Le 29 mars 2025, alors que Karim Saïd entame son mandat comme gouverneur de la Banque du Liban (BDL), une ombre persistante plane sur l’institution : les lenteurs judiciaires et les soupçons d’interférences dans les enquêtes visant ses prédécesseurs, notamment Riad Salamé. À cette date, marquée par une crise économique qui a vu la livre chuter à 100 000 LL/USD et 80 % de la population basculer sous le seuil de pauvreté selon la Banque mondiale, la nomination de Saïd ravive un débat brûlant sur la responsabilité des élites financières. Al Akhbar, dans son édition du jour, souligne que malgré des mandats d’arrêt internationaux émis contre Salamé en 2023 par la France et l’Allemagne, les procédures internes au Liban stagnent, entravées par des pressions politiques. Ad Diyar va plus loin, évoquant des négociations secrètes entre blocs parlementaires et le secteur bancaire pour étouffer les affaires sensibles. Enfin, Al 3arabi Al Jadid rapporte les appels sans réponse d’ONG comme Legal Agenda et Human Rights Watch pour plus de transparence. Ces lenteurs, mêlées de suspicions d’influence, érodent davantage la confiance dans un système judiciaire déjà fragilisé, laissant planer un sentiment d’impunité au sommet.
Karim Saïd : un nouveau départ sous le poids du passé
Nommé le 27 mars 2025 après un vote tendu au Conseil des ministres (17 contre 7), Karim Saïd hérite d’une Banque du Liban en ruines. Avec 70 milliards de dollars de pertes estimées par la Banque mondiale, des dépôts gelés depuis 2019, et des réserves de change oscillant entre 4 et 17 milliards selon des chiffres flous, la BDL est un symbole d’effondrement. Saïd, technocrate formé à Wharton et soutenu par le président Joseph Aoun, promet une approche pragmatique : mobiliser les 24 milliards de réserves d’or pour rembourser une partie des petits déposants (sous 500 000 dollars). Mais ce plan, dévoilé le 28 mars, évite l’audit juricomptable exigé par le FMI, relançant les questions sur les responsabilités passées.
Al Akhbar voit dans cette nomination une opportunité manquée de faire la lumière sur l’ère Salamé. Le journal rappelle que ce dernier, gouverneur de 1993 à 2023, est accusé de détournement de fonds publics et de blanchiment d’argent, avec un patrimoine estimé à des centaines de millions en Europe selon Sherpa. Des mandats d’arrêt internationaux, émis en mai 2023 par la France et l’Allemagne pour « blanchiment » et « corruption », n’ont pas conduit à des avancées significatives au Liban. « Le juge en charge du dossier a subi des pressions politiques », écrit Al Akhbar, suggérant que des forces au sein de l’exécutif et du Parlement bloquent toute progression. Cette inertie, note le quotidien, contraste avec l’urgence d’une justice crédible dans un pays ravagé par la crise et la guerre Hezbollah-Israël (11 milliards de dégâts selon l’ONU).
Riad Salamé : un fantôme judiciaire
Pendant trois décennies, Riad Salamé a incarné la stabilité monétaire libanaise, salué comme un « magicien financier » avant de devenir une figure honnie après 2019. Inculpé en 2024 pour détournement de 330 millions de dollars selon Reuters, il est au cœur d’enquêtes multiples : au Liban pour « enrichissement illicite », en France pour « biens mal acquis », et en Suisse pour des transferts suspects via des sociétés offshore comme Forry Associates, liée à son frère Raja. Malgré ces accusations, Salamé reste insaisissable. Arrêté en septembre 2024 à Beyrouth, il est libéré sous caution deux mois plus tard, une décision critiquée comme un symbole d’impunité.
Al Akhbar souligne que depuis son départ en juillet 2023, remplacé par l’intérimaire Wassim Manssouri, aucune enquête interne n’a abouti. « Les mandats internationaux de 2023 auraient dû déclencher une action rapide, mais le dossier dort », déplore le journal, pointant des interférences politiques. Le juge chargé de l’affaire, dont l’identité reste floue, aurait été « intimidé » par des appels de hauts responsables, selon des sources anonymes citées par le quotidien. Cette stagnation alimente la défiance envers une justice perçue comme inféodée aux élites, un sentiment renforcé par l’absence de transparence sur les 70 milliards de pertes bancaires.
