En avril 2025, le Liban affiche certains signes extérieurs de stabilité économique qui, à première vue, pourraient laisser penser à un début de redressement. Pourtant, une analyse plus fine des données macroéconomiques et monétaires montre une fragilité structurelle profonde et persistante. La hausse modérée de certains indicateurs comme les permis de construire ou les réserves de change masquent mal les tensions qui subsistent dans le secteur bancaire, la détérioration du tissu social et l’aggravation de la précarité économique.
indicateurs économiques de surface : des signaux positifs trompeurs
Le premier trimestre 2025 a été marqué par quelques signaux économiques jugés positifs. Les permis de construire délivrés par l’Ordre des ingénieurs et architectes de Beyrouth (OEAB) ont progressé de 3 % par rapport au premier trimestre 2024, atteignant une superficie totale autorisée de 1 213 451 mètres carrés. Ce regain léger, porté principalement par la région du Mont Liban (+58,2 %), a été interprété par certains analystes comme un début de reprise dans le secteur immobilier.
Dans le même temps, les réserves liquides de la Banque du Liban (BDL) ont connu une légère expansion, atteignant 11,071 milliards de dollars à la mi-avril, contre 10,135 milliards à fin décembre 2024. Cette augmentation de 936 millions de dollars sur quatre mois représente une stabilisation partielle du stock de devises étrangères après la chute brutale liée aux événements de 2024.
Sur les marchés financiers, la hausse des prix des eurobonds libanais – passés de 16,40 cents à 17,00 cents par dollar en avril – a renforcé cette perception de stabilisation. En parallèle, la livre libanaise est restée relativement stable sur le marché parallèle, oscillant autour de 89 600 livres pour un dollar.
la réalité sous-jacente : une fragilité exacerbée
Derrière ces apparences, les fondamentaux économiques restent dramatiquement fragiles. Le secteur bancaire continue de se contracter fortement. Les dépôts bancaires résidents ont chuté de 2 300 milliards de livres en une seule semaine début avril, entraînés par une fuite massive des dépôts en devises (-4 549 milliards de livres).
La contraction du système bancaire se traduit également par une baisse de la masse monétaire au sens large (M4), qui a reculé de près de 4 892 milliards de livres sur la même période. Cette dynamique confirme l’incapacité du secteur bancaire à regagner la confiance des déposants, ce qui compromet sérieusement les chances de relance économique durable.
fragilités sociales et pression migratoire
L’afflux massif de 35 846 nouveaux réfugiés syriens en avril 2025 vient aggraver la situation socio-économique. L’Akkar et le Nord Liban, déjà parmi les régions les plus défavorisées, sont désormais sous une pression humanitaire extrême, avec des infrastructures d’accueil saturées, un marché du travail local dépassé et une augmentation des tensions communautaires.
La précarisation de larges pans de la population libanaise est également visible à travers l’augmentation des transactions en cash de forte valeur. La décision du Parlement d’autoriser l’émission de billets de 500 000 et 1 000 000 livres libanaises est une réponse directe à cette détérioration, mais elle symbolise aussi une perte irréversible de confiance dans la monnaie nationale.
tableau récapitulatif : évolutions économiques clés en avril 2025
Indicateur | Valeur ou évolution |
---|---|
Permis de construire | +3 % (Q1 2025 vs Q1 2024) |
Réserves de change BDL | 11,071 Mds USD (+936 M USD YTD) |
Prix des eurobonds | 17,00 cents USD (+3,7 %) |
Taux de change marché parallèle | 89 600 LBP/USD (stable) |
Contraction des dépôts résidents | -2 300 Mds LBP |
Nouveaux réfugiés syriens | 35 846 personnes |
l’indice kof de mondialisation : une illusion de connectivité
Le classement du Liban dans l’indice KOF 2024 de mondialisation montre également un paradoxe. Le pays se maintient à la 61e place mondiale et à la 7e place régionale avec un score de 69,12. Si son ouverture économique reste notable (38e rang mondial), sa performance sociale (99e) et politique (101e) est en chute libre, illustrant l’isolement croissant du Liban sur la scène mondiale.
Cette déconnexion entre ouverture économique et effondrement des institutions sociales et politiques accentue la fragilité du modèle économique libanais, reposant encore largement sur sa diaspora et ses flux de transferts extérieurs.
analyse de la fausse stabilité financière
La stabilité du taux de change observée en avril 2025 repose essentiellement sur des mécanismes artificiels : interventions régulières de la BDL sur le marché parallèle, restrictions de change imposées aux banques, et limitation des retraits en devises étrangères. En réalité, la livre libanaise continue de se déprécier à travers l’inflation interne, qui grignote inexorablement le pouvoir d’achat des ménages.
De même, l’amélioration des réserves de change masque mal leur dépendance aux quelques entrées de capitaux extérieurs liés à l’aide humanitaire ou à des flux de trésorerie non productifs, en l’absence de réelle reprise de l’investissement privé ou des exportations.
tableau complémentaire : sources des entrées de devises au premier trimestre 2025
Source principale | Montant estimé (M USD) |
---|---|
Aide humanitaire internationale | 470 |
Transferts de la diaspora | 280 |
Revenus touristiques marginaux | 105 |
Exportations de biens | 81 |
Investissements directs étrangers | 0 |
perspectives économiques à court terme
Les perspectives pour le Liban à court terme restent sombres sans une relance structurelle. L’absence d’un accord formel avec le Fonds monétaire international, combinée à l’inaction politique locale, bloque l’accès aux financements extérieurs nécessaires pour restructurer la dette publique et recapitaliser le secteur bancaire.
Les mesures palliatives, comme l’émission de nouveaux billets ou la stabilisation artificielle du taux de change, ne peuvent que retarder l’échéance d’une crise bancaire systémique ou d’une hyperinflation à moyen terme.
le rôle de la Banque du Liban et ses limites
La Banque du Liban, en dépit de ses efforts pour contrôler la liquidité et soutenir la livre, opère désormais dans un cadre extrêmement contraint. Ses réserves nettes sont très limitées, et son intervention constante sur le marché parallèle est de plus en plus inefficace à mesure que la confiance publique s’érode.
La BDL, créée en 1963, a historiquement joué un rôle clé dans la stabilité du pays. Toutefois, en 2025, elle est perçue plus comme un acteur défensif, incapable de mener des politiques de stabilisation proactive sans un appui extérieur massif.