Depuis le début du XXe siècle, le Liban a été un point d’ancrage stratégique pour les puissances occidentales, et cette tendance s’est poursuivie tout au long de la guerre froide et au-delà. La CIA américaine, le MI6 britannique, et la DGSE française ont tous utilisé le pays comme base pour leurs opérations de renseignement dans la région. Ce rôle du Liban comme plaque tournante de l’espionnage a façonné son histoire moderne et continue d’avoir un impact sur sa position géopolitique.
La CIA : un acteur clé dans le Moyen-Orient libanais
Dès les années 1950, la CIA avait établi une présence solide au Liban. Beyrouth était alors considérée comme une « capitale du renseignement » au Moyen-Orient, où opéraient des espions de toutes les grandes puissances. La CIA utilisait des hôtels de luxe, des cafés populaires et des institutions académiques comme points de contact pour recruter des agents locaux et mener des opérations clandestines.
Pendant la guerre froide, l’une des missions principales de la CIA était de surveiller l’influence soviétique dans la région. Le Liban servait de poste avancé pour contrer les activités du KGB, notamment en infiltrant des groupes politiques et en surveillant les mouvements palestiniens. Plus récemment, la CIA a concentré ses efforts sur le Hezbollah, cherchant à affaiblir son réseau militaire et financier. En 2011, une cellule de la CIA opérant à Beyrouth fut démantelée, révélant une importante faille dans les opérations américaines. Cet événement souligna l’efficacité du contre-espionnage local, probablement soutenu par le Hezbollah et l’Iran.
Le MI6 : un rôle discret mais influent
Le renseignement britannique a toujours eu une présence discrète mais significative au Liban. Le MI6, héritier des ambitions coloniales britanniques, a concentré ses efforts sur deux axes principaux : le suivi des mouvements nationalistes arabes et la surveillance des factions palestiniennes et islamistes. Pendant la guerre civile libanaise, les agents britanniques opéraient souvent sous couverture diplomatique, utilisant les ambassades et les ONG comme points d’accès.
Après la guerre froide, le MI6 s’est tourné vers la surveillance des groupes djihadistes opérant au Liban, en particulier dans le nord du pays et à Tripoli. Ces efforts étaient principalement motivés par les craintes d’une propagation de l’extrémisme sunnite, exacerbé par l’invasion américaine de l’Irak en 2003. Le MI6 a collaboré avec les forces libanaises pour traquer les cellules extrémistes tout en maintenant un profil bas.
La DGSE : une présence historique et culturelle
La France, en tant qu’ancienne puissance mandataire, a toujours conservé une forte influence au Liban. La DGSE, héritière des services secrets français, a utilisé cette proximité culturelle pour établir des réseaux de renseignement durables. Pendant la guerre civile, la DGSE surveillait activement les groupes islamistes et les factions pro-syriennes. Elle joua également un rôle crucial dans la libération d’otages français capturés par des milices locales dans les années 1980, comme dans l’affaire du journaliste Jean-Paul Kauffmann.
En 2004, la DGSE fut impliquée dans une vaste opération de surveillance visant à identifier les responsables des assassinats politiques au Liban, notamment celui de Rafic Hariri. Bien que cette opération n’ait pas empêché d’autres assassinats, elle renforça la coopération entre les services libanais et français pour lutter contre l’instabilité croissante.
Les collaborations et rivalités entre services occidentaux
Malgré leurs objectifs communs, les agences de renseignement occidentales au Liban n’ont pas toujours collaboré harmonieusement. La CIA, le MI6, et la DGSE ont souvent poursuivi leurs propres agendas, parfois au détriment des efforts collectifs. Par exemple, lors de la guerre civile libanaise, des tensions entre les États-Unis et la France concernant le soutien à certaines factions ont compliqué les échanges d’informations.
Cependant, ces agences ont aussi uni leurs forces dans plusieurs opérations, notamment dans la lutte contre le terrorisme. Après les attentats du 11 septembre 2001, les services occidentaux ont renforcé leur coopération pour surveiller les flux financiers et les réseaux logistiques utilisés par les groupes extrémistes opérant au Liban.
Les limites et échecs des services occidentaux
Les agences occidentales ont rencontré de nombreux défis au Liban, notamment en raison de la complexité des alliances locales et de la sophistication croissante des réseaux de contre-espionnage. En 2011, la démantèlement d’une cellule de la CIA à Beyrouth mit en lumière la vulnérabilité de l’agence face aux acteurs locaux. Le Hezbollah, en particulier, a démontré une capacité remarquable à identifier et neutraliser les agents étrangers.
De plus, les tensions géopolitiques entre les alliés occidentaux et leurs partenaires régionaux ont souvent entravé les opérations. Par exemple, le rôle ambigu de certains États du Golfe dans le financement de factions libanaises a compliqué les efforts des services occidentaux pour surveiller les flux financiers.
Un héritage complexe
L’espionnage occidental au Liban a laissé un héritage complexe, mêlant succès et controverses. Bien que ces agences aient joué un rôle crucial dans la surveillance des menaces régionales, leurs activités ont également alimenté la méfiance envers les puissances étrangères. Aujourd’hui, le Liban reste un point focal pour les services occidentaux, qui doivent naviguer dans un environnement de plus en plus fragmenté et hostile.
Références
- Andrew, C. & Mitrokhin, V. (1999). The Sword and the Shield: The Mitrokhin Archive and the Secret History of the KGB. Basic Books.
- Fisk, R. (2001). Pity the Nation: Lebanon at War. Oxford University Press.
- Bergman, R. (2018). Rise and Kill First: The Secret History of Israel’s Targeted Assassinations. Random House.