Négociations secrètes et opacité : les révélations d’Ad Diyar
Ad Diyar, dans son édition du 29 mars 2025, va plus loin en dénonçant des « négociations informelles » entre certains blocs parlementaires et des représentants du système bancaire. Le journal affirme que ces tractations visent à « protéger les figures centrales du secteur financier », dont Salamé et d’anciens dirigeants de banques privées. « L’objectif est d’éviter que des affaires sensibles n’éclaboussent les piliers de l’économie », écrit Ad Diyar, suggérant un pacte implicite pour préserver le statu quo. Ces arrangements, selon le quotidien, incluent des pressions sur les juges pour retarder ou classer les dossiers.
Cette opacité, poursuit Ad Diyar, aggrave la fracture entre les citoyens et les institutions. Dans un pays où l’inflation a atteint 269 % en 2023 selon les données de l’ONU, et où les « lollars » (dollars bancaires bloqués) ne valent plus que 10 à 15 cents au marché noir, l’impunité des élites financières est un affront. « Les Libanais voient leurs épargnes evaporées pendant que les responsables négocient leur immunité », déplore le journal, citant des rumeurs de réunions secrètes dans des hôtels de Beyrouth entre députés et banquiers. Ces révélations, bien que non confirmées officiellement, résonnent avec un historique de corruption systémique dénoncé par des ONG comme Transparency International.
Appel à la transparence : l’impasse selon Al 3arabi Al Jadid
Al 3arabi Al Jadid, dans son édition du même jour, met en lumière les efforts vains des organisations de la société civile. Le journal rapporte qu’une lettre ouverte de Legal Agenda et Human Rights Watch, adressée au Conseil supérieur de la magistrature, exige la publication des résultats des enquêtes financières lancées depuis 2019. Ces enquêtes, visant la BDL et les banques privées, devaient clarifier les responsabilités dans l’effondrement économique. « Aucune réponse n’a été donnée », note Al 3arabi Al Jadid, renforçant l’idée d’un système judiciaire « sous influence ».
Le quotidien cite des experts juridiques qui estiment que ces blocages reflètent une incapacité chronique à jouer un rôle de contre-pouvoir. « Le Conseil supérieur de la magistrature reste silencieux, paralysé par des pressions politiques et économiques », écrit le journal. Cette inertie contraste avec les attentes du FMI, qui conditionne une aide de 3 à 4 milliards de dollars à un audit complet de la BDL – une exigence que Saïd, comme Salamé avant lui, rejette au nom de la « souveraineté ». Pour Al 3arabi Al Jadid, ce mutisme institutionnel « nourrit le sentiment que la justice est un outil au service des puissants », une perception partagée par une population épuisée par la crise et la guerre.
Un système bancaire en ruines : le legs empoisonné
Avant 2019, la BDL et les 47 banques commerciales drainaient 80 % du PIB selon la Banque mondiale, un modèle dopé par des taux d’intérêt élevés (12 % en 2018) et les dépôts de la diaspora. Ce système s’est effondré avec la crise, révélant une insolvabilité masquée par des montages financiers sous Salamé. Les « ingénieries » de ce dernier, comme les swaps de devises, ont drainé les réserves tout en enrichissant une élite, selon un audit partiel de Kroll en 2020 (abandonné sous pression). Aujourd’hui, les déposants, privés de leurs fonds, accusent la BDL et ses dirigeants d’avoir orchestré une « escroquerie géante ».
Karim Saïd, en évitant l’audit, prolonge cette opacité. « Sans transparence sur le passé, comment restaurer la confiance ? », interroge Toufic Gaspard, économiste et auteur de A Political Economy of Lebanon. Les lenteurs judiciaires, combinées aux soupçons d’interférences, empêchent toute reddition de comptes, laissant les victimes – 80 % de la population selon la Banque mondiale – sans recours.
Conséquences sociales : une poudrière prête à exploser
Les révélations d’Ad Diyar sur des négociations secrètes et l’inaction dénoncée par Al 3arabi Al Jadid alimentent une colère latente. Les manifestations de 2019, qui ont mobilisé 1,5 million de personnes, pourraient resurgir, amplifiées par la guerre et la misère. « L’impunité des élites financières est une bombe à retardement », prévient Lydia Assouad de Sciences Po. Si les enