Un engagement historique dans un conflit complexe
Depuis la création d’Israël en 1948, la France a adopté une position nuancée sur la question de l’État palestinien, cherchant à équilibrer la sécurité d’Israël avec les droits des Palestiniens. Cette posture, façonnée par les présidents successifs et les dynamiques géopolitiques, s’articule autour d’un soutien constant à une solution à deux États. En 2025, alors qu’Emmanuel Macron envisage une reconnaissance officielle de la Palestine, cet article retrace plus de sept décennies d’engagement français, des débuts hésitants de la IVe République à une diplomatie affirmée, avec un approfondissement particulier à partir de Charles de Gaulle.
1947-1948 : Les origines du positionnement français
En 1947, la France, affaiblie par la Seconde Guerre mondiale, aborde la question palestinienne avec retenue. L’ONU propose le plan de partage de la Palestine (résolution 181), prévoyant un État juif, un État arabe et Jérusalem sous administration internationale. La France vote en faveur de ce plan le 29 novembre 1947, reflétant une volonté de compromis. Ce choix, comme l’a souligné Édouard Depreux, ministre de l’Intérieur, visait à éviter une escalade dans une région déjà tendue.
Le 14 mai 1948, David Ben Gourion proclame l’indépendance d’Israël, déclenchant la première guerre israélo-arabe. Environ 700 000 Palestiniens fuient ou sont expulsés, un événement nommé la Nakba (« catastrophe »). La France, sous Vincent Auriol, ne reconnaît pas immédiatement Israël, attendant janvier 1949 pour établir des relations diplomatiques. Aucun État palestinien n’émerge : la Cisjordanie passe sous contrôle jordanien, Gaza sous administration égyptienne. La France, alliée d’Israël, fournit des armes, mais reste attentive aux aspirations arabes via ses liens avec le Liban et la Syrie, anciens territoires sous mandat.
Les années 1950 : Une diplomatie en retrait
Dans les années 1950, la France, absorbée par les guerres coloniales en Indochine et en Algérie, accorde peu d’attention à la question palestinienne. La crise de Suez en 1956, où elle s’allie à Israël et au Royaume-Uni contre l’Égypte de Nasser, renforce les relations franco-israéliennes. Cet épisode, condamné par les États-Unis et l’URSS, révèle les limites d’une politique trop alignée sur Tel-Aviv.
Les Palestiniens, dispersés en Jordanie, au Liban et à Gaza, sont alors perçus comme des réfugiés. La France soutient l’UNRWA (créée en 1949) pour leur assistance, versant 2 millions de dollars entre 1950 et 1959, selon les archives du Quai d’Orsay. Cependant, aucun discours officiel n’évoque un État palestinien, la priorité restant la stabilisation régionale et les intérêts stratégiques français.
1967 : Le tournant décisif de De Gaulle
La guerre des Six Jours (5-10 juin 1967) marque un virage dans la politique française. Israël occupe la Cisjordanie, Gaza, Jérusalem-Est, le Sinaï et le Golan, redessinant la carte régionale. Charles de Gaulle, président depuis 1958, adopte une position critique, rompant avec l’alliance privilégiée avec Israël. Dès le 2 juin 1967, il met en garde contre une guerre préventive et impose un embargo sur les livraisons d’armes à Israël, stoppant notamment la fourniture de chasseurs Mirage.
Le 27 novembre 1967, lors d’une conférence de presse mémorable, de Gaulle livre une analyse tranchante. Il qualifie l’occupation israélienne d’« injuste » et reconnaît les Palestiniens comme un peuple avec des droits légitimes. « La paix ne peut être obtenue sans que chacun ait sa part de justice », déclare-t-il, ajoutant qu’Israël ne doit pas s’établir « par la force » dans les territoires conquis. Cette prise de position, audacieuse pour l’époque, suscite des tensions avec les États-Unis et Israël, où le général est accusé d’antisémitisme, une critique qu’il rejette fermement.
De Gaulle soutient la résolution 242 de l’ONU (22 novembre 1967), qui exige le retrait israélien des territoires occupés en échange d’une paix durable. Bien qu’il n’appelle pas explicitement à un État palestinien, il pose les bases d’une reconnaissance des aspirations palestiniennes. Il initie un dialogue avec les pays arabes, notamment l’Égypte et la Jordanie, pour promouvoir une solution négociée. En 1968, la France fournit 50 millions de francs à l’UNRWA, doublant son aide humanitaire, selon un rapport du ministère des Affaires étrangères.
