Un festival emblématique de la culture libanaise menacé par la crise
Depuis sa création en 1956, le Festival international de Baalbek s’est imposé comme l’un des événements culturels les plus prestigieux du Liban et du monde arabe. Organisé dans le cadre majestueux des ruines romaines de Baalbek, il a accueilli au fil des décennies des figures légendaires telles que Fairouz, Umm Kulthum, Miles Davis, Ella Fitzgerald, Nina Simone ou encore Plácido Domingo. Symbole du dynamisme artistique libanais, le festival a su traverser les crises politiques et économiques sans renoncer à son ambition première : offrir une scène d’envergure internationale aux artistes du monde entier.
Cependant, l’édition 2025 du festival se déroule dans un contexte particulièrement difficile. La crise économique, l’effondrement du système bancaire, la dévaluation de la livre libanaise et l’instabilité politique ont sérieusement compromis l’organisation de l’événement. Depuis plusieurs années, les réductions budgétaires et le manque de financements menacent l’existence même du festival. Certaines éditions, notamment en 2006 pendant la guerre entre Israël et le Hezbollah, avaient déjà été annulées avant de renaître. En 2020, en pleine pandémie de Covid-19 et après l’explosion du port de Beyrouth, une édition spéciale sans public avait été organisée sous le titre Baalbek, l’âme du Liban, témoignant de la résilience de la culture libanaise face aux épreuves.
En plus de la crise économique et de l’effondrement des infrastructures, les récentes frappes israéliennes à proximité du site historique de Baalbek ont renforcé l’incertitude autour du maintien de l’événement. Alors que les tensions régionales s’exacerbent, plusieurs bombardements ont touché des positions situées dans la région de la Békaa, non loin du théâtre antique où se déroule le festival. Les échos des explosions résonnent encore dans cette ville millénaire, mais les organisateurs ont décidé de ne pas céder à la peur.
En 2025, cette résilience est une fois de plus mise à l’épreuve. Faute de subventions étatiques et de sponsors locaux, l’édition de cette année doit composer avec des moyens limités. Certaines performances ont été annulées, le budget global a été drastiquement réduit, et l’événement repose largement sur la mobilisation des artistes locaux et de la diaspora. Si le festival parvient malgré tout à maintenir une programmation, c’est au prix de choix difficiles et de nombreuses adaptations.
Les défis logistiques et financiers de l’édition 2025
L’organisation du Festival international de Baalbek 2025 se heurte à un défi financier majeur. Dans un pays où l’État est en faillite, les organisateurs doivent composer avec un désengagement total des pouvoirs publics. Jadis soutenu par des subventions gouvernementales, le festival ne peut plus compter sur cette aide, les fonds culturels étant devenus quasi inexistants dans un Liban rongé par la crise budgétaire. Aucune allocation spécifique n’a été prévue cette année, obligeant les responsables du festival à chercher des financements alternatifs.
Le secteur privé, autrefois un pilier du financement culturel, est lui aussi en grande difficulté. Les grandes entreprises libanaises, affectées par la récession et l’inflation galopante, ont considérablement réduit leurs dépenses en mécénat. Les banques, en pleine crise de liquidité, ne sponsorisent plus d’événements culturels comme elles le faisaient autrefois, et les marques locales, elles aussi fragilisées, se concentrent sur leur survie plutôt que sur le soutien à des manifestations artistiques.
Face à ce vide financier, quelques institutions culturelles internationales et mécènes étrangers tentent de combler une partie du déficit. Certaines organisations européennes et américaines ont répondu aux appels à l’aide des organisateurs, apportant un soutien ponctuel, mais qui reste insuffisant pour couvrir l’ensemble des coûts liés à un événement de cette ampleur. Plusieurs fondations privées, attachées à la préservation du patrimoine et de la culture libanaise, ont débloqué des fonds d’urgence pour assurer le strict minimum nécessaire au maintien de l’édition 2025.
