Un livre coécrit par Christine SZYMANKIEWICZ et Charbel BATOUR S.J., à paraître le 27 avril 2023, aux éditions Berger-Levrault.

Passionnant et enrichissant l’échange que j’ai eu avec les deux auteurs. C’est une entrevue qui dévoile à nos lecteurs, en avant-première, le pourquoi de cet ouvrage à quatre mains.

Panorama historique et avenir du système éducatif libanais, histoire des missions religieuses et de la mission laïque française au Liban (MLF) et des écoles publiques, projets d’avenir, voici le récit d’une collaboration franco-libanaise, où la compétence de l’un complète la compétence de l’autre autour d’une œuvre panoramique qui nous apporte certainement des réponses quand on parle avec fierté de notre système éducatif libanais.

Découvrir le paysage éducatif libanais :

« La France et le Liban entretiennent historiquement une relation privilégiée, en particulier en matière éducative.
L’ouvrage montre l’influence française, historique, déterminante dans la structuration du système éducatif libanais avec un focus sur le partenariat franco-libanais où près de 50 % des élèves sont toujours scolarisés en français
», notamment dans les 63 établissements appartenant à ce réseau français, sans égal dans le monde (le plus grand réseau d’établissements hors de France), constitué de plus de 550 établissements installés dans 139 pays.

L’observation des établissements de ce réseau ouvre la voie à une fructueuse comparaison des pratiques entre les écoles situées en France même – souvent décriées – et à l’étranger – où l’école française fait toujours l’objet d’un réel engouement ».


Les deux auteurs, une Française et un Libanais, ont voulu montrer l’originalité propre du système éducatif libanais qui s’est illustré par des avancées précoces en matière de gratuité scolaire et d’accueil des filles à l’école. Une singulière offre éducative cependant où prédomine un enseignement privé (près de 70 % des écoles) qui s’est substitué aux missions de service public d’un secteur d’éducation public fragile, accueillant de façon alternée, à l’école primaire, les enfants libanais et les enfants réfugiés syriens.

« L’ouvrage présente ainsi un panorama général, historique et actuel, du paysage éducatif libanais dans ce pays où chaque communauté a progressivement fondé des écoles et où la France a contribué à installer un réseau d’écoles laïques. Un exercice qui, à ce jour, n’a fait l’objet d’aucun ouvrage et intéressera les lecteurs français comme libanais. L’ouvrage se conclut par l’analyse des perspectives pour l’éducation dans le Liban de demain » (4e de couverture) – https://boutique.berger-levrault.fr/l-exception-educative-libanaise.html

Dans son ensemble, le paysage scolaire libanais est étudié autour des problématiques suivantes :
La naissance et la multiplication des écoles confessionnelles à partir du 19ème siècle, soulignant le rôle fondateur de l’église maronite, du collège maronite de Rome puis des Congrégations religieuses dans la structuration du système éducatif libanais ;
L’attachement séculaire du Liban aux questions d’éducation avant toute présence extérieure (un enseignement gratuit, obligatoire, ouvert aux filles dès le 18ème siècle) ;
L’installation d’écoles laïques, en particulier celles de la Mission laïque française, à l’issue de mouvements nés de la Nahda ;
Un focus sur l’enseignement francophone au Liban et, en particulier, le réseau des 63 établissements homologués par la France, dont les auteurs soulignent combien il pourrait être un « laboratoire » pédagogique pour l’enseignement en France ;
Une réflexion sur le modèle d’enseignement libano-français et son avenir possible. Syncrétisme des deux modèles d’enseignement, vrai dernier capital du Liban, dont une fraction demeure un produit d’exportation à haute valeur ajoutée.

Un livre écrit à quatre mains :
Alliant savoir et savoir-faire en matière d’éducation et d’enseignement, les deux auteurs, Christine SZYMANKIEWICZ, haut fonctionnaire, inspectrice générale de l’éducation nationale (France) et Père Charbel BATOUR, Compagnie de Jésus, Recteur du Collège Notre-Dame de Jamhour (Liban), ont joint leurs approches et leurs points de vue et ont en fait un ouvrage commun.

Jinane Milelli : Comment vous êtes-vous réparti la rédaction de ce livre ? Qu’avez-vous voulu montrer ?

