Péripéties, frayeurs et sueurs froides

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Fêter Pâques tout en étant immergés dans les profondeurs d’un spectacle d’horreur à la Toussaint, assister à plusieurs représentations dramatiques à couper le souffle, avec des acteurs émérites de première ligne qui, comme des anges, se donnent à fond pour réussir le rôle de leur vie ; sauver des vies, c’est la catharsis et les frissons garantis. Et puis, des « standing ovations » quotidiennes sont affichées, elles sont encourageantes, émouvantes et bien méritées. Des signes de reconnaissance.

La scène débute dans le calme, à l’arrière sonne le glas. Un décor de printemps qui se déploie dans toute sa splendeur mais la tristesse et la consternation sont ostentatoires. La vie ralentit pour certains et accélère et prend fin pour d’autres. Les moments sont douloureux et dramatiques. « Le printemps adorable a perdu son odeur » ce vers, tiré du poème Le goût du néant de Baudelaire, peint majestueusement la situation. Les multiples tombeaux sont disposés et prêts. Les pompes funèbres se frottent les mains. La perspective est sombre et triste, et les statistiques sont avides et gourmandes. Et le temps presse.

Dans la stupeur envahissante, le tocsin résonne et il se fait entendre. Un scénario, l’un des plus cauchemardesques, se trame et l’intrigue se nourrit de l’ambiance funeste et angoissante. La lenteur est poignante et l’embrouillement et la confusion sont inquiétants et stupéfiants. Péripéties imprévues.

Les paroles et les répliques se raréfient pour laisser la place à un silence assourdissant. La nature est enchantée et les oiseaux gazouillent. Des figurants qui se croyaient acteurs de leur vie en perdent le contrôle et se voient imposer de nouveaux scénarios de confinés dans un refuge, et de nouveaux rôles d’accablés dans une accalmie apparente à l’intérieur de laquelle ils se brouillent et ils se grouillent. Leurs allers-retours semblent figés. Ils tournent en rond. Soliloquer et prononcer des paroles sibyllines refont surface et deviennent d’usage. La démence est palpable. Elle ne tient plus qu’à un fil. Les violences conjugales et familiales, l’animalité, faute de sociabilité, et l’immoralité, momifiées en temps de normalité, se raniment, reprennent vie et émergent des profondeurs de la nature humaine. Psychose.

Un passage ténébreux se dresse comme un goulet d’étranglement cauchemardesque et infini. Les entrées se comptent en milliers. Tous s’inclinent scrupuleusement et tirent leur révérence d’épouvante devant l’omnipotence et l’hégémonie de ce virus, qui rapproche l’humain de sa fin. L’histoire, elle ne touche pas à sa fin. Un entrelacs de peur et d’angoisse dans l’incertitude, gagne du terrain, grignote le chemin de ces milliers et les projette dans l’inconnu. Tous se trouvent sur le même pont.

Des rebondissements à la Hitchcock avec un suspense lent et effrayant. Situation énigmatique inédite avec des indices de dénouement rarissimes dignes d’un Agatha Christie. Une guerre froide sans armes et sans munitions, sans eau bénite et sans croix face à ce démon invisible et maléfique qui s’empare des corps des fragiles et des moins fragiles. Un canevas aux airs de L’Exorciste de Blatty qui enfonce les spectateurs dans un tourbillon d’épouvante et de panique et qui engendre des sueurs froides et des frissons. San Antonio y participe pour le comique et la bonne humeur dans le confinement. Fragonard y prend sa part et aide à donner des idées utiles pour passer des moments agréables, et répéter des scènes galantes après s’être verrouillés à l’intérieur. Le Verrou, en toile de fond.

Et la production dans les coulisses se démène pour trouver les moyens et les subterfuges pour se prémunir des besoins essentiels, recours à des productions étrangères, faute de productions locales, dans un climat de trafic et d’espionnage et de courses effrénées et d’avions affrétés. Un 007 sur fond de pénurie. Un Javier Bardem débordant d’idées diaboliques qui, en ces temps pernicieux, sont cruellement indispensables. Ambiance délétère. Les moyens de défense sont inédits dans cette guerre : des masques, des respirateurs, des médicaments… Plus puissant, plus riche, plus vite pour plus de moyens, devient la nouvelle devise de compétition entre les différents producteurs. Loi de la jungle.

Et cet endiablé de virus prospère, sans entracte, aux dépends de vies d’humains. Il trouve en toute insolence sa maison d’hôte dans les cellules de ces derniers. Froidement, il leur fait subir des épreuves dont des sacro-saints sauveurs auréolés, héros au front et acteurs principaux dans la fournaise du Covid-19, font don de soi pour sauver les affligés. Une mission céleste, des fois impossible, est celle de ces sacro-saints médecins et personnels soignants. Ils luttent avec des moyens séraphiques pour exorciser ce virus de chaque cellule et pour réhabiliter les corps épuisés et épouvantés par ce monstre invisible. Un oubli de soi.

Une tragédie qui se déroule sur le théâtre de la vie et les morts se comptent en milliers. Une tragédie allégée chaque soir par l’affabilité et l’enthousiasme de certains bienfaisants qui sont reconnaissants de l’effort mystique fourni par les acteurs principaux de première ligne. Qui sont reconnaissants de « l’héroïsme des humbles, abandonnés sur la ligne de combat » au dire du philosophe Robert Redeker. Une tragédie allégée par une sortie, l’une des plus mémorables, pour applaudir ces humbles en signe de solidarité et d’union avec des chants en unisson, des hymnes et des airs d’opéra, avec des cloches qui carillonnent et des bravos qui résonnent pour remplacer le glas et le tocsin. Hurler l’espérance. Des signes de renaissance. Miracle de la vie. Joyeuses Pâques.

Pascale Stephan
Diplômée Droit et Sciences Politiques. Formations Master en Sciences Politiques, et en Management Interculturel.

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