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Le Liban et la dépendance alimentaire : chronique d’une crise annoncée

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Contexte global de la flambée des prix alimentaires mondiaux

La hausse spectaculaire des prix alimentaires à l’échelle mondiale depuis 2024 constitue une tendance lourde qui se prolonge en 2025. Les effets cumulés de la guerre en Ukraine, des perturbations climatiques majeures et des tensions logistiques sur les chaînes d’approvisionnement continuent de faire grimper les cours des matières premières agricoles. Selon la Banque mondiale, les prix mondiaux des céréales ont augmenté de 17 % au premier trimestre 2025 par rapport à l’année précédente, tandis que les huiles alimentaires et les produits laitiers connaissent des hausses similaires.

La dépendance croissante de nombreux pays au commerce international pour leur approvisionnement alimentaire amplifie l’impact de cette crise. La volatilité des marchés, accentuée par des politiques de restriction à l’exportation prises par certains grands producteurs, exacerbe la vulnérabilité des économies importatrices nettes comme le Liban. Dans ce contexte global de tensions économiques et géopolitiques, les États fragiles subissent de plein fouet le choc des prix.

Le Liban, dépendant des importations alimentaires

Le Liban figure parmi les pays les plus exposés aux fluctuations des prix alimentaires mondiaux. En raison d’une production agricole nationale limitée, le pays dépend à près de 80 % des importations pour ses besoins alimentaires de base. Les céréales, essentielles pour la fabrication du pain, sont importées principalement d’Ukraine, de Russie et de certains pays européens. La guerre prolongée en Ukraine et les sanctions économiques imposées à la Russie perturbent gravement cet approvisionnement.

Les autorités libanaises ont tenté de diversifier leurs sources d’importation, se tournant vers des fournisseurs alternatifs comme l’Argentine ou l’Inde. Toutefois, les coûts de transport, conjugués à la faiblesse de la livre libanaise, rendent ces alternatives particulièrement onéreuses. Le secteur privé, qui assume l’essentiel des importations alimentaires, doit répercuter ces hausses sur les consommateurs finaux, accentuant l’érosion du pouvoir d’achat des ménages.

Cette situation est d’autant plus critique que le Liban importe également la quasi-totalité de ses besoins en huiles végétales et en produits laitiers, dont les prix ont également flambé. L’effet domino de cette dépendance se traduit par une hausse généralisée des prix dans les circuits de distribution locaux, y compris pour les denrées produites localement mais dont les intrants agricoles sont importés.

Impact direct sur les ménages libanais

Pour les familles libanaises, la flambée des prix alimentaires se traduit par une détérioration rapide des conditions de vie. Selon les dernières données du Programme alimentaire mondial, plus de 45 % des ménages au Liban consacrent désormais plus de la moitié de leurs revenus mensuels à l’alimentation. Ce pourcentage, en forte hausse par rapport à 2023, reflète l’intensification de la pression inflationniste sur les produits de base. Les prix du pain, du riz, des légumes secs et des huiles alimentaires ont doublé, voire triplé dans certains cas, depuis le début de l’année 2024.

Les classes moyennes, autrefois relativement épargnées, sont désormais directement touchées par la crise. De nombreux foyers qui parvenaient encore à maintenir un niveau de vie décent se retrouvent contraints de réduire leurs dépenses alimentaires, voire de se tourner vers l’aide humanitaire. Les files d’attente devant les centres de distribution alimentaire, gérés par des ONG et des associations locales, s’allongent chaque semaine.

La situation est encore plus alarmante pour les groupes vulnérables, tels que les réfugiés syriens, les travailleurs journaliers et les familles vivant en zone rurale. Déjà précarisés par la crise économique du pays, ils subissent de plein fouet les hausses de prix et l’effondrement des mécanismes traditionnels de solidarité communautaire. Les programmes d’aide en espèces mis en place par les agences internationales tentent de compenser en partie cette perte de pouvoir d’achat, mais les montants distribués restent bien en deçà des besoins réels.

Réactions des autorités libanaises

Face à cette crise alimentaire exacerbée, les autorités libanaises se trouvent dans une position de grande fragilité. Le ministère de l’Économie et du Commerce a tenté de contenir l’inflation par des mesures ponctuelles, telles que la suppression temporaire des droits de douane sur certaines importations alimentaires. Toutefois, ces dispositifs se heurtent à la réalité d’un État en faillite, privé de marges budgétaires pour financer des subventions massives.

