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PRESSE: Hezbollah, État et sécurité : un triangle d’instabilité ?

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À mesure que les tensions régionales se cristallisent, les dynamiques internes libanaises révèlent une polarisation sécuritaire croissante. L’équation politique libanaise, longtemps fondée sur une coexistence difficile entre l’État et les forces extra-institutionnelles, semble atteindre une phase critique. Le Hezbollah, acteur militaire incontournable mais non étatique, exerce une influence structurante sur la doctrine sécuritaire du pays. Entre affirmations du gouvernement, critiques des figures politiques, et silence stratégique de certaines institutions, le Liban oscille entre paralysie et compromis fragile.

L’État et ses limites face à la force parallèle

La récente séquence militaire à la frontière sud a relancé le débat sur la souveraineté sécuritaire du Liban. Alors que le président Joseph Aoun plaidait pour un renforcement de la coopération avec la FINUL, le secrétaire général adjoint du Hezbollah, Naim Kassem, a ouvertement critiqué l’État, l’accusant de passivité face aux attaques israéliennes. Selon Al Bina’ (30 avril 2025), il a déclaré que « l’État libanais n’a pas su construire une dissuasion nationale efficace face aux agressions continues ».

Cette critique révèle une fracture de fond : pour le Hezbollah, la légitimité de la résistance armée repose sur l’inefficacité perçue des institutions étatiques à garantir la défense du territoire. Cette rhétorique, ancienne mais réactivée par les tensions actuelles, réduit la marge de manœuvre du gouvernement en matière de doctrine militaire unifiée. Elle complexifie toute tentative de redéfinition des rapports entre les différentes branches de l’appareil de sécurité.

Le Premier ministre Nawaf Salam a tenté de clarifier la position gouvernementale. Selon Al Sharq (30 avril 2025), il a affirmé que le Hezbollah reste « engagé dans le cadre de l’accord gouvernemental et respecte le programme ministériel en vigueur ». Ce positionnement vise à maintenir un équilibre de façade entre inclusion politique et distanciation sécuritaire. Mais il suscite de fortes critiques au sein des partis souverainistes, qui dénoncent un double langage.

Le monopole de la violence légitime en question

Dans l’architecture de l’État moderne, le monopole de la violence légitime constitue un socle indiscutable. Au Liban, ce principe est continuellement négocié. Le Hezbollah dispose d’une capacité militaire indépendante, d’un réseau logistique régional et d’une base sociale consolidée. Cette réalité structurelle crée une asymétrie avec l’armée libanaise, laquelle, malgré des efforts de modernisation soutenus par des partenaires internationaux, reste politiquement bridée.

Ad Diyar (30 avril 2025) souligne que l’absence d’un commandement unifié en situation de crise limite la crédibilité stratégique du Liban face aux acteurs régionaux. Cette faiblesse est perçue avec inquiétude par les alliés du Liban, notamment la France, qui plaide depuis plusieurs années pour une intégration progressive des forces parallèles dans un cadre institutionnel.

Par ailleurs, la question de l’articulation entre la résistance et la souveraineté reste non résolue. Le Hezbollah considère sa force comme complémentaire de l’État, tandis que ses détracteurs y voient une forme de tutelle masquée. Cette ambiguïté alimente une insécurité juridique et opérationnelle qui freine toute refonte doctrinale.

Une sécurité nationale tributaire du contexte régional

Le contexte régional joue un rôle structurant dans cette configuration. Les menaces israéliennes répétées, la guerre à Gaza, et les tensions persistantes en Syrie et en Irak poussent le Hezbollah à renforcer son appareil militaire et ses alliances transfrontalières. Dans ce cadre, l’État libanais apparaît comme un acteur périphérique dans une logique de confrontation plus large.

