Depuis l’accord de Taëf, la question des prérogatives du Président de la République n’a jamais cessé d’être posée. Parce qu’à la différence de ses prédécesseurs le Président de la République actuel se dit fort en raison de son assise populaire et du fait que le bloc parlementaire du parti qu’il a fondé est le plus grand à la Chambre, la question se pose encore plus. Quelle marge de manœuvre la Constitution accorde-t-elle au Président de la République ? Est-ce que la Constitution permet au Président de la République de décider et de réaliser des changements dans la vie des Libanais et des réformes politiques et économiques ? Les constitutionalistes s’expriment peu sur le sujet et lorsqu’ils prennent la parole, les uns ne font que glorifier la Constitution car ils ont travaillé à sa modification en 1990 ou au sein du Conseil constitutionnel et les autres ne cherchent qu’à attaquer le Président de la République actuel même s’ils critiquent l’accord de Taëf car ils s’opposent à lui politiquement. Les leaders politiques sont eux-mêmes perdus en raison des nœuds constitutionnels et des imbrications paralysant tout le système. Je pense donc qu’il faut prendre le temps d’expliquer ce qu’il en est réellement afin que les gens comprennent la réalité des pouvoirs du Président quel que soit celui qui est en fonction : l’actuel ou celui qu’ils souhaiteraient voir à ce poste. Ne relevant pas d’un parti politique, je peux dire en toute objectivité, indépendance et liberté que la défense et l’exercice par le Président de la République des rares pouvoirs de sa fonction est dans l’intérêt du Liban. 

Le contournement du Président de la République dans la vie politique libanaise depuis trente ans a :

Permis le renforcement, au détriment de l’État, des lobbys politico-financiers, des cartels et des monopoles ;

Offert les moyens à un gouverneur de la Banque Centrale indéboulonnable d’instaurer une pyramide de Ponzi au niveau du pays spoliant principalement la population libanaise résidente et émigrée ;

Entrainé une diminution des droits des chrétiens d’autant que les prédécesseurs du Président de la République actuel n’avaient pas d’assise populaire forte comme lui ;

Empêché l’État d’imposer à tous le monopole de la violence et des armes alors qu’il est le seul à en avoir la légitimité, créant ainsi une brèche dans laquelle se sont engouffrés les organisations palestiniennes (qui contrôlent les camps palestiniens où se cachent des fugitifs), le Hezbollah et d’autres qui ont même tenté d’instaurer un État islamique au Liban (à l’aube de l’an 2000 et en 2007) ; 

En raison du parlementarisme, causé le clientélisme (qui a permis aux anciens chefs de milices chiite et druze de maintenir leur emprise sur leurs communautés respectives et aux plus riches hommes d’affaires de s’implanter dans la rue sunnite), une corruption généralisée et la paralysie des institutions et des réformes pourtant tellement nécessaires ; et créé le besoin d’un tuteur (qu’il soit syrien ou autre). 

Alors que le Président du Conseil est le chef de l’Administration et du pouvoir exécutif détenu par le Conseil des ministres et que le Président de la Chambre est le chef du pouvoir législatif détenu par la Chambre des députés, seul le Président de la République, chef de l’État mais sans pouvoirs réels, prête un serment de loyauté à la nation. Ce serment consiste à observer la Constitution et les lois et, sans pouvoirs réels, à maintenir l’indépendance du Liban et l’intégrité du territoire. Une aberration ! 

Avec l’accord de Taëf, le Président de la République n’est même plus un arbitre. Ce n’est que symboliquement qu’il commande aux armées puisque le commandant en chef de l’Armée est sous l’autorité du Conseil des ministres. 

Son rôle est plus formel que réel car il est contourné même au niveau du pouvoir de signer les décrets et de promulguer les lois qui deviennent exécutoires après un certain délai. La désignation du Président du Conseil est tributaire du choix des députés. Pour ce qui est de la démission du Cabinet, il ne peut que l’accepter. Seul le Conseil des ministres peut révoquer un ministre. La Chambre ne peut quasiment plus être dissoute alors qu’elle peut pousser le Conseil des ministres à la démission. 

En somme, le Président de la République ne gouverne pas. Le pouvoir exécutif est détenu par le Conseil des ministres et son Président, le pouvoir législatif par la Chambres des députés et son Président et le pouvoir judiciaire pénal est en réalité entre les mains du ministère public près la Cour de cassation et du procureur général qui le préside. 

Depuis l’occupation syrienne, le poste de procureur général près la Cour de cassation est dévolu à un musulman sunnite (et le poste de directeur général de la Sûreté générale à un musulman chiite). Ses prérogatives ont été renforcées en 2001. Dans le même temps, il n’y a toujours pas de séparation entre le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire. L’actuel procureur général près la Cour de cassation est ainsi connu pour son affiliation politique. 

En réalité, il ne reste que deux pouvoirs au Président de la République : participer à la formation du Gouvernement en partenariat avec le Président du Conseil désigné et présider le Conseil supérieur de défense (CSD). 

