Un secteur stratégique menacé par la crise
Le secteur des télécommunications libanais traverse une période critique. Touch et Alfa, les deux opérateurs sous gestion de l’État, se retrouvent piégés dans une spirale de dettes, d’inefficacité et de restrictions budgétaires. Le pays, autrefois fier de ses infrastructures modernes en téléphonie mobile et Internet, fait aujourd’hui face à des services de plus en plus dégradés, tandis que la rentabilité des opérateurs chute drastiquement.
Une situation financière alarmante
Depuis la crise économique qui secoue le Liban depuis plusieurs années, le secteur des télécommunications est devenu une victime collatérale de la dévaluation monétaire et de la crise de liquidité. La dépendance aux importations, notamment pour l’entretien des antennes et l’achat de matériel informatique, a fortement alourdi la dette des opérateurs.
Tableau 1 : Évolution des revenus et des coûts du secteur des télécommunications (en millions de dollars)
Année | Revenus totaux | Coût des importations | Dette accumulée | Dévaluation de la livre libanaise (%) |
---|---|---|---|---|
2018 | 1 500 | 300 | 0 | 0 |
2019 | 1 200 | 350 | 100 | 30 |
2020 | 900 | 500 | 300 | 60 |
2021 | 750 | 550 | 500 | 85 |
2022 | 600 | 600 | 700 | 90 |
2023 | 500 | 700 | 850 | 95 |
Ce tableau illustre la chute des revenus des télécommunications, qui étaient l’une des principales sources de devises étrangères pour l’État. Avec une dette cumulée de 850 millions de dollars, le secteur est en péril, incapable d’attirer de nouveaux investissements et contraint de recourir à des hausses de tarifs impopulaires.
Des infrastructures en dégradation
Le vieillissement des équipements et la difficulté à importer des pièces de rechange ont entraîné une multiplication des pannes de réseau, affectant les abonnés à la fois pour les services mobiles et Internet. Les centres de maintenance, sous-financés, ne parviennent plus à suivre le rythme des réparations, et certaines régions connaissent désormais des coupures régulières pouvant durer plusieurs jours.
L’absence d’une stratégie claire pour moderniser le réseau laisse présager une détérioration progressive des services. La migration vers la 5G, qui devait être un levier de croissance pour le pays, est aujourd’hui mise en suspens, et les perspectives d’amélioration du service sont faibles.
Les consommateurs, victimes collatérales
Face à cette crise, les abonnés subissent directement les conséquences. Les hausses de tarifs imposées récemment ont mis une pression supplémentaire sur les ménages et les entreprises.
Tableau 2 : Évolution des tarifs mobiles et Internet au Liban (en dollars US)
Année | Abonnement mobile mensuel | Forfait Internet 10 Mbps | Tarif d’un appel national (minute) |
---|---|---|---|
2018 | 20 | 50 | 0.15 |
2019 | 22 | 55 | 0.18 |
2020 | 30 | 70 | 0.20 |
2021 | 50 | 90 | 0.25 |
2022 | 80 | 120 | 0.30 |
2023 | 100 | 150 | 0.35 |
Ces augmentations successives, dues à la nécessité de couvrir les coûts de maintenance et aux efforts du gouvernement pour renflouer les caisses de l’État, ont rendu les services télécoms de plus en plus inaccessibles à une grande partie de la population.
Les entreprises libanaises, particulièrement celles dans le secteur numérique, souffrent également de cette instabilité. Plusieurs startups ont été contraintes de déménager leurs activités à l’étranger, notamment à Dubaï et Chypre, où l’accès à des infrastructures télécoms fiables est garanti.
Les solutions envisagées
Pour sortir de cette impasse, plusieurs pistes sont actuellement explorées :
- Réforme de la gestion des opérateurs
Le modèle actuel, basé sur un contrôle direct de l’État, est remis en question. Plusieurs experts plaident pour une privatisation partielle qui permettrait d’attirer des investisseurs étrangers et de garantir un mode de gestion plus efficace. - Recapitalisation des entreprises
Touch et Alfa nécessitent une injection de capitaux pour renouveler leurs infrastructures et assurer la continuité du service. Toutefois, l’absence de stabilité politique freine les négociations avec les potentiels investisseurs. - Augmentation de la compétitivité
Une libéralisation du marché avec l’entrée d’un nouvel acteur privé pourrait insuffler une dynamique concurrentielle et améliorer les services à moindre coût. - Ajustement tarifaire progressif
Une refonte du système tarifaire pourrait être mise en place, en alignant les prix sur un pouvoir d’achat déjà affaibli, tout en trouvant des alternatives de financement pour la modernisation du réseau. - Investissement dans les énergies renouvelables
Une grande partie des coûts de maintenance provient de l’alimentation des antennes relais avec des générateurs fonctionnant au fuel, en raison des pannes d’électricité. Un passage progressif à l’énergie solaire pourrait permettre de réduire ces dépenses et d’assurer un service plus stable.
Une industrie à un tournant
Le secteur des télécommunications, autrefois fleuron de l’économie libanaise, est aujourd’hui en péril. Sans une intervention rapide et structurée, les services de téléphonie mobile et Internet risquent de devenir inaccessibles pour une grande partie de la population.
L’avenir de Touch et Alfa dépendra des choix économiques et politiques faits dans les prochains mois. À défaut de réformes, la faillite des deux opérateurs pourrait engendrer un effondrement total du secteur, avec des conséquences désastreuses pour l’économie et la connectivité du pays.