CS : Nous avons échangé en amont, Père Charbel et moi, puis rédigé chacun sur l’ensemble des questions, sans répartition comme on pourrait l’imaginer en référence à nos parcours respectifs. Il n’y en a pas un qui ait rédigé sur les écoles catholiques et l’autre sur les écoles laïques ou fondées par les autres communautés. Simplement, bien sûr, pour ma part, je n’avais pas toute la connaissance du système éducatif libanais et, en particulier de l’histoire des écoles maronites qu’avait déjà Père Charbel. En fin de rédaction, nous avons simplement lissé la rédaction.

Sur le fond, et pour expliquer l’origine de ce livre, il se trouve que nous nous sommes aperçus qu’il n’existait pas d’ouvrage présentant le panorama général du système éducatif libanais et que, pour ma part en tous cas, je ne trouvais pas de réponses aux multiples questions que je me posais. Et dans le fond on s’est lancés un peu dans cette histoire pour tenter précisément de rédiger quelque chose qui permette cet abord général du paysage éducatif libanais, au-delà du seul réseau d’écoles françaises et chrétiennes, plus documenté. Avec un panorama d’abord historique que nous jugions indispensable pour les lecteurs français qui naturellement méconnaissent la complexité de l’histoire libanaise.

Mais à vrai dire, au fur et à mesure de l’écriture et de nos échanges avec les uns et les autres, nous avons pris conscience que même pour les lecteurs libanais, cette partie historique du livre était loin d’être superflue tant au Liban on méconnait parfois – souvent ? – ce qui ne relève pas directement de son cercle propre ou de sa seule communauté : les écoles chrétiennes pour les uns, les écoles de la mission laïque pour les autres, les écoles des Makassed, les écoles Druzes, celles des Mabarrat, Al-Mahdi et toutes celles que l’on retrouvera dans l’ouvrage.

En résumé, le livre s’articule autour d’une partie historique, abordée par thèmes (les écoles « sous le chêne », le lien de la France et des maronites, le moment de la Nahda et de la fondation des écoles laïques, les années 60 et les efforts pour développer l’éducation publique, l’essor des écoles chiites à la fin des années 80) puis d’un focus sur le réseau homologué français qui se clôt par quelques pistes pour une réflexion sur les pratiques organisationnelles et pédagogiques comparées dans les écoles françaises hors de France et sur le territoire français lui-même.

Nous avons souhaité aussi mettre l’accent sur le fait que le Liban n’a pas attendu l’Europe pour se préoccuper de l’éducation de ses enfants. Un chapitre est consacré à cette question, montrant que le Liban, dès le Moyen-Age a eu, dans ses montagnes, des écoles ouvertes par des prêtres, des imams, des rabbins puis, très tôt, avant même la Révolution française, s’est doté, sous l’impulsion de l’église maronite, d’un réseau d’écoles « modernes », structuré, gratuit et obligatoire pour filles et pour garçons.

CB : Ce qui est intéressant dans ce projet, c’est que chacun a essayé, à sa manière, d’offrir quelque chose de son point de vue, le mien en tant que Recteur, Directeur d’un établissement catholique homologué au Liban.

L’intérêt de ce livre, même si nous partagions dès l’abord une vision commune, c’est qu’il essaye néanmoins de joindre les points de vue de deux personnalités très différentes, aux parcours différents : au début, sur certaines questions, l’abord initial a pu prêter à discussion entre nous. Ce qui fut intéressant en cours de route, en discutant, en corrigeant, en modifiant, c’est que petit à petit, quelque chose de commun a émergé.

Je pense que le point fort de Christine par rapport à mon expérience, c’est qu’elle connaît très bien le réseau français au Liban, les établissements laïques dont ceux de la mission laïque française (MLF), milieu que je ne connaissais pas vraiment personnellement. J’étais plutôt absorbé, par mes origines, par mes centres d’intérêt plus naturels, par tout ce qui concerne les écoles catholiques parce que je suis moi-même impliqué dans plusieurs comités exécutifs des écoles catholiques et parce que je suis Jésuite.
Petit à petit, chacun à sa manière, a fait une conversion dans la perspective de l’autre.

L’intérêt d’un livre pareil, comme l’a précisé Christine, c’est d’abord qu’il n’y a rien au Liban, ni en France, qui présente le panorama général de l’offre éducative libanaise, pas même un petit résumé sur l’histoire de l’éducation au Liban. On entend souvent les Libanais parler de l’éducation à la libanaise et du lien avec la France mais il n’y avait jusque-là rien d’écrit.

