Une présence ancienne redevenue stratégique
Depuis la fondation du Grand Liban en 1920, les Églises orientales ont toujours joué un rôle diplomatique discret mais fondamental. Longtemps considérées comme un pont naturel entre l’Orient et l’Occident, elles disposent d’un réseau transnational structuré, appuyé sur des implantations historiques au Vatican, à Paris, à Vienne, et plus récemment à Genève, Washington et Ottawa.
Dans le contexte actuel de redéploiement diplomatique du Liban, ce réseau ecclésial est réactivé avec prudence. Le voyage de Nawaf Salam au Vatican début mai 2025 en est un signal majeur. Selon Al Sharq (14 mai 2025), cette visite s’inscrivait dans un double registre : reconnaissance symbolique du soutien du Saint-Siège au Liban, mais aussi volonté de mobiliser un canal diplomatique parallèle pour plaider la cause libanaise auprès des chancelleries occidentales.
Le Premier ministre s’est entretenu avec le pape François, des cardinaux orientaux et plusieurs responsables de la diplomatie du Vatican. Il a insisté sur « le rôle historique du Liban dans la coexistence religieuse », et sur « le besoin d’un soutien politique et économique international fondé sur des valeurs universelles » (Al Sharq, 14 mai 2025). Cette rhétorique puise directement dans les registres de l’Église maronite et de ses prolongements diplomatiques.
L’Église maronite : entre mémoire nationale et activisme diplomatique
De toutes les Églises orientales, l’Église maronite reste la plus influente sur la scène diplomatique libanaise. Elle dispose de relais solides au sein de la curie romaine, dans les milieux diplomatiques français, et dans plusieurs réseaux académiques catholiques.
Selon Annahar (14 mai 2025), le patriarcat maronite a transmis au président Joseph Aoun un document confidentiel résumant ses positions sur les réformes économiques, la neutralité active, et la question du désarmement des milices. Ce document, selon des sources du journal, a été partagé officieusement avec plusieurs ambassades occidentales à Beyrouth.
Le patriarche Béchara Raï a multiplié les déclarations publiques appelant à « libérer la souveraineté nationale des logiques de guerre », sans citer explicitement le Hezbollah. Il a également reçu plusieurs diplomates étrangers, notamment l’ambassadeur de France, pour insister sur « l’urgence d’une aide internationale conditionnée à la mise en œuvre de réformes constitutionnelles et fiscales » (Annahar, 14 mai 2025).
Dans la continuité de ses positions précédentes, le patriarcat agit aussi à travers l’Aide à l’Église en Détresse, Caritas Internationalis et plusieurs instituts catholiques, pour plaider la cause libanaise au sein des enceintes internationales. Cette action diplomatique est renforcée par les liens anciens de la diaspora maronite, notamment aux États-Unis, au Canada, et en Australie.
Les Églises grecques-catholiques et orthodoxes : acteurs discrets mais présents
Les Églises melkites et grecques orthodoxes, bien que moins visibles dans les médias, jouent elles aussi un rôle diplomatique spécifique. Le patriarcat grec-catholique de Damas, aujourd’hui davantage connecté à Beyrouth, dispose de canaux privilégiés à Rome et à Bruxelles. Son discours se concentre sur la protection des chrétiens d’Orient et sur l’urgence d’une solidarité européenne envers le Liban.
Du côté grec-orthodoxe, c’est surtout à travers le dialogue interorthodoxe et les connexions avec les Églises slaves que s’exerce cette influence. Des contacts constants sont maintenus avec l’Église de Russie, les Églises des Balkans, et certains cercles universitaires influents à Genève. Cette dimension, selon Al Joumhouriyat (14 mai 2025), « permet au Liban de maintenir un lien avec les mondes diplomatiques non occidentaux sans passer par des canaux étatiques directs ».
Les communautés orientales au cœur du multilatéralisme religieux
À l’ONU, au Conseil œcuménique des Églises, à la Fédération luthérienne mondiale ou encore à la Conférence des Églises européennes, les représentants des Églises orientales libanaises plaident, souvent en coulisses, pour le maintien du soutien humanitaire international au Liban.
Al Akhbar note qu’un rapport interne du Conseil des Églises du Moyen-Orient, transmis au Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés, a mis en garde contre « l’effondrement du tissu social chrétien en l’absence de relance économique et de cadre institutionnel stable » (Al Akhbar, 14 mai 2025). Ces rapports, bien que confidentiels, sont fréquemment partagés dans les comités de coordination des ONG internationales.
Des personnalités telles que le métropolite Georges Khodr, ou l’archevêque Issam Darwish, multiplient les interventions dans les colloques internationaux sur le dialogue interreligieux. Ces interventions, à défaut de peser politiquement de manière directe, contribuent à maintenir une image du Liban fondée sur le pluralisme religieux et la coexistence. Cela renforce l’attractivité du Liban auprès de certaines fondations internationales.
Les réseaux éducatifs : levier d’influence dans la francophonie
Les écoles, universités et établissements confessionnels libanais forment un autre canal diplomatique indirect. Les congrégations religieuses libanaises (jésuites, lazaristes, antonins, etc.) maintiennent des liens avec les ambassades, les agences de développement et les institutions européennes.
Al Liwa’ souligne que plusieurs établissements privés libanais ont récemment obtenu un soutien renouvelé de l’AFD (Agence française de développement) et de l’UNESCO, « notamment grâce à la médiation de responsables ecclésiaux au Liban et en France » (Al Liwa’, 14 mai 2025).
L’Université Saint-Joseph, notamment, est régulièrement impliquée dans des programmes de coopération euro-méditerranéens. Elle sert aussi d’espace de dialogue entre responsables religieux, universitaires et diplomates, autour de questions telles que la citoyenneté inclusive, les réformes constitutionnelles ou encore la réforme de l’éducation religieuse.