Al Akhbar (30 avril 2025) rappelle que la direction du Hezbollah a récemment intensifié ses contacts avec les autorités syriennes et iraniennes, dans le but de réorganiser ses lignes d’approvisionnement et de se prémunir contre une extension du conflit. Cette stratégie d’anticipation sécuritaire repose sur des dispositifs étrangers, hors du contrôle de l’État libanais.

Face à cette autonomie opérationnelle, les institutions de l’État sont reléguées à une fonction de gestion. Le Conseil supérieur de la défense, censé coordonner les réponses sécuritaires, fonctionne en mode restreint et sans marge d’initiative. Cette configuration prive le Liban d’un centre de gravité décisionnel, notamment en cas d’escalade militaire.

Dissuasion ou vulnérabilité : un débat interne polarisé

Le débat sur la dissuasion oppose deux visions : l’une prône l’intégration totale du Hezbollah dans l’architecture de défense nationale, l’autre réclame sa mise sous tutelle de l’État. Entre les deux, des positions médianes évoquent une coordination progressive, sans remise en cause frontale de son autonomie actuelle.

Ad Diyar cite plusieurs députés qui dénoncent l’absence d’un véritable plan de défense national. Selon eux, la dissuasion repose sur un effet d’annonce, non sur une capacité étatique réelle. L’armée libanaise, bien qu’appréciée par la population, ne dispose ni des ressources ni de la latitude politique pour projeter une stratégie cohérente en cas d’agression.

La dernière session parlementaire sur la sécurité, tenue le 29 avril, a révélé des clivages profonds. Certains élus affiliés aux Forces libanaises et au Parti Kataëb ont accusé le gouvernement de « capituler » face à la montée en puissance du Hezbollah. D’autres, plus modérés, appellent à un pacte de défense nationale impliquant tous les acteurs politiques et militaires.

L’opinion publique entre résignation et résilience

L’opinion publique libanaise, longtemps habituée à vivre dans un système de cohabitation conflictuelle, montre aujourd’hui des signes d’usure. Dans une enquête publiée par l’Université Saint-Joseph fin avril 2025, 62 % des sondés affirment ne pas faire confiance aux institutions sécuritaires pour protéger le pays de manière indépendante. En parallèle, 48 % reconnaissent au Hezbollah un rôle central dans la dissuasion face à Israël.

Ce double constat traduit une contradiction fondamentale : la population ne fait pas pleinement confiance à l’État, mais elle ne veut pas non plus d’une mainmise militaire partisane. Cette ambivalence se reflète dans les discours de la société civile, où émergent des propositions de réforme progressive du secteur sécuritaire.

Les ONG et centres de réflexion insistent sur la nécessité de reconstruire une culture de sécurité fondée sur la légalité et l’unité. Plusieurs projets pilotes ont été proposés, visant à renforcer le rôle des conseils municipaux dans la gestion des crises locales, en coordination avec les forces de sécurité intérieure. Ces initiatives restent marginales mais témoignent d’un désir de transformation à la base.

Vers une redéfinition du contrat sécuritaire ?

Le gouvernement, sous pression de ses partenaires internationaux, réfléchit à une relance de la stratégie de défense nationale formulée en 2012 et jamais appliquée. Cette stratégie, qui repose sur la complémentarité entre l’armée et la résistance, pourrait être remise à jour pour intégrer les nouvelles réalités géopolitiques.

Des sources diplomatiques citées dans Al Sharq (30 avril 2025) affirment que des discussions exploratoires sont en cours entre le ministère de la Défense, le commandement de l’armée et des conseillers proches du Hezbollah. L’objectif serait de formuler un document de consensus opérationnel sur les missions défensives, les zones de responsabilité, et les modalités de communication en temps de crise.

Ce projet, encore embryonnaire, pourrait être soutenu par la FINUL et des partenaires européens. Il constituerait une étape vers une sortie progressive de la logique duale qui prédomine aujourd’hui. Mais sa mise en œuvre nécessiterait un accord politique large, difficile à obtenir en l’état actuel de fragmentation du pouvoir.

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