La crise financière qui étrangle le Liban depuis 2019 a exposé le secteur bancaire comme un monstre à deux têtes : un symbole d’opulence passé devenu une machine à broyer l’économie nationale. En mars 2025, sa restructuration est le nœud gordien des pourparlers entre Beyrouth et ses partenaires internationaux, notamment le Fonds monétaire international (FMI). Les options sur la table oscillent entre une refonte radicale et des compromis bancals, mais une chose est claire : il est hors de question de collectiviser les pertes colossales engendrées par des décennies de pratiques bancaires irresponsables et prédatrices. Face aux exigences du FMI et à la résistance acharnée des banques libanaises, cette crise met en lumière les impacts dévastateurs sur les épargnants, les investisseurs étrangers et une économie au bord du gouffre. Voici une plongée dans ce fiasco financier et ses enjeux critiques.
Une crise bancaire orchestrée par l’avidité
Le secteur bancaire libanais n’a pas simplement trébuché : il s’est effondré sous le poids de ses propres turpitudes. Avant 2019, ces institutions se pavanaient comme les joyaux de l’économie, attirant des milliards de dollars de la diaspora avec des taux d’intérêt mirobolants – jusqu’à 12 % – qui défiaient toute logique économique. Ce mirage, entretenu par la Banque du Liban (BDL) sous Riad Salamé, reposait sur une pyramide de Ponzi déguisée en politique monétaire : les dépôts étaient recyclés en obligations d’État ou prêtés à un gouvernement insolvable, incapable de rembourser autre chose que des promesses creuses. Pendant des années, les banquiers ont gonflé leurs coffres en prêtant à des taux usuraires à un État en faillite, tout en transférant discrètement des fortunes à l’étranger pour leurs actionnaires et leurs alliés politiques.
Quand la bulle a éclaté fin 2019, la vérité a éclaté au grand jour : plus de 70 milliards de dollars de pertes, soit trois fois le PIB actuel du Liban, estimé à 18 milliards en 2024. Les déposants, coincés par des restrictions sauvages, ont vu leurs économies s’évaporer, tandis que les réserves de la BDL fondaient de 36 milliards en 2019 à 8 milliards aujourd’hui, incapables de financer les importations de base comme le carburant ou les médicaments. Les banques, loin d’assumer leur rôle dans ce désastre, ont pointé du doigt l’État et les déposants, refusant de reconnaître leur cupidité comme la racine du problème. Cette crise n’est pas un accident : elle est le fruit d’une gestion criminelle et d’un système où les profits étaient privatisés, mais où l’on veut aujourd’hui collectiviser les pertes – une idée inacceptable.
Les exigences du FMI : un remède amer mais nécessaire
Le FMI, en pourparlers avec Beyrouth depuis 2022, refuse de céder au chantage des banquiers. Son plan pour débloquer une aide de 3 milliards de dollars est clair : recapitaliser les banques viables, liquider les autres et répartir les pertes sans les faire porter aux contribuables ou aux petits épargnants. En février 2025, un rapport du Fonds a chiffré les pertes à 72 milliards, exigeant que les actionnaires et les gros déposants – ceux ayant plus de 100 000 dollars – absorbent le choc. « Collectiviser les pertes serait une injustice intolérable », a déclaré un représentant du FMI lors d’une réunion à Washington le 16 mars, insistant sur la responsabilité des banquiers qui ont joué avec le feu pendant des décennies.
L’unification du taux de change, actuellement éclaté entre un taux officiel fictif de 15 000 livres pour un dollar et un marché noir à 100 000, est une autre condition sine qua non. Cette mesure, qui officialiserait une dévaluation massive, stabiliserait la monnaie, mais ferait grimper les prix des importations, un coût que les banques veulent reporter sur l’État et la population. Le FMI demande aussi une réforme de la BDL, dirigée par intérim par Wassim Mansouri depuis juillet 2023, pour mettre fin à des années de comptabilité opaque et de transferts illicites orchestrés sous Salamé, dont les enquêtes internationales ont révélé des détournements personnels de centaines de millions de dollars.
Ces exigences visent à assainir un système pourri de l’intérieur, mais elles se heurtent à un mur : les banques et leurs alliés politiques, qui refusent de payer pour leurs erreurs.
Les banques libanaises : un refus coupable
Les banques libanaises, par la voix de l’Association des banques du Liban (ABL), opposent une résistance scandaleuse. Elles rejettent toute ponction sur les gros dépôts, arguant que cela « détruirait la confiance » dans un secteur déjà en lambeaux. Le 18 mars, un porte-parole de l’ABL a eu l’audace de déclarer : « Les déposants ne doivent pas être punis pour une crise qu’ils n’ont pas causée. » Une hypocrisie sidérante quand on sait que ces mêmes banques ont sciemment investi dans des titres d’État à risque, prêté à des politiciens véreux et siphonné des fonds vers des paradis fiscaux. Entre 2019 et 2021, plus de 20 milliards de dollars auraient été exfiltrés par des élites bancaires et politiques, une hémorragie documentée par des ONG et confirmée par des audits indépendants, tandis que les petits épargnants étaient laissés pour compte.
Leur stratégie est limpide : protéger leurs actionnaires, souvent des dynasties familiales liées aux partis au pouvoir comme le Hezbollah, Amal ou le CPL, qui ont profité de ce système pendant des décennies. Plutôt que d’assumer leurs pertes, elles poussent pour que l’État – c’est-à-dire les contribuables – éponge le désastre via une dette restructurée, une solution qui collectiviserait les pertes et que le peuple libanais, déjà à genoux, refuse catégoriquement. Cette posture bloque les négociations avec le FMI, prolongeant une agonie économique dont elles sont les principales architectes.
Les épargnants : victimes d’un système véreux
Pour les épargnants libanais, la restructuration est une question de vie ou de mort. Plus de 300 milliards de dollars de dépôts sont gelés depuis 2019, dont 80 % appartiennent à une poignée de gros déposants – environ 120 000 comptes – et le reste à des millions de petits épargnants. Le plan du FMI propose de protéger ces derniers, limitant leurs pertes à un remboursement échelonné sur 10 à 15 ans, tandis que les comptes supérieurs à 100 000 dollars subiraient des coupes de 50 à 75 %. Une distinction juste en théorie, mais qui ne console pas une population trahie par des banquiers sans scrupules.
Les petits déposants, souvent des retraités ou des familles ayant économisé toute une vie, survivent avec des retraits mensuels plafonnés à 100 ou 200 dollars, quand ils ne sont pas purement bloqués. Les gros déposants, eux, sont souvent des proches de l’élite, qui ont profité des taux exorbitants avant la crise. Mais aucun ne mérite de payer pour un système où les banques ont joué au casino avec leur argent, transférant des fortunes à l’étranger pendant que le pays sombrait. Le 17 mars, des manifestations ont éclaté à Beyrouth, avec des pancartes criant : « Pas un centime de nos poches pour vos crimes ! » La collectivisation des pertes, une idée caressée par les banquiers, est une ligne rouge pour un peuple déjà exsangue.
Les investisseurs étrangers : entre prudence et fuite
Pour les investisseurs étrangers, la restructuration est un pari risqué. Une refonte réussie pourrait ramener une once de confiance, attirant des capitaux dans un secteur assaini et ouvrant la voie à une renégociation des 14 milliards de dollars d’eurobonds en défaut depuis 2020. Une économie stabilisée offrirait aussi des opportunités dans l’énergie ou les télécoms, des secteurs à fort potentiel mais ravagés par la crise. Mais pour l’instant, la méfiance règne. Les pratiques prédatrices des banques – prêts fictifs, transferts illicites, collusion avec l’élite – ont terni l’image du Liban, et les blocages politiques n’arrangent rien. En février, un fonds basé à Dubaï a gelé un projet de 500 millions de dollars dans l’immobilier, citant « un manque total de clarté » sur l’avenir financier du pays.
Les pressions des États-Unis et de l’UE, qui exigent des réformes pour débloquer l’aide, ajoutent à l’incertitude. Les investisseurs savent que sans accord avec le FMI, le Liban restera un trou noir économique, incapable d’attirer autre chose que des spéculateurs prêts à parier sur un redressement improbable.
Une économie nationale au bord de l’abîme
L’issue de cette restructuration déterminera le sort de l’économie libanaise. Sans refonte, le pays restera coupé des financements internationaux, condamné à une inflation galopante – 150 % en 2025 – et à une pénurie chronique de biens essentiels. Les pannes d’électricité, qui durent 22 heures par jour, et l’émigration massive – 500 000 départs depuis 2020 – continueront de vider le Liban de ses forces vives. Avec une refonte qui rejette la collectivisation des pertes et force les banquiers à payer, une lueur d’espoir pourrait émerger : stabilisation de la monnaie, réduction de l’inflation, retour progressif des investissements.
Mais sous Nawaf Salam, le gouvernement patauge dans des divisions profondes. Les banques, avec leurs pratiques honteuses, restent un obstacle majeur, protégées par une élite qui préfère sacrifier le peuple plutôt que ses privilèges. En mars 2025, la restructuration bancaire n’est pas une simple réforme technique : c’est un combat pour la justice dans un pays où les coupables veulent faire payer leurs victimes.