Ce manque de moyens a des conséquences immédiates sur l’ampleur et la qualité du festival. Certaines prestations initialement prévues ont été annulées faute de financements suffisants pour couvrir les cachets des artistes et les frais techniques nécessaires à leur venue. La scène internationale, qui faisait autrefois le prestige du festival, est cette année quasi absente.
Une programmation adaptée à la crise et un engagement de la scène locale
Face à ces défis, les organisateurs ont dû revoir leur programmation, en s’appuyant davantage sur des artistes libanais et arabes. Si le festival a toujours mis en avant les talents locaux, cette année marque un retour aux fondamentaux de la scène musicale libanaise. Marcel Khalifé, Hiba Tawaji, Oumeima El Khalil et l’Orchestre philharmonique du Liban figurent parmi les têtes d’affiche.
Cette édition met également l’accent sur des performances adaptées aux contraintes budgétaires. Loin des grandes productions nécessitant une logistique lourde, plusieurs concerts seront acoustiques ou en formation réduite, privilégiant des ambiances intimistes en harmonie avec la grandeur du site antique. Le théâtre et la danse, traditionnellement présents au festival, seront représentés par des troupes locales expérimentant des mises en scène minimalistes adaptées aux conditions actuelles.
Des collaborations avec des artistes de la diaspora libanaise sont également au programme, notamment des performances diffusées en streaming pour permettre au public international de suivre l’événement malgré la distance. Cette initiative vise à renforcer les liens entre la scène culturelle libanaise et son public à l’étranger, un enjeu crucial dans un pays où de nombreux talents ont dû quitter le territoire pour poursuivre leur carrière.
Un festival au rayonnement international limité par la crise
Le Festival de Baalbek a toujours été une scène ouverte sur le monde, attirant chaque année des artistes de renom issus des quatre coins de la planète. Mais en 2025, les difficultés financières et logistiques ont eu raison de cette ambition internationale. Plusieurs artistes étrangers, annoncés en début d’année, ont finalement dû annuler leur venue, invoquant des problèmes de financement et d’organisation.
L’un des principaux freins reste le coût élevé du transport aérien, un poste de dépense qui s’est envolé ces derniers mois en raison de la crise mondiale et des restrictions financières imposées par le Liban. Les organisateurs, incapables de prendre en charge les billets d’avion et l’hébergement des artistes étrangers, n’ont pas pu honorer certains engagements.
En plus des coûts prohibitifs, les difficultés administratives ont également joué un rôle dans ces annulations. L’obtention de visas est devenue un parcours du combattant en raison de la paralysie des services consulaires et des restrictions de voyage liées aux tensions sécuritaires. Certains artistes, notamment ceux venant d’Europe et des États-Unis, ont préféré renoncer face à la complexité des démarches et à l’incertitude entourant leur séjour au Liban.
Enfin, la dégradation des infrastructures locales a dissuadé certains artistes internationaux de se produire à Baalbek cette année. Le manque de garanties en matière de sécurité et de logistique a pesé lourdement dans leur décision, d’autant plus que plusieurs bombardements israéliens ont récemment frappé la région, amplifiant les craintes des troupes et de leurs agents.
Des infrastructures en ruine : un défi logistique de taille
Baalbek, joyau du patrimoine libanais, souffre directement des conséquences de la crise qui frappe le pays. Les infrastructures locales, essentielles au bon déroulement du festival, sont en état de délabrement avancé.
Les routes menant au site historique sont dans un état critique, rendant les déplacements difficiles tant pour les spectateurs que pour les équipes techniques et les artistes. Les nids-de-poule, les tronçons non asphaltés et l’absence d’un réseau de transport public efficace compliquent l’accès au festival, particulièrement pour les visiteurs venant de Beyrouth ou d’autres régions du pays.
Un autre problème majeur réside dans les coupures d’électricité, de plus en plus fréquentes. L’ensemble du Liban est touché par une crise énergétique sévère, et Baalbek ne fait pas exception. Les organisateurs doivent recourir à des générateurs privés pour garantir l’éclairage et le bon fonctionnement des installations scéniques. Or, l’achat de carburant pour ces générateurs représente une dépense considérable, grevant encore davantage un budget déjà réduit.
