
Une dépendance stratégique renouvelée à travers Bagdad
Le Liban a officiellement annoncé, fin mai 2025, sa volonté de prolonger et d’élargir son accord énergétique avec l’Irak. Signé initialement en 2021 et renouvelé depuis, ce mécanisme permet au gouvernement libanais de recevoir du fuel irakien à des conditions financières préférentielles, en contrepartie de services médicaux et techniques libanais. Cette fois, le Liban ambitionne d’aller au-delà de la reconduction annuelle : Beyrouth souhaite élargir les volumes, diversifier les carburants livrés, et obtenir des délais de paiement encore plus étendus. L’objectif est clair : garantir un minimum de production électrique dans un contexte de déficit chronique d’approvisionnement, aggravé par l’effondrement de la capacité d’Électricité du Liban (EDL) à financer ses achats sur le marché libre.
Un mécanisme d’échange asymétrique mais vital
L’accord actuel repose sur un système de troc pétrolier : l’Irak livre du fuel, le Liban rémunère en nature via des prestations hospitalières et services divers. Ce montage, validé par le Trésor irakien et supervisé par la BDL, contourne les marchés financiers et permet d’éviter les transferts directs en devises. En 2024, ce système a permis l’importation d’environ 80 000 tonnes de fuel mensuellement. En 2025, les autorités libanaises souhaitent doubler ce volume. Un haut responsable du ministère de l’Énergie a confirmé que des négociations sont en cours pour inclure du gasoil raffiné, directement utilisable dans les centrales électriques, ce qui permettrait de gagner en rendement. L’Irak, de son côté, y trouve un débouché politique utile et un moyen d’ancrer sa présence régionale dans les pays en crise.
Un filet énergétique précaire mais indispensable
Sans cet accord, le Liban aurait probablement plongé dans un black-out quasi total depuis 2022. Les quantités livrées restent certes limitées, mais elles permettent à EDL de produire entre 300 et 500 mégawatts selon les périodes, soit environ 15 à 20 % des besoins du réseau. Cela reste insuffisant, mais c’est un socle minimal pour maintenir certaines infrastructures stratégiques en fonctionnement : hôpitaux, télécommunications, ports, services publics. Le reste de l’électricité est assuré par les générateurs privés, financés par les ménages ou les municipalités. La dépendance au fuel irakien crée toutefois une vulnérabilité majeure : un simple retard logistique ou politique à Bagdad peut entraîner une baisse immédiate de la production. De plus, le fuel fourni doit être raffiné dans des pays tiers (Émirats ou Turquie), générant des coûts logistiques et des délais.
Une diplomatie de survie plutôt qu’une politique énergétique
Plutôt que de mettre en œuvre une politique de transition énergétique ou de réforme du secteur électrique, le Liban a jusqu’à présent misé sur la multiplication d’accords ad hoc. Le partenariat irakien en est l’exemple le plus marquant. Aucun plan d’investissement structuré dans les énergies renouvelables, ni dans la réhabilitation du réseau, n’a été lancé à ce jour. Le projet de construction de centrales au gaz avec Siemens et le financement prévu via la BERD ont été suspendus en raison de blocages politiques internes. En l’absence de régulation du secteur et de tarification claire, les bailleurs internationaux refusent d’engager des fonds. Cette dépendance à l’Irak est donc à la fois une solution temporaire et un aveu d’échec structurel.
Une négociation encadrée mais politiquement sensible
La prochaine prolongation de l’accord est prévue pour septembre 2025. Le Premier ministre Najib Mikati a dépêché une équipe technique à Bagdad en mai pour discuter des nouveaux termes. Le Liban souhaiterait, selon des sources diplomatiques, étendre l’accord à une durée de deux ans et y intégrer un volet de fourniture de pièces détachées pour les infrastructures irakiennes. L’Irak demande, en retour, une plus grande visibilité sur les contreparties libanaises. La négociation est complexe : elle implique la Banque du Liban, le ministère de l’Énergie, des acteurs privés libanais et des hôpitaux universitaires. Toute modification des flux ou des prix peut avoir des conséquences politiques immédiates. La mission du FMI à Beyrouth sera d’ailleurs attentive à la soutenabilité de ce mécanisme, qui n’apparaît actuellement dans aucun document budgétaire officiel.
Données institutionnelles
Électricité du Liban (EDL)
Capacité totale installée : 2 700 MW (capacité effective : 300–500 MW)
Part du fuel irakien dans la production : environ 60 % en 2024
Budget de fonctionnement annuel : estimé à 800 millions USD (hors subventions)
Ministère de l’Énergie et de l’Eau
Responsable des négociations énergétiques bilatérales
Budget alloué au secteur en 2025 : 37 millions USD (hors aide externe)