La valeur ajoutée de notre ouvrage, c’est que maintenant il y a quelque chose sur quoi on peut bâtir. Evidemment on peut critiquer, dire que là c’est faible, là ce n’est pas précis, peut-être ici la date doit être modifiée, mais au moins le grand public au Liban et en France, ceux qui s’intéressent à cette question de l’éducation au Liban, auront entre les mains un document de départ.
Je dois dire aussi que dans notre progression dans l’écriture de ce livre, il y a eu, si j’ose dire, des thèses, j’avais la mienne, Christine aussi avait les siennes.

Avant d’entreprendre ce projet, j’ai donné plusieurs conférences au Liban sur l’importance de l’histoire de l’éducation, sur ce que les Jésuites ont fait, le rôle d’une école jésuite au 16e siècle, etc. J’avais développé et approfondi ces sujets en tant que conférencier et le fait de devoir écrire quelque chose qui s’adresse de façon générale – pas seulement à des Libanais, pas seulement à des chrétiens – à chacun tout simplement, aux personnes qui s’intéressent à l’éducation en général et pas nécessairement à l’éducation religieuse ou laïque, cela a été pour moi un exercice très utile.

Alors, dans ce livre, je trouve qu’il y plusieurs thèses et sous thèses à développer; si j’ai le temps dans l’avenir, il y a notamment un axe dans ce livre écrit à quatre mains, que j’approfondirai volontiers : le lien avec l’Europe et le lien avec la culture de la Renaissance. C’est quelque chose qu’on évoque déjà dans notre livre, et qui n’est pas assez développé, mais c’est l’un des axes de notre ouvrage.

Avec la France, on a des liens historiques qui remontent à très loin. Le rôle des missionnaires au Liban s’est concrétisé d’une manière particulière à partir du 19ème siècle avec la France. C’est le siècle du véritable lien avec ce petit pays de la méditerranée ; il faut dire que la mer nous unit, on la partage. Mais, vous savez, les missions et les missionnaires, tout le monde en parle au Liban, de leur rôle. En vérité, pourtant, qu’elles soient catholiques ou protestantes, françaises ou anglaises, elles ne sont arrivées que tardivement. Je pense que l’un des points d’intérêt de ce livre, c’est de montrer que le lien avec l’Europe remonte à beaucoup plus loin. Et je dirai même que les personnes sensibles à cette question européenne vont trouver là, dans le livre, un point d’intérêt majeur.

JM : Pourquoi un Liban doté d’un système francophone si fort ?

CS : Ce livre est un premier essai, Père Charbel l’a souligné. Evidemment tous ceux qui voudront poursuivre l’exercice seront les bienvenus. Loin d’être parfait, il doit être complété bien sûr.

La rédaction de la première partie de l’ouvrage m’a fait prendre davantage conscience encore qu’auparavant de ce lien si étroit et séculaire entre la France et le Liban. Si le Liban a aujourd’hui ce système éducatif constitué à 70 % d’établissements privés, c’est que la France à travers l’action d’abord des Congrégations religieuses, en même temps que l’Angleterre et l’Amérique à travers les Congrégations protestantes et dans une forme de concurrence, ont largement contribué à structurer le système éducatif de cette façon-là et qu’ensuite l’enseignement public, s’il a commencé à se développer après l’indépendance, a très vite vu son essor stoppé à cause de la guerre du Liban. Depuis, il n’a malheureusement jamais repris son envol, percuté par d’autres réalités liées à son histoire.

CB : Je poursuis avec l’histoire de l’enseignement public du Liban. Quand on voit le tableau qu’on a essayé de brosser, il est clair que l’enseignement public est venu tard dans l’histoire de l’éducation.

Ce que ce livre montre, il est vrai, et peut-être ça ne va pas plaire à tout le monde, c’est que c’est l’Eglise au Liban qui a joué un rôle de catalyseur dans l’histoire de l’éducation, lorsqu’elle a innervé le territoire libanais, à travers la fondation d’écoles modernes sur le modèle du Collège maronite de Rome, des valeurs européennes de la Renaissance.

En tous cas, ce système éducatif qui a commencé à se construire au 16e siècle, qui s’est développé, s’est structuré, s’est amélioré, nous espérons bien sûr, dans la perspective du livre, qu’il sera consolidé et qu’il sera protégé. Car, derrière ce que nous avons écrit, il y a bien évidemment toute la question de son avenir, de l’avenir de la francophonie, de l’avenir du Liban. Je pense que le lecteur avisé qui connaît un peu le contexte va comprendre tout de suite que nous avions cette perspective pour horizon.