Cette période marque une réorientation stratégique. De Gaulle voit dans le Moyen-Orient une opportunité de renforcer l’influence française face aux superpuissances américaine et soviétique. Il rencontre des représentants palestiniens informels à Paris en 1969, un geste discret mais significatif, comme le relatent les archives diplomatiques françaises. Sa vision, centrée sur le droit international, façonne la diplomatie française pour des décennies.
Les années 1970 : Pompidou et l’émergence de l’OLP
Sous Georges Pompidou (1969-1974), la France consolide son rapprochement avec le monde arabe. La guerre du Kippour (1973) et l’embargo pétrolier qui suit accentuent cette dynamique, la France cherchant à sécuriser ses approvisionnements énergétiques. En 1974, elle vote pour accorder à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) le statut d’observateur à l’ONU, un acte symbolique reconnaissant l’OLP comme représentante des Palestiniens.
Pompidou, moins tranchant que de Gaulle, insiste sur une « paix équilibrée ». Lors d’un sommet avec le roi Hussein de Jordanie en 1973, il évoque la nécessité d’une « solution juste » pour les Palestiniens, sans préciser la forme d’un État. La France augmente son aide aux réfugiés, finançant des écoles et des cliniques via l’UNRWA à hauteur de 10 millions de dollars entre 1970 et 1974.
Sous Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981), la France franchit une étape. En 1975, Giscard déclare à Damas que les Palestiniens ont droit à une « patrie ». Ce terme, vague mais chargé, reflète une évolution vers l’idée d’un État. En 1976, la France autorise l’OLP à ouvrir un bureau d’information à Paris, une décision critiquée par Israël mais saluée par les pays arabes. Ce bureau, dirigé par Ezzedine Kalak, devient un canal de dialogue officieux.
La déclaration de Venise (1980), portée par la Communauté économique européenne (CEE) sous forte influence française, marque un tournant. Elle reconnaît le droit des Palestiniens à l’autodétermination et associe l’OLP aux négociations, une position audacieuse à une époque où les États-Unis hésitent à reconnaître l’organisation. Giscard soutient également des projets humanitaires, comme la construction de 12 écoles en Cisjordanie pour 5 000 élèves, financées par l’Agence française de développement (AFD).
Cependant, la France reste prudente. Giscard refuse de reconnaître officiellement un État palestinien, arguant qu’une telle décision doit découler de négociations. Cette période voit la France jongler entre son soutien croissant aux Palestiniens et ses relations économiques avec Israël, notamment dans les secteurs aéronautique et technologique.
1982 : Mitterrand et la consécration de l’État palestinien
L’élection de François Mitterrand en 1981 coïncide avec une période de crises. En 1982, l’invasion israélienne du Liban, visant à éliminer l’OLP, conduit aux massacres de Sabra et Chatila (16-18 septembre), où 800 à 3 500 civils palestiniens sont tués par des milices chrétiennes sous le regard passif de l’armée israélienne. La France, membre d’une force multinationale à Beyrouth, condamne ces atrocités via son ministre des Affaires étrangères, Claude Cheysson, qui qualifie l’opération israélienne de « violation du droit international ».
Le 3 mars 1982, Mitterrand prononce un discours historique devant la Knesset israélienne. Il y affirme : « Le dialogue suppose que chaque partie aille au bout de son droit, ce qui pour les Palestiniens peut le moment venu signifier un État. » Cette déclaration, première mention explicite d’un État palestinien par un dirigeant occidental, marque un tournant. Mitterrand précise que cet État doit coexister avec un Israël sécurisé, prônant des négociations sous égide internationale.
Sous Mitterrand, la France intensifie ses contacts avec l’OLP. En 1989, Yasser Arafat est reçu à l’Élysée, un geste controversé qui légitime l’OLP comme interlocuteur. Cette rencontre, préparée par des mois de tractations secrètes, est suivie d’un engagement financier accru. Entre 1982 et 1991, la France verse 150 millions de francs pour des projets en Cisjordanie et à Gaza, notamment dans l’irrigation et la santé, selon l’AFD.