Le manque d’infrastructures hôtelières opérationnelles ajoute une difficulté supplémentaire. Les quelques hôtels encore en activité dans la région peinent à offrir des services de qualité en raison du manque d’eau courante, des coupures de courant et de la hausse des coûts de fonctionnement. Plusieurs établissements qui accueillaient autrefois les artistes et les techniciens ont dû fermer leurs portes ou réduire leur capacité d’accueil. Les organisateurs doivent donc loger les participants dans des conditions précaires, voire les faire venir uniquement pour la durée des représentations.
Dans ce contexte, chaque spectacle devient un défi logistique en soi. L’installation des scènes, l’organisation des répétitions et la gestion des flux de spectateurs nécessitent une planification minutieuse, avec des solutions improvisées pour pallier les déficiences des infrastructures locales.
Une mobilisation essentielle pour maintenir l’événement
Si l’édition 2025 du Festival de Baalbek parvient à exister malgré ces contraintes, c’est avant tout grâce à la détermination des organisateurs, des artistes libanais et du public. L’événement repose désormais sur une solidarité culturelle sans précédent, où chaque contribution – qu’elle soit financière, technique ou artistique – compte pour maintenir le festival en vie.
Face à la désertion des grandes entreprises et des mécènes traditionnels, les Libanais de la diaspora jouent un rôle crucial en finançant une partie de l’événement. Plusieurs campagnes de levée de fonds ont été lancées en France, au Canada et aux États-Unis pour compenser le manque de soutien local.
En parallèle, les artistes libanais se mobilisent pour assurer une programmation digne de l’histoire du festival. Nombre d’entre eux acceptent de se produire avec des cachets réduits, parfois même de manière bénévole, conscients que la disparition du Festival de Baalbek serait une perte immense pour le patrimoine culturel du pays.
Cette mobilisation témoigne d’un attachement profond à un événement qui, depuis plus de 60 ans, a incarné la grandeur de la culture libanaise. Malgré l’absence de ressources, malgré les difficultés logistiques, malgré l’instabilité sécuritaire, Baalbek continue de résonner au son de la musique et du théâtre. Un défi colossal, mais un symbole que personne ne veut voir disparaître.
Un événement crucial pour l’économie locale et le moral du pays
Au-delà de son importance culturelle, le Festival de Baalbek représente une bouffée d’oxygène pour l’économie de la région. Même en format réduit, il génère une activité essentielle pour les commerçants, les hôteliers et les restaurateurs de Baalbek, qui comptent sur l’afflux de visiteurs pour compenser les pertes accumulées tout au long de l’année. L’événement crée également des emplois temporaires pour les techniciens, les agents de sécurité et les équipes de logistique, dont la survie économique dépend en grande partie de ce type d’événements.
Sur le plan social, le festival est un symbole de résilience. Dans un pays où la crise a miné le moral des habitants, son maintien constitue une affirmation forte de la vitalité culturelle libanaise. Les organisateurs refusent d’abandonner, et cette persévérance trouve un écho chez le public. Malgré les difficultés financières, de nombreux Libanais restent attachés à cet événement, prêts à soutenir l’initiative par leur présence ou par des dons.
Les mécènes libanais de la diaspora jouent également un rôle clé dans cette édition. Face à la diminution des financements locaux, plusieurs figures influentes basées à l’étranger ont contribué à maintenir l’événement, confirmant que le Festival de Baalbek dépasse largement les frontières du Liban et reste un symbole fort de son rayonnement international.
Loin de se limiter à un simple rendez-vous artistique, cette édition incarne un combat pour la culture et la mémoire collective. Baalbek ne se résume pas à ses ruines majestueuses : il est un espace vivant où se croisent l’histoire et la modernité, où chaque spectacle devient un acte de résistance face à l’adversité. Un défi renouvelé chaque année, un pari toujours plus audacieux, mais un engagement qui ne faiblit pas.