Le scrutin municipal du 4 mai 2025 dans le Mont-Liban, première étape d’un processus électoral national, a révélé une reconfiguration discrète mais efficace des alliances politiques locales. Parmi elles, la coordination entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre (CPL) s’est affirmée comme une stratégie électorale ciblée, visant à sécuriser des zones d’influence dans un contexte d’érosion de la mobilisation partisane et de fragmentation du vote. Si cette coopération n’a pas été généralisée, elle a néanmoins permis d’illustrer comment deux forces politiques aux trajectoires différentes peuvent converger autour d’objectifs électoraux communs.
Une alliance construite sur le pragmatisme électoral
Au-delà de leur accord politique historique de Mar Mikhaël, signé en 2006, le Hezbollah et le CPL ont misé sur une approche pragmatique dans les municipales de 2025. Loin d’une alliance idéologique uniforme, leur coordination a reposé sur des arrangements locaux, adaptés aux spécificités démographiques et électorales de chaque circonscription. Dans des localités mixtes, à l’image de Hadath ou Baabda, les deux formations ont uni leurs forces pour maximiser leurs chances face à des adversaires communs ou à la montée de candidats indépendants. Le Hezbollah a choisi de ne pas concurrencer frontalement ses partenaires dans les zones chrétiennes, tout en soutenant activement leurs listes. De son côté, le CPL a appliqué la même logique dans les zones chiites, en se retirant ou en jouant un rôle de second plan dans les bastions du Hezbollah comme Haret Hreik ou Ghobeiry.
Une répartition territoriale des rôles
Cette coordination électorale s’est appuyée sur une lecture fine du terrain. Là où le Hezbollah dispose d’un socle électoral solide, notamment dans les quartiers populaires et les zones périphériques du Mont-Liban à majorité chiite, il a pris en charge la constitution des listes et la mobilisation. Dans ces cas de figure, la présence du CPL s’est limitée à un appui symbolique ou à une insertion marginale dans les listes dominées par les cadres chiites. À l’inverse, dans les zones à majorité chrétienne mais où une base chiite significative est installée, le CPL a piloté les alliances en mettant en avant ses cadres, ses élus sortants et ses réseaux communautaires. Cette complémentarité a permis de contourner les logiques de confrontation électorale directe tout en consolidant les positions acquises. Elle a aussi permis de verrouiller certaines municipalités où l’émiettement des candidatures aurait pu ouvrir la voie à des listes indépendantes ou soutenues par des forces concurrentes comme les Forces libanaises.
Un outil de gestion des rapports de force internes
La collaboration entre le Hezbollah et le CPL dans ce scrutin local a également eu une fonction régulatrice dans le cadre de leurs relations politiques nationales. Ces derniers mois, les tensions entre les deux partis s’étaient multipliées autour de sujets comme la réforme judiciaire, la gouvernance économique ou les nominations dans l’administration. En se coordonnant efficacement à l’échelle municipale, les deux camps ont envoyé un signal de stabilité à leurs bases respectives, tout en se donnant les moyens d’évaluer leur capacité de mobilisation. Cette coopération n’a pas effacé les désaccords de fond, mais elle a permis de maintenir un équilibre opérationnel au sein de l’axe politique qu’ils composent depuis près de deux décennies.
Une stratégie face à l’affaiblissement des adversaires
Le contexte général du scrutin a largement favorisé cette coordination. Les forces indépendantes, qui avaient émergé avec vigueur lors des législatives de 2022, n’ont pas réussi à structurer une offre électorale cohérente à l’échelle municipale. Fragmentées, peu implantées localement, elles ont échoué à présenter des listes dans de nombreuses localités stratégiques. Dans le même temps, les Forces libanaises ont consolidé leur présence dans certaines zones chrétiennes, mais sans parvenir à établir une dynamique majoritaire. Face à ces limites, l’alliance ponctuelle entre le CPL et le Hezbollah a représenté une réponse tactique efficace : elle a permis de verrouiller des municipalités clés, d’éviter des dispersions de voix et de bloquer l’émergence de nouvelles figures politiques locales. L’anticipation, la discipline organisationnelle et le recours à des listes consensuelles ont largement contribué à l’efficacité du dispositif.
Des résultats concrets mais inégaux
Dans plusieurs municipalités, les listes communes ont été élues sans opposition significative. Dans d’autres, elles ont remporté la majorité malgré des campagnes adverses actives. Ce succès relatif repose sur une combinaison d’ancrage territorial, de capacité logistique et d’un discours électoral recentré sur la gestion des affaires locales. Toutefois, les résultats ne sont pas homogènes : dans certaines zones, la faible mobilisation ou la démobilisation partielle de certains électeurs a laissé entrevoir des limites à cette stratégie. La fusion des bases militantes n’est pas acquise, et la réticence de certains cadres intermédiaires à coopérer pleinement a pu ralentir les dynamiques de campagne.
Une coopération appelée à durer ?
Le succès électoral de cette coordination locale pourrait inspirer les prochaines étapes du processus électoral municipal, prévues dans d’autres gouvernorats du Liban. Toutefois, la singularité du Mont-Liban, tant en termes de composition confessionnelle que de densité politique, limite la reproductibilité automatique du modèle. De plus, l’approche reste fragile. Elle repose sur des équilibres ponctuels, des accords bilatéraux non formalisés, et des logiques de court terme. Rien ne garantit que cette entente se prolonge à l’échelle des élections législatives prévues en 2026, où les rapports de force seront plus ouverts, et où les intérêts électoraux pourraient diverger davantage. Pour le CPL comme pour le Hezbollah, les municipales de 2025 auront été l’occasion d’un test grandeur nature de leur capacité à gérer ensemble des enjeux locaux tout en préservant leur autonomie stratégique. Reste à savoir si cette expérience pourra être convertie en dynamique durable ou si elle demeurera un simple épisode de convergence conjoncturelle.