Une présence internationale éclatante : les films libanais illuminent les grands festivals
En ce début mars 2025, les cinéastes libanais continuent de briller sur la scène internationale, leurs œuvres captant l’attention des festivals les plus prestigieux comme Cannes, Venise et Toronto. Dans un pays marqué par une histoire tumultueuse, ces réalisateurs transforment les défis en récits puissants, mêlant beauté esthétique et profondeur narrative pour conquérir critiques et publics à travers le globe. Malgré une crise économique persistante depuis 2019, où la livre libanaise a perdu plus de 90 % de sa valeur, l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth en août 2020, qui a tué 218 personnes, et les récents bombardements de 2024 ayant déplacé plus d’un million de personnes selon l’ONU, le cinéma libanais reste une force vive, porté par une résilience qui transcende les frontières.
Cette reconnaissance mondiale n’est pas nouvelle mais s’amplifie. En 2024, plus de 20 films libanais ont été projetés dans des festivals internationaux, un chiffre qui reflète une créativité intacte malgré des ressources limitées – l’électricité à Beyrouth ne dépasse pas quatre heures par jour, et la production cinématographique repose souvent sur des financements étrangers ou indépendants. Des réalisateurs comme Nadine Labaki, Ziad Doueiri et Bassem Breche, déjà salués par le passé, côtoient une nouvelle vague de talents – Ely Dagher, Mounia Akl, Wissam Charaf – qui s’imposent avec des œuvres audacieuses. Ces films, souvent tournés dans des conditions précaires, explorent la résilience, l’exil et l’identité, des thématiques universelles qui trouvent un écho dans un monde en quête de sens. À travers Cannes, Venise et Toronto, le cinéma libanais indépendant affirme sa place, non seulement comme un miroir des luttes locales, mais comme une voix essentielle du septième art mondial, célébrée par des prix et une admiration croissante.
Présence éclatante à Cannes, Venise, Toronto : des films libanais sous les projecteurs
Le Festival de Cannes, rendez-vous incontournable du cinéma mondial, a accueilli à maintes reprises des réalisateurs libanais, leur offrant une plateforme pour briller sous les feux de la Croisette. Nadine Labaki, née en 1974 à Baabda, reste une figure phare. Son film Capharnaüm (2018) a remporté le Prix du Jury à Cannes, une consécration pour cette réalisatrice formée à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Tourné dans les rues poussiéreuses de Beyrouth avec des acteurs non professionnels, dont Zain Al Rafeea, un réfugié syrien, ce drame sur un enfant des bidonvilles a ému le monde par sa crudité et sa poésie, traduit en 20 langues et nommé aux Oscars 2019. En 2024, Labaki a présenté un court métrage, Sous les cendres, à la Quinzaine des Cinéastes, un hommage aux victimes de l’explosion de 2020 qui a captivé par son intensité émotionnelle, prolongeant son dialogue avec Cannes.
Ziad Doueiri, né en 1963 à Beyrouth, a marqué Cannes avec L’Insulte (2017), projeté à la Mostra de Venise mais repris en sélection parallèle à Cannes l’année suivante. Ce film, qui suit un différend entre un chrétien libanais et un réfugié palestinien dégénérant en crise nationale, a valu à Kamel El Basha le prix du meilleur acteur à Venise, mais sa résonance à Cannes a renforcé sa portée internationale. En 2025, Doueiri prévoit de présenter Beyrouth entre deux feux, un drame sur les récents bombardements, à la section Un Certain Regard, confirmant sa capacité à transformer les tensions libanaises en récits universels. Bassem Breche, avec Riverbed (2017), lauréat du Prix spécial du jury au Festival du Caire après une sélection à la Fabrique Cinéma de Cannes, illustre aussi cette présence, son exploration des relations humaines dans un Liban en crise touchant les festivaliers par sa subtilité.
Venise : un écrin pour les récits d’exil et de résistance
La Mostra de Venise, avec son prestige vénéré, a également célébré le cinéma libanais. L’Insulte de Ziad Doueiri, projeté en compétition officielle en 2017, a non seulement valu à Kamel El Basha un prix d’interprétation, mais a aussi marqué un tournant pour les réalisateurs libanais à Venise, soulignant leur aptitude à traiter des sujets sensibles – ici, les blessures communautaires – avec une finesse narrative. Nadine Labaki y a présenté Et maintenant on va où ? (2011) hors compétition, une comédie dramatique sur des femmes libanaises unissant leurs forces pour éviter une guerre confessionnelle dans leur village, qui a séduit par son mélange d’humour et de gravité, traduit en 15 langues et largement diffusé en Europe.
