenses et le retour de la confiance, figure parmi les propositions des experts.

Mais la faisabilité politique de ces réformes demeure quasi nulle. Les partis au pouvoir, largement divisés, n’ont ni l’intérêt, ni la capacité de porter de telles transformations. L’opinion publique, quant à elle, n’a plus foi en un État qu’elle considère comme incapable de rétablir l’équité.

Dans ces conditions, la stratégie actuelle revient à gérer la crise par l’évitement. En s’abstenant de prendre des décisions impopulaires, le gouvernement mise sur une amélioration spontanée de la collecte, tout en repoussant les arbitrages structurels. Ce pari risqué pourrait s’avérer intenable si la pression sociale continue d’augmenter.

À plus long terme, seule une refondation du pacte fiscal et social permettrait d’ancrer une sortie de crise crédible. Elle suppose la reconnaissance d’un nouveau contrat entre l’État et ses citoyens, reposant sur la transparence, l’équité, et l’efficacité. Un horizon encore lointain tant que la logique de survie immédiate continuera de prévaloir sur toute vision stratégique.