Des discussions ont été engagées avec des bailleurs internationaux pour obtenir des facilités de financement d’urgence. La Banque mondiale, en collaboration avec le Fonds monétaire international, examine des mécanismes de soutien ciblés pour financer les importations stratégiques de denrées alimentaires. Ces initiatives visent à garantir un approvisionnement minimal pour éviter une aggravation dramatique de l’insécurité alimentaire.

Sur le plan local, certaines municipalités ont pris l’initiative d’organiser des achats groupés pour mutualiser les coûts d’importation. Des partenariats public-privé émergent timidement pour soutenir la distribution de produits alimentaires à prix réduit dans les quartiers les plus pauvres. Toutefois, l’ampleur de la crise dépasse largement les capacités d’action des structures administratives existantes.

Rôle des organisations internationales

Le soutien des organisations internationales s’avère crucial pour atténuer les effets immédiats de la crise alimentaire au Liban. Le Programme alimentaire mondial intensifie ses opérations de distribution de vivres, visant à atteindre près d’un million de bénéficiaires d’ici la fin de l’année 2025. Les livraisons humanitaires, composées de farine, d’huile, de sucre et de légumineuses, ciblent prioritairement les régions les plus exposées à l’insécurité alimentaire.

La Banque mondiale déploie également des financements spécifiques pour renforcer la résilience des systèmes alimentaires libanais. Un programme de soutien à l’agriculture locale, doté de 150 millions de dollars, a été lancé pour améliorer la production nationale et réduire la dépendance aux importations. Ce projet prévoit la distribution de semences de qualité, la réhabilitation des infrastructures d’irrigation et la formation des agriculteurs aux pratiques agricoles durables.

Parallèlement, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés collabore avec les autorités libanaises pour intégrer les réfugiés syriens dans les programmes de sécurité alimentaire. Cette approche inclusive vise à prévenir les tensions communautaires liées à la concurrence pour l’accès à l’aide humanitaire, dans un contexte où la solidarité nationale est mise à rude épreuve.

Stratégies d’adaptation dans l’agriculture locale

Face à la flambée des prix alimentaires et à la dépendance excessive aux importations, de nombreux acteurs libanais plaident pour une relance de la production agricole nationale. Bien que structurellement limitée par la taille restreinte du territoire et par des conditions climatiques parfois défavorables, l’agriculture locale représente un levier stratégique pour atténuer les chocs externes.

Des initiatives émergent dans plusieurs régions du Liban, notamment dans la plaine de la Bekaa et le sud du pays, où des coopératives agricoles tentent de relancer des cultures vivrières traditionnelles. Les agriculteurs locaux, soutenus par des ONG et des programmes de micro-financement, s’orientent vers la production de blé, de lentilles et de pois chiches, afin de renforcer l’autonomie alimentaire du pays.

Le ministère de l’Agriculture encourage la diversification des cultures et la valorisation des produits du terroir. Des campagnes de sensibilisation sont menées pour inciter les consommateurs à privilégier les circuits courts et les produits locaux. Toutefois, ces efforts se heurtent à des obstacles majeurs, tels que le coût élevé des intrants agricoles importés, la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, et l’accès limité au crédit pour les petits exploitants.

Pour améliorer la productivité et la résilience de l’agriculture libanaise, certains experts recommandent de moderniser les techniques de culture grâce à l’agriculture de précision et à l’irrigation efficiente. L’introduction de semences résistantes à la sécheresse, la mécanisation partielle des exploitations, et le développement de filières agroalimentaires intégrées figurent parmi les solutions envisagées pour renforcer la sécurité alimentaire nationale.

Les importations céréalières et les risques géopolitiques

La dépendance du Liban aux importations céréalières expose le pays à des risques géopolitiques élevés. La guerre en Ukraine a fortement perturbé les exportations de blé vers le Liban, qui importait historiquement près de 60 % de ses céréales de la région de la mer Noire. Les attaques contre les infrastructures portuaires ukrainiennes ont réduit la capacité d’exportation du pays, tandis que les sanctions internationales contre la Russie limitent également les volumes disponibles sur le marché mondial.

Cette double contrainte géopolitique oblige le Liban à se tourner vers des fournisseurs plus lointains, avec des coûts logistiques plus élevés. Les importations depuis l’Amérique du Sud ou l’Australie augmentent significativement le prix du blé sur le marché local, répercutant la hausse sur le prix final du pain, aliment de base de la population.

Les experts en sécurité alimentaire mettent en garde contre une possible « géopolitisation » accrue des chaînes d’approvisionnement, où les pays exportateurs utilisent leurs capacités de production comme levier diplomatique ou économique. Pour le Liban, cela signifie une vulnérabilité renforcée face aux chocs externes, mais aussi la nécessité urgente de diversifier ses partenaires commerciaux et de constituer des réserves stratégiques suffisantes pour parer aux ruptures d’approvisionnement soudaines.

Les discussions en cours avec l’Égypte, qui dispose d’une capacité de production excédentaire, et avec l’Inde, exportateur majeur de céréales, illustrent cette stratégie de diversification proactive. Toutefois, ces démarches nécessitent des accords commerciaux stables et des investissements logistiques considérables pour sécuriser durablement les flux d’approvisionnement.

Scénarios d’évolution à moyen terme

L’évolution de la situation alimentaire au Liban dans les prochains mois dépendra étroitement des dynamiques mondiales mais aussi des réponses locales et régionales. Trois scénarios principaux se dégagent des analyses des institutions spécialisées en sécurité alimentaire.

Le premier scénario, optimiste, table sur une stabilisation progressive des prix mondiaux des denrées alimentaires à partir de la fin de l’année 2025. Une désescalade du conflit en Ukraine et la levée partielle des restrictions à l’exportation de céréales pourraient permettre un rééquilibrage de l’offre et de la demande sur les marchés internationaux. Dans cette hypothèse, le Liban bénéficierait d’un allégement des pressions sur ses coûts d’importation, facilitant la stabilisation des prix au niveau domestique.

Le second scénario envisage une persistance de la volatilité, alimentée par les aléas climatiques et les tensions géopolitiques. Les experts du Fonds monétaire international estiment que les dérèglements climatiques, tels que les sécheresses prolongées en Asie ou les inondations en Afrique, continueront de perturber les récoltes mondiales. Le maintien de la fragmentation des chaînes d’approvisionnement, conjugué à la spéculation financière sur les matières premières, pourrait entretenir une instabilité durable des prix.

Enfin, le troisième scénario, plus pessimiste, anticipe une aggravation des tensions géopolitiques et des phénomènes climatiques extrêmes, entraînant une flambée continue des prix alimentaires. Pour le Liban, déjà confronté à une fragilité structurelle profonde, ce scénario représenterait une menace existentielle pour la sécurité alimentaire nationale. Les experts alertent sur le risque d’un effondrement partiel des circuits d’approvisionnement locaux et d’une insécurité alimentaire de masse si aucune réponse coordonnée n’est mise en œuvre.

Le poids de l’inflation sur la stabilité sociale libanaise

Au-delà des aspects économiques, la crise alimentaire actuelle exacerbe les tensions sociales déjà vives au Liban. La hausse généralisée des prix alimente le mécontentement populaire et fragilise davantage un tissu social éprouvé par des années de crise financière et politique. Les manifestations contre la vie chère se multiplient dans plusieurs villes du pays, où des slogans dénoncent l’inaction des autorités et la spéculation des importateurs.

Les syndicats appellent à des mobilisations pour exiger des mesures de soutien direct aux consommateurs, tandis que les ONG locales alertent sur le risque d’émeutes de la faim si la situation continue de se détériorer. La classe politique libanaise, déjà discréditée par la gestion désastreuse de la crise économique, voit sa légitimité encore plus contestée par l’incapacité à enrayer la spirale inflationniste.

Les tensions intercommunautaires, toujours latentes dans un pays à l’équilibre confessionnel délicat, risquent également d’être ravivées par la compétition pour l’accès aux ressources alimentaires limitées. Les experts en prévention des conflits soulignent l’importance cruciale de maintenir des filets de sécurité sociale efficaces pour éviter que la crise alimentaire ne se transforme en déflagration politique et sociale.

La pression migratoire pourrait également s’accentuer, les Libanais les plus précaires envisageant l’exil comme solution face à la détérioration des conditions de vie. Des pays de la région et au-delà se préparent à une possible augmentation des demandes d’asile en provenance du Liban, ce qui pose des défis supplémentaires en matière de gestion des flux migratoires et de coopération internationale.

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