En 2024, Mounia Akl, née en 1989 à Beyrouth, a fait sensation à Venise avec Costa Brava, Lebanon (2021), déjà primé à Toronto en 2021, mais repris en sélection Orizzonti. Ce film, qui suit une famille fuyant la pollution beyrouthine pour une vie rurale menacée par une décharge, a valu à Akl une mention spéciale pour sa mise en scène audacieuse, explorant la résilience écologique et familiale. Ely Dagher, né en 1985, a remporté le Lion d’Or du meilleur court métrage à Venise en 2015 avec Waves ’98, une œuvre animée mêlant souvenirs d’enfance et errance urbaine dans un Beyrouth post-guerre civile. En 2025, Dagher prévoit de présenter son premier long métrage, Echoes of the Shore, une méditation poétique sur l’exil, à Venise, prolongeant son succès dans ce festival qui valorise les visions singulières.
Toronto : une plateforme pour l’indépendant libanais
Le Festival international du film de Toronto (TIFF), connu pour son rôle de tremplin vers les Oscars, a également ouvert grand ses portes aux cinéastes libanais. Capharnaüm de Nadine Labaki, après Cannes, a été projeté à Toronto en 2018, où il a remporté le People’s Choice Award, un indicateur de succès aux Oscars qui a amplifié sa visibilité mondiale. Costa Brava, Lebanon de Mounia Akl, sélectionné en 2021 dans la section Contemporary World Cinema, a décroché le Prix NETPAC pour sa représentation nuancée des défis environnementaux et familiaux, un honneur qui a propulsé Akl sur la scène nord-américaine. Wissam Charaf, né en 1977 à Beyrouth, a présenté Tombé du ciel (2016) à Toronto dans la section Discovery, un drame sur un ancien milicien confrontant son passé, qui a séduit par son humour noir et sa réflexion sur la mémoire collective.
En 2024, Charaf a soumis After the Bridge, un film sur les cicatrices invisibles des conflits libanais, à Toronto, où il a été salué pour sa mise en scène épurée et son exploration de l’exil intérieur, renforçant la présence du cinéma indépendant libanais dans ce festival. En 2025, TIFF prévoit d’accueillir The Last Song de Lara Abou Saifan, une cinéaste émergente née en 1990, dont le premier long métrage, une elegie sur une famille dispersée par la guerre, est attendu dans la section Platform, consolidant la réputation de Toronto comme vitrine pour les talents libanais.
Thématiques engagées : résilience et exil au cœur des récits libanais
Les films libanais primés à l’étranger puisent leur force dans des thématiques engagées, notamment la résilience face à l’adversité, un reflet des luttes quotidiennes d’un peuple confronté à des décennies de conflits et de crises. Capharnaüm de Nadine Labaki illustre cette résilience à travers Zain, un enfant de 12 ans qui intente un procès à ses parents pour l’avoir mis au monde dans un environnement de misère. Tourné dans les bidonvilles de Beyrouth avec une caméra immersive, le film expose les inégalités brutales tout en célébrant l’endurance humaine, un message qui a ému les festivaliers de Cannes à Toronto. Et maintenant on va où ?, avec ses femmes manipulant leurs hommes pour éviter une guerre confessionnelle, mêle humour et tragédie pour montrer une résilience collective, un thème qui transcende les frontières libanaises pour parler à toutes les sociétés divisées.
Mounia Akl, dans Costa Brava, Lebanon, explore une résilience familiale face à la dégradation environnementale et sociale, avec une famille s’isolant dans les montagnes libanaises pour échapper à la pollution de Beyrouth, seulement pour voir leur refuge menacé par une décharge. Ce récit, porté par les performances de Nadine Labaki et Saleh Bakri, résonne dans un monde confronté aux crises climatiques, offrant une métaphore subtile de la lutte libanaise pour préserver un semblant de normalité. Wissam Charaf, avec Tombé du ciel et After the Bridge, plonge dans la résilience individuelle face au passé, ses personnages – souvent d’anciens combattants ou des survivants – cherchant redemption ou survie dans un Liban hanté par ses fantômes. Ces films, primés pour leur authenticité, traduisent une ténacité qui va au-delà du local, touchant les cœurs par leur humanité brute.
Exil : une quête d’identité universelle
L’exil, thème omniprésent dans le cinéma libanais, reflète l’expérience d’une nation où 14 millions de Libanais vivent à l’étranger contre 5 millions sur place. L’Insulte de Ziad Doueiri aborde l’exil intérieur et extérieur à travers le conflit entre Toni, un chrétien libanais, et Yasser, un réfugié palestinien, une confrontation qui éclaire les blessures communautaires et les déplacements forcés. Le film, projeté à Venise et repris à Cannes, explore comment l’exil – qu’il soit physique ou émotionnel – façonne l’identité, un sujet universel dans une ère de migrations massives. Waves ’98 d’Ely Dagher, court métrage primé à Venise, suit Omar, un jeune Beyrouthin errant dans une ville qu’il ne reconnaît plus, une méditation animée sur l’aliénation et l’exil intérieur qui a séduit par sa poésie visuelle.
Dans Beyrouth 2020, Charif Majdalani documente son propre exil forcé après l’explosion du port, un journal cinématographique qui traduit la douleur de quitter une ville aimée, un sentiment partagé par des millions de Libanais expatriés. The Last Song de Lara Abou Saifan, attendu à Toronto en 2025, promet d’explorer une famille dispersée par la guerre, avec des personnages – une mère à Beyrouth, un fils à Paris – cherchant à renouer leurs liens brisés, un récit qui reflétera l’exil diasporique libanais. Ces thématiques, ancrées dans une réalité locale, parlent à un public global, capturant les luttes de l’identité et de l’appartenance dans un monde en mouvement.
Reconnaissance mondiale : le cinéma indépendant libanais sous les feux de la rampe
Le cinéma indépendant libanais gagne une reconnaissance mondiale grâce à une esthétique audacieuse et des récits personnels qui défient les conventions hollywoodiennes. Capharnaüm de Nadine Labaki, avec son tournage en décors naturels et ses acteurs non professionnels, a été salué à Cannes pour sa vérité crue, remportant le Prix du Jury et une nomination aux Oscars, une rare percée pour un film arabe. Son mélange de réalisme documentaire et de narration émotive a valu à Labaki une standing ovation de 15 minutes à Cannes, un moment gravé dans les annales du festival. L’Insulte de Ziad Doueiri, avec sa mise en scène tendue et ses dialogues percutants, a été célébré à Venise pour sa capacité à transformer un conflit local en une parabole universelle, Kamel El Basha recevant le prix du meilleur acteur pour son interprétation nuancée de Yasser.
Mounia Akl, avec Costa Brava, Lebanon, a impressionné Toronto et Venise par sa direction sensible et son esthétique épurée, utilisant des paysages libanais comme personnages à part entière pour refléter les luttes intérieures de ses protagonistes. Ely Dagher, dans Waves ’98, a séduit Venise avec une animation minimaliste mêlée d’images réelles, une approche expérimentale qui lui a valu le Lion d’Or du court métrage, marquant une nouvelle voie pour les cinéastes libanais. Wissam Charaf, avec ses films à l’humour décalé et à la narration non linéaire, a été applaudi à Toronto pour son refus des clichés, offrant une vision fraîche du cinéma indépendant.
Une influence croissante sur la scène mondiale
Cette reconnaissance dépasse les prix pour influencer la scène mondiale. En 2024, plus de 20 festivals internationaux – Sundance, Berlin, Locarno – ont projeté des films libanais, une présence renforcée par des plateformes comme Netflix, qui a diffusé Capharnaüm et L’Insulte à un public global. La Fabrique Cinéma de Cannes, qui soutient les jeunes réalisateurs, a sélectionné Bassem Breche en 2017 pour Riverbed, un film primé au Caire, et continue d’attirer des talents libanais en 2025, comme Lara Abou Saifan, renforçant la visibilité internationale du cinéma indépendant. Les thématiques de résilience et d’exil, portées par une esthétique brute et personnelle, font écho aux préoccupations contemporaines – migrations, crises identitaires – et positionnent le Liban comme un laboratoire cinématographique unique.
En 2025, alors que le Festival de Cannes annonce sa 78e édition (13-24 mai), des rumeurs circulent sur une sélection compétitive incluant Beyrouth entre deux feux de Ziad Doueiri et Echoes of the Shore d’Ely Dagher, signalant une continuité dans cette vague de reconnaissance. Venise pourrait accueillir une rétrospective libanaise, tandis que Toronto reste une plateforme clé pour les nouveaux talents. Ce succès, né dans un pays où la production dépend de financements précaires et de l’ingéniosité des cinéastes, prouve que le cinéma indépendant libanais, loin de plier sous la crise, s’élève comme une voix essentielle du cinéma mondial, primée et célébrée pour sa puissance narrative et sa beauté singulière.