Une classe politique vieillissante face à un rejet populaire croissant
Depuis des décennies, le Liban est gouverné par les mêmes figures politiques, issues des guerres, des arrangements confessionnels et des jeux d’influence régionaux. Cette classe dirigeante, qui a façonné le système libanais depuis la fin de la guerre civile, est aujourd’hui contestée comme jamais auparavant. Alors que le pays traverse une crise économique et institutionnelle sans précédent, les appels au changement se multiplient, mais la recomposition du pouvoir demeure bloquée par des dynamiques de maintien des élites et l’absence d’alternative structurée.
Les manifestations de 2019 ont marqué une rupture dans la relation entre le peuple et ses dirigeants, exprimant une défiance profonde envers la classe politique traditionnelle. Les Libanais ont réclamé une refonte complète du système, dénonçant la corruption, le clientélisme et l’inefficacité de l’État. Pourtant, malgré des élections législatives censées refléter cette colère, les grands partis ont conservé leur emprise sur les institutions, empêchant l’émergence d’une nouvelle génération politique.
Les obstacles à l’émergence d’une nouvelle génération politique
Si la contestation populaire et le rejet des élites politiques sont largement répandus, la transformation du paysage politique libanais reste entravée par plusieurs facteurs structurels. Le premier obstacle est le système confessionnel lui-même, qui favorise le maintien des figures historiques et empêche l’émergence de nouvelles forces politiques.Chaque communauté détient ses représentants, qui contrôlent non seulement le pouvoir politique, mais aussi les ressources économiques et sociales essentielles à leur maintien au sommet de l’État.
Les nouveaux partis et mouvements issus de la contestation de 2019 ont tenté de se structurer et de proposer une alternative politique crédible, mais ils se sont rapidement heurtés à la fragmentation et à l’absence de leadership unifié. Les divisions internes et les stratégies divergentes ont empêché ces mouvements de s’imposer face aux blocs politiques traditionnels, qui ont utilisé leurs réseaux clientélistes pour reconsolider leur position.
Un autre obstacle majeur est le contrôle exercé par les élites traditionnelles sur le système électoral et les institutions de l’État. Les lois électorales sont taillées sur mesure pour garantir la réélection des figures dominantes, rendant extrêmement difficile l’émergence de nouvelles forces politiques en dehors des structures établies. Les financements de campagne restent également contrôlés par les élites, ce qui empêche les nouvelles formations d’accéder aux ressources nécessaires pour rivaliser dans les urnes.
Enfin, l’influence des puissances étrangères complique la recomposition politique. Le Liban demeure un champ de bataille entre différentes influences régionales et internationales, chaque acteur extérieur cherchant à préserver ses intérêts en soutenant les forces politiques traditionnelles. Toute tentative de changement politique est perçue comme une menace par ces puissances, qui utilisent leur poids économique et diplomatique pour freiner toute transformation du système.
Les nouveaux acteurs politiques : entre espoir et marginalisation
Malgré les nombreux obstacles, de nouvelles figures politiques ont émergé ces dernières années, portées par le rejet de la classe dirigeante traditionnelle et la volonté de réformer le système libanais. Issues des mouvements de protestation de 2019, de la société civile et parfois du monde économique, ces personnalités cherchent à rompre avec le clientélisme et la corruption qui gangrènent le pays.
Certaines d’entre elles ont réussi à obtenir des sièges au Parlement, marquant une première brèche dans le monopole des partis traditionnels. Cependant, ces nouvelles voix restent largement minoritaires et se heurtent à un environnement politique hostile, où les alliances confessionnelles et les structures de pouvoir établies bloquent tout véritable changement institutionnel. Leur influence est limitée par le contrôle des commissions parlementaires par les élites traditionnelles, qui verrouillent les débats et empêchent l’adoption de réformes structurelles.
Un autre défi pour ces nouvelles forces politiques est leur manque d’expérience dans la gestion de l’État. Certains députés issus des mouvements de contestation se sont retrouvés isolés, sans capacité à peser sur les décisions et sans les relais institutionnels nécessaires pour mener à bien leurs propositions. L’absence de stratégie commune et la fragmentation de ces mouvements ont également affaibli leur capacité à s’imposer comme une véritable alternative.
Le rôle des médias dans cette dynamique est également ambivalent. Si certaines chaînes de télévision et journaux ont donné de la visibilité à ces nouvelles figures, d’autres, contrôlés par les grandes familles politiques, ont œuvré à leur marginalisation, en les présentant comme incompétents ou divisés. Cette bataille médiatique est essentielle, car l’opinion publique libanaise reste largement influencée par les grands groupes de presse affiliés aux partis traditionnels.
L’absence de renouvellement générationnel et le verrouillage des institutions
Si l’émergence de nouvelles figures politiques est un signe de changement, elle reste insuffisante face à l’architecture du pouvoir profondément enracinée au Liban. Le verrouillage des institutions par la classe dirigeante historique empêche toute véritable transition politique, rendant difficile le renouvellement des élites et la mise en place de réformes structurelles.
L’une des principales stratégies utilisées par les figures politiques traditionnelles pour se maintenir au pouvoir est le contrôle des postes clés de l’État et des institutions publiques. Les administrations gouvernementales, les ministères et les entreprises publiques sont dirigés par des fidèles des grandes familles politiques, garantissant la pérennité du système clientéliste. Ce contrôle empêche toute tentative de réforme de l’intérieur, car les décisions stratégiques sont entre les mains de ceux qui ont intérêt à maintenir le statu quo.
Le Parlement, censé être un espace de débat et de changement législatif, est également un outil de blocage du renouvellement politique. Les partis traditionnels ont façonné les règles électorales et institutionnelles pour préserver leur domination, rendant l’accès au pouvoir extrêmement difficile pour les nouvelles générations politiques. Les lois électorales, en favorisant les alliances confessionnelles et en imposant des critères restrictifs aux nouvelles formations politiques, limitent toute possibilité de transformation du paysage politique.
Dans ce contexte, les jeunes figures politiques, bien que porteuses d’idées nouvelles et de propositions concrètes, se retrouvent isolées et sans capacité d’action. Les rares députés indépendants élus ces dernières années sont confrontés à un Parlement où les décisions sont prises dans l’opacité des arrangements entre les grands blocs politiques, les excluant des processus de décision.
L’impact de cette fermeture du système est visible à travers le taux élevé de désillusion chez les jeunes Libanais, qui ne croient plus en la possibilité d’un changement par les voies institutionnelles. Beaucoup choisissent de quitter le pays, renforçant ainsi la fuite des talents et privant le Liban de ses forces vives, capables d’impulser une nouvelle dynamique politique et économique. Ce cycle de blocage institutionnel et d’exode de la jeunesse empêche toute transition naturelle du pouvoir, laissant la direction du pays aux mains des mêmes élites depuis plusieurs décennies.