J’espère qu’avec ce livre, d’une certaine manière, nous aurons contribué à ouvrir les yeux sur l’importance de ce dossier qu’est l’éducation et sur la nécessité de travailler sans relâche pour l’éducation au Liban, de la soutenir. C’est dans l’intérêt de la France, il faut le dire – j’ai en tous cas mes arguments à cet égard. C’est aussi dans l’intérêt du Liban, cela va de soi. Il y a, en matière d’éducation, deux intérêts qui se rencontrent. D’où aussi le coté intéressant de notre approche.

JM : Est-ce qu’il y a des pans de cette histoire qui vous semblent particulièrement peu connus ?

CS : Il y a de nombreux pans de l’histoire du système éducatif libanais qui sont peu connus, d’abord parce que peu documentés, au moins en français, ou inscrits seulement dans les mémoires. C’est à certains égards le cas des écoles des Makassed, par exemple, pour lesquelles il a fallu solliciter des rencontres et organiser des interviews. Et je remercie vivement ceux qui ont pris de leur temps pour ces échanges.

Pour ne citer qu’un exemple d’histoire occultée ou oubliée, je me posais notamment des questions et je les posais à mes interlocuteurs libanais ou français au Liban, sans obtenir de réponses, sur la présence ou non d’écoles israélites ?

CB : Oui, c’est grâce à Christine et à ses recherches que j’ai découvert des choses que j’ignorais. Je ne m’étais pas vraiment posé la question, auparavant, concernant les écoles juives au Liban et puis Christine arrive avec ses recherches et ses données et je me suis dit que c’est un sujet aussi important pour nous, connaître le lien avec la communauté juive libanaise.

Je sais que la communauté juive est fondatrice au Liban. Elle est même inscrite dans la convention de 1926, mais j’ignorais son rôle dans l’éducation et l’histoire de la présence des institutions juives. A mon avis, ce livre sera une découverte pour les Libanais, une surprise. Ça fait partie des choses à découvrir dans ce livre.

CS : Pour ma part aussi, même si j’en connais les établissements aujourd’hui, j’ai découvert toute l’histoire de la mission laïque française. Paradoxalement, je dois l’avouer, ces écoles m’intéressaient un peu moins – honte à moi – parce que lorsque je les visite au Liban, j’ai l’impression de visiter un établissement à Montmorency, à Brest ou à Dijon. Les établissements strictement libanais ou bien ceux que l’on nomme les « partenaires » dans le réseau homologué français, de statut libanais mais sous-programme français, excitent plus ma curiosité avec les spécificités que j’y découvre en matière d’organisation ou pédagogique ou de vie scolaire.

Mais en tout état de cause, en plongeant dans l’histoire de la Mission laïque française au Liban, nous avons découvert tous deux le personnage incroyable qu’était Pierre Deschamps, l’initiateur de la mission laïque qui va diriger le premier établissement de la mission fondé à Beyrouth en 1909. C’est un personnage qu’on aurait aimé connaître avec son ouverture d’esprit extraordinaire ; c’est lui qui expliquera que l’on n’implante pas un établissement étranger sur une bonne idée sans que la demande ne vienne du pays concerné lui-même (et ce fut le cas dans la suite de la Nahda) et qui soutiendra qu’« un bon lycée français est aussi en terre libanaise un lycée où l’enseigne bien l’arabe ».

JM : Que dites-vous de l’avenir possible du système éducatif libanais ?

CS et CB : Le livre se conclut sur les perspectives que nous brossons à grands traits pour l’avenir du système éducatif libanais.
On espère que notre livre va intéresser le grand public. Nous le souhaitons. C’est même dans notre intérêt que le livre soit éventuellement critiqué, commenté, qu’il soit précisé en tous cas, complété, développé, parce qu’on aimerait bien que ces perspectives et cette conscience de l’importance de l’éducation soit quelque chose de présent sur la scène publique au Liban. Parce qu’il s’agit là du dernier vrai capital du Pays. Et nous disons aussi pérennité de la présence de l’éducation francophone au Liban parce que si l’on perd cette dimension, la qualité et les valeurs qu’elle porte, alors cela veut dire qu’on perd l’éducation au Liban.
Du coup, notre bataille mérite bien d’être menée !

Entrevue réalisée par Jinane Milelli, mardi 11 avril 2023.

L’exception éducative libanaise et le lien avec la France- Editions Berger-Levrault – ISBN : 978-2-7013-2187-5 – EAN : 9782701321875



Un commentaire?