Les élections municipales et choisies du 4 mai 2025 dans le gouvernorat du Mont-Liban, qui marquaient la première étape d’un processus électoral déployé sur tout le territoire libanais, ont révélé une participation électorale moyenne de 45,08 %. Ce taux, en baisse de plus de dix points par rapport à celui de 2016, traduit non seulement un désengagement croissant des citoyens, mais aussi un contexte politique, démographique et institutionnel profondément altéré par les crises successives qu’a connues le pays depuis 2019.
Cette première phase municipale, bien qu’ancrée dans des enjeux locaux, a été suivie de près par les partis politiques nationaux. À travers le prisme de la participation, se dessinent plusieurs lignes de fracture : entre zones à forte mobilisation communautaire et zones vidées par l’émigration, entre localités politisées et autres livrées à la logique des notables, entre bastions électoraux verrouillés et nouvelles tentatives d’ouverture.
I. Un taux global en baisse : les chiffres et leurs limites
Le chiffre de 45,08 % communiqué à l’issue du scrutin est significatif en lui-même, mais il ne peut être analysé indépendamment de la configuration particulière de ces élections. Plus de 70 municipalités ont été renouvelées par acclamation, privant leurs électeurs de toute possibilité de vote. Cette forme de « victoire administrative » a gonflé artificiellement les taux de réussite de certains partis, tout en pesant à la baisse sur les statistiques globales de participation.
Ce phénomène n’est pas marginal : dans certaines régions comme le Keserwan ou une partie du Metn, les ententes communautaires ou partisanes ont permis d’éviter toute confrontation électorale. La recherche de consensus, souvent dictée par la crainte d’exacerber des tensions locales, s’est traduite par la constitution de listes uniques, validées sans vote.
En parallèle, l’émigration massive qui s’est accélérée depuis 2020 a eu un impact majeur sur les registres électoraux. De nombreux électeurs, bien que toujours inscrits, ne résident plus sur le territoire libanais et n’ont donc pas pu exercer leur droit de vote. Ce facteur démographique a été particulièrement visible dans les zones urbaines périphériques et certaines régions de la montagne.
II. Disparités géographiques : analyse région par région
Baabda
Dans le caza de Baabda, caractérisé par une forte mixité confessionnelle et une importance politique stratégique, la participation a été modérée. Les affrontements électoraux y ont souvent opposé le Courant patriotique libre (CPL) à diverses coalitions indépendantes ou partisanes. Cependant, la polarisation n’a pas suffi à remobiliser massivement l’électorat, en particulier dans les localités maronites du sud du caza, où la compétition semblait verrouillée par des accords locaux.
Metn et Keserwan
Dans le Metn, le scrutin a mis en évidence une mobilisation à deux vitesses. Certaines municipalités ont connu une activité électorale marquée, notamment là où les Forces libanaises ont cherché à concurrencer l’implantation traditionnelle du CPL. Toutefois, les bastions historiquement dominés par les notables n’ont vu que peu de changements, avec une mobilisation en demi-teinte, souvent limitée à la sphère familiale ou clanique. En Keserwan, la situation est encore plus tranchée : une majorité de municipalités ont été renouvelées sans vote, et là où le scrutin a eu lieu, la participation n’a jamais atteint les niveaux attendus.
Aley et Chouf
Les régions d’Aley et du Chouf, à dominante druze, ont été marquées par des configurations électorales relativement consensuelles. Dans plusieurs localités, les alliances entre figures proches du Parti socialiste progressiste (PSP) et des notables locaux ont neutralisé toute opposition réelle. La conséquence directe a été une faible participation, les électeurs estimant que les jeux étaient faits à l’avance. À Barouk, par exemple, des campagnes électorales symboliques ont été menées sans réel enjeu, avec un taux de participation inférieur à 40 %. À Aley-ville, une tentative de percée de candidats indépendants n’a pas suffi à créer une dynamique collective.
III. Les logiques communautaires à l’œuvre
Dans les régions à majorité chiite du Mont-Liban, comme Ghobeiry, Chiyah ou Haret Hreik, les listes communes Amal-Hezbollah, souvent constituées très en amont, ont été élues avec des taux d’adhésion élevés mais dans un contexte de très faible concurrence. La discipline électorale observée dans ces zones ne reflète pas nécessairement une participation populaire volontaire, mais plutôt une mobilisation ciblée des bases militantes.
Dans les zones sunnites, la situation est plus contrastée. L’absence de leadership structuré, notamment après le retrait de la scène politique de Saad Hariri, a provoqué une atomisation du vote. À Bourj Hammoud ou Mazraa, des listes indépendantes ont émergé sans parvenir à fédérer autour d’elles. La participation dans ces zones reste en-dessous de la moyenne, illustrant un vide politique qui perdure.
Chez les chrétiens, la rivalité entre CPL et Forces libanaises continue de structurer le champ politique, mais sans relancer la participation. Dans plusieurs localités du Metn et de Baabda, cette concurrence s’est parfois traduite par une guerre d’affiches ou de recours juridiques, mais rarement par une mobilisation massive des électeurs.
IV. Une campagne électorale à faible intensité
Comparées aux campagnes municipales de 2016, les élections de 2025 ont été marquées par une faible intensité médiatique et un investissement limité des appareils partisans. Les affiches, réunions publiques et débats ont été moins visibles. Les réseaux sociaux ont largement pris le relais, mais les messages diffusés ont rarement dépassé le registre des promesses de voirie ou de services de base.
L’absence de vision globale pour les municipalités, l’incertitude sur le financement des collectivités et la défiance généralisée envers les institutions ont contribué à alimenter l’indifférence de nombreux électeurs. Ceux qui se sont rendus aux urnes l’ont souvent fait par loyauté familiale, communautaire ou par intérêt immédiat.
V. La jeunesse électorale : entre scepticisme et désengagement
La tranche d’âge des 21–35 ans, bien que numériquement importante, a été l’un des segments les moins mobilisés. Beaucoup de jeunes électeurs n’ont pas pris la peine de s’inscrire ou de transférer leur inscription vers leur lieu de résidence. Le discours politique dominant, perçu comme déconnecté de leurs réalités, n’a pas suscité d’adhésion.
Les rares initiatives portées par des jeunes candidats, souvent sous la bannière de listes dites « de changement », ont souffert d’un manque de moyens et de visibilité. Elles n’ont réussi à percer que dans des municipalités très localisées, souvent avec des scores symboliques.
VI. Enjeux pour les législatives de 2026
Même si la nature du scrutin municipal diffère radicalement de celle des élections législatives, les résultats de participation donnent un aperçu des capacités réelles de mobilisation des formations politiques. Le CPL, par exemple, bien qu’affaibli sur le plan national, a conservé des bastions grâce à des alliances locales opportunes. Les Forces libanaises, quant à elles, semblent avoir consolidé leur présence dans certaines zones, sans pour autant enregistrer de percée majeure.
Le Hezbollah et Amal conservent une assise stable dans leurs zones traditionnelles, mais peinent à exporter leur influence au-delà. L’éparpillement sunnite pourrait favoriser, à terme, l’émergence de figures nouvelles, à condition que celles-ci parviennent à structurer un message politique cohérent.