Mitterrand condamne la colonisation israélienne, qu’il juge « contraire à la paix ». En 1988, il soutient la proclamation d’un État palestinien par Arafat à Alger, bien que la France ne le reconnaisse pas officiellement. Il pousse pour une conférence internationale, une idée rejetée par Israël et les États-Unis, qui privilégient des pourparlers bilatéraux. Cette période voit la France s’imposer comme un acteur clé, défendant le droit international tout en maintenant des relations avec Tel-Aviv.
Les années 1990 : Les accords d’Oslo et l’espoir de paix
Les accords d’Oslo (1993), signés entre Israël et l’OLP, suscitent un optimisme prudent. Mitterrand, affaibli par la maladie, salue cette avancée comme « une chance historique ». La France contribue financièrement à la création de l’Autorité palestinienne (AP), versant 50 millions de dollars entre 1993 et 1995 pour des infrastructures à Jéricho et Gaza.
Jacques Chirac, président dès 1995, adopte une diplomatie proactive. En 1996, lors d’une visite à Jérusalem, il s’oppose physiquement à des soldats israéliens bloquant l’accès à l’université Al-Quds, un incident médiatisé qui renforce son image dans le monde arabe. Chirac condamne la colonisation, qu’il qualifie d’« obstacle majeur » à la paix, et appelle à un État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale.
En 1998, la France finance la construction de l’aéroport international de Gaza, opérationnel jusqu’à sa destruction par Israël en 2001. Ce projet, coûtant 40 millions de dollars, symbolise l’engagement français pour l’autonomie palestinienne. Chirac rencontre Arafat à plusieurs reprises, notamment en 2000 à Paris, pour relancer les négociations après l’échec de Camp David.
La seconde Intifada (2000-2005), déclenchée après l’échec des pourparlers, complique la position française. Chirac dénonce les violences des deux côtés, mais critique les « punitions collectives » israéliennes, comme les bouclages de Gaza. En 2004, il accueille Arafat, mourant, à l’hôpital Percy à Paris, un geste humanitaire qui consolide les liens franco-palestiniens. Entre 1995 et 2005, la France investit 300 millions d’euros dans les territoires palestiniens, selon l’AFD, notamment pour des écoles et des réseaux d’eau.
Les années 2000 : Un soutien constant malgré les blocages
Sous Chirac, la France maintient sa ligne : deux États, avec Jérusalem comme capitale partagée. Le retrait israélien de Gaza en 2005 est salué, mais la prise de contrôle du Hamas en 2007 pose un dilemme. La France, alignée sur l’UE, classe le Hamas comme organisation terroriste, mais continue de soutenir l’AP, dirigée par Mahmoud Abbas.
Nicolas Sarkozy (2007-2012) adopte une approche plus pro-israélienne, tout en défendant un État palestinien. En 2008, lors d’une visite à Bethléem, il déclare : « Il n’y aura pas de paix sans un État palestinien viable. » En 2010, la France élève la Délégation générale de Palestine à Paris au rang de Mission diplomatique, un geste symbolique. En 2011, elle soutient la demande d’adhésion de la Palestine à l’UNESCO, et en 2012, vote pour son statut d’État observateur non membre à l’ONU.
Sarkozy condamne la colonisation, qui passe de 400 000 à 500 000 colons en Cisjordanie entre 2007 et 2012, selon l’ONG B’Tselem. Il propose une conférence de paix à Paris en 2011, sans succès, face au refus israélien. La France finance des projets d’infrastructure, comme un réseau d’assainissement à Naplouse pour 20 000 habitants, coûtant 15 millions d’euros.
François Hollande (2012-2017) renforce cet engagement. En 2013, il visite Ramallah et réaffirme le soutien à un État palestinien sur les lignes de 1967, avec des échanges de territoires. En 2014, l’Assemblée nationale (2 décembre) et le Sénat (11 décembre) adoptent des résolutions non contraignantes pour reconnaître la Palestine, portées par les socialistes. Ces votes, symboliques, obtiennent 339 voix contre 151 à l’Assemblée.
Hollande condamne les violences, notamment lors de l’opération israélienne à Gaza en 2014, qui tue 2 200 Palestiniens, selon l’ONU. Il soutient la résolution 2334 de l’ONU (2016), qui exige l’arrêt de la colonisation, et organise une conférence internationale à Paris en janvier 2017. Cette initiative, réunissant 70 pays, réaffirme la solution à deux États, mais échoue à relancer des négociations. La France verse 100 millions d’euros à l’AP entre 2012 et 2017, selon le Quai d’Orsay, pour des projets comme l’hôpital de Khan Younès.
2017-2025 : Macron et la reconnaissance imminente
Emmanuel Macron, président depuis 2017, hérite d’un conflit enlisé. La décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël en 2017 est condamnée par Macron, qui réaffirme le statut de Jérusalem comme capitale partagée. En 2018, il reçoit Mahmoud Abbas à Paris, promettant un soutien financier accru. La France augmente son aide à 120 millions d’euros par an, selon l’AFD, pour des écoles et des infrastructures.
L’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, tuant 1 200 Israéliens, suivie d’une offensive à Gaza faisant 41 000 morts selon le ministère palestinien de la Santé (mars 2024), bouleverse la donne. Macron condamne le Hamas, mais critique les « bombardements indiscriminés » israéliens, appelant à un cessez-le-feu dès novembre 2023. En février 2024, il déclare à Amman : « Reconnaître un État palestinien n’est pas un tabou », rompant avec la prudence de ses prédécesseurs.
Le 11 avril 2025, Le Monde rapporte que Macron annonce une reconnaissance officielle de la Palestine pour juin 2025, lors d’une conférence à New York coprésidée avec l’Arabie saoudite. Cette décision, visant à encourager une reconnaissance mutuelle, s’appuie sur un soutien multilatéral : 143 pays, dont l’Espagne, l’Irlande et la Norvège, ont reconnu la Palestine depuis mai 2024. Macron précise que l’État palestinien doit inclure Gaza, avec un « gouvernement unifié » excluant le Hamas armé.
Macron condamne la colonisation, qui atteint 750 000 colons en Cisjordanie en 2025, selon Peace Now. En mars 2024, la France impose des sanctions à 28 colons extrémistes, une première, et gèle leurs avoirs en Europe. Il soutient des négociations basées sur les lignes de 1967, avec des échanges de territoires et Jérusalem-Est comme capitale palestinienne. En parallèle, il maintient des relations avec Israël, accueillant Benjamin Netanyahou à Paris en juillet 2024 pour évoquer la paix.
Les constantes et évolutions de la politique française
Depuis 1967, sous l’impulsion de De Gaulle, la France a affiné sa position. Voici les étapes clés :
- 1967-1981 : De Gaulle rompt avec Israël, reconnaît les droits palestiniens ; Giscard évoque une « patrie ».
- 1982-1995 : Mitterrand consacre l’idée d’un État palestinien, dialogue avec l’OLP.
- 1995-2012 : Chirac et Sarkozy condamnent la colonisation, soutiennent l’AP.
- 2012-2017 : Hollande pousse pour une reconnaissance symbolique, organise une conférence.
- 2017-2025 : Macron prépare une reconnaissance officielle, dans un cadre multilatéral.
La France s’appuie sur le droit international, condamnant l’annexion de Jérusalem-Est (résolution 478) et la colonisation (résolution 2334). Elle refuse de reconnaître les territoires occupés comme israéliens, insistant sur des négociations.
Les défis en 2025
La reconnaissance prévue soulève des débats. Selon un sondage Elabe du 10 avril 2025, 68 % des Français y sont favorables, mais 55 % craignent une tension avec Israël. À droite, Les Républicains jugent la décision « hâtive », tandis que La France insoumise applaudit. Le Quai d’Orsay travaille à une approche collective pour éviter un isolement diplomatique.
Sur le terrain, Gaza reste une enclave en crise, avec 80 % des infrastructures détruites, selon l’UNRWA (mars 2025). La Cisjordanie, fragmentée par les colonies, complique la viabilité d’un État. L’AP, minée par la corruption, lutte pour asseoir son autorité face au Hamas. La conférence de New York, prévue pour juin 2025, vise à poser des jalons, mais le refus israélien de négocier sans désarmement palestinien reste un obstacle.
Une vision pour l’avenir
La France prône un État palestinien démilitarisé, aux frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale. Cette vision, soutenue par 200 millions d’euros d’aide annuelle, repose sur la diplomatie multilatérale. La reconnaissance de 2025 pourrait relancer les pourparlers, mais les défis – colonisation, réfugiés, unité palestinienne – exigent une mobilisation internationale. La France, par son histoire et son engagement, reste un acteur incontournable, cherchant à transformer un idéal en réalité.