C’est précisément sur ces deux pouvoirs que la Présidence de la République s’appuie aujourd’hui et est, pour cela, la cible de ses détracteurs et d’une violente campagne politique et médiatique orchestrée par le parrain international de l’accord de Taëf (les États-Unis), le parrain régional de l’accord de Taëf (l’Arabie saoudite) et localement par le club des anciens Présidents du Conseil et par le Président de la Chambre ainsi que par les alliés locaux de ces parrains et de ces personnalités, la plupart des médias locaux, la Banque Centrale (et son gouverneur) et les banques.

Il exerce son pouvoir de participation à la formation du Gouvernement en partenariat avec le Président du Conseil désigné pour : 

Obtenir en contrepartie de sa signature du décret de formation le limogeage du gouverneur de la Banque du Liban (BDL). Cela faciliterait, selon lui, la réalisation de l’audit juricomptable de la BDL qui est une exigence du Fonds monétaire international (FMI) pour débloquer des crédits dont le Liban a tant besoin. 

Veiller à ce que le critère de rotation des ministères régaliens entre les communautés soit respecté (à l’exception du ministère des Finances dévolu pour cette fois encore à la communauté chiite et au parti du Président de la Chambre). Le Président de la République espère pouvoir choisir le ministre de l’Intérieur pour regagner une popularité par le biais des municipalités et pour contrôler les Forces de sécurité intérieure (FSI) dirigées par un général à l’affiliation politique bien connue, les municipalités et les FSI relevant toutes deux de ce ministère. 

S’assurer que le critère de sélection des ministres soit le même pour toutes les communautés. Ainsi, si le Président du Conseil désigné sunnite (appuyé par le club sunnite des anciens Présidents du Conseil) nomme les ministres sunnites, le tandem chiite (le mouvement Amal et le Hezbollah) les ministres chiites et le principal leader druze nomme le ministre druze alors les ministres chrétiens ne peuvent être nommés que par le Président de la République et les partis chrétiens (dont le plus grand à la Chambre des députés est celui qu’il a lui-même fondé).

Arracher un tiers de blocage lui permettant de peser dans le pouvoir exécutif. En effet, sans tiers de blocage, son poids serait limité, ce qui l’obligerait à faire des alliances et donc des compromis.   

Quant au pouvoir de présider le CSD qui peut être convoqué par lui uniquement en cas de circonstances exceptionnelles et de menaces sécuritaires sérieuses, il l’exerce en raison de la pandémie du Coronavirus et de l’explosion du port de Beyrouth le 4 août dernier. 

Nul ne peut contester le fait que ce soient des circonstances exceptionnelles. L’article 8 de la loi de la défense ouvre même la possibilité pour le CSD d’étudier des questions relevant de la Santé, des Finances et de l’Éducation. 

Les détracteurs y voient une volonté du Président de la République de faire de cette instance sécuritaire regroupant sous sa présidence son conseiller militaire et à la sécurité et tout autre conseiller concerné, le directeur général de la Présidence, le Président du Conseil (vice-président du CSD), les conseillers concernés de celui-ci et le secrétaire général du Conseil des ministres, les ministres de la Défense, de l’Intérieur et ceux concernés par l’ordre du jour et l’ensemble des services de sécurité du pays (l’officier Secrétaire général du CSD, le commandant en chef de l’armée, le commandant des forces navales, le directeur général de la Sûreté générale, le chef de la Sûreté de l’État, le directeur générale des Forces de sécurité intérieure, le directeur du renseignement de l’armée et autres, dépendamment du sujet) un « Gouvernement alternatif » (comme l’a dit Walid Joumblatt lors d’une interview accordée le 6 décembre 2020 à la chaîne de télévision locale al-Jadeed) ou un « mini-cabinet » se réunissant environ une fois par mois. 

Pourtant, le Conseil s’est limité à effectuer des recommandations dont l’exécution relève de la compétence du Conseil des ministres en tant que pouvoir exécutif. 

Si dernièrement le CSD s’est penché sur le nettoyage des canalisations sur les routes c’est parce que le Gouvernement démissionnaire ne se réunit plus et que le pays doit être géré. 

L’explosion au port de Beyrouth nous rappelle l’importance de ne rien négliger. 

J’ajoute enfin que selon Le Monde[1], le président de la République française Emmanuel Macron a fait dans son pays du Conseil français de défense et de sécurité nationale (CDSN ou « Conseil de défense ») « le lieu-clé dans les prises de décision les plus sensibles de l’exécutif, son principal outil de gestion de crise, lequel se réunit à un rythme quasi hebdomadaire ». 

Attaquer le Président de la République sur l’exercice de ces deux pouvoirs est donc une manœuvre politicienne voire même confessionnelle de la part de ses adversaires internationaux, régionaux et locaux qui se soucient peu de l’intérêt du Liban. 


[1] https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/11/le-conseil-de-defense-outil-de-gestion-de-crise-prise-par-emmanuel-macron_6059306_823448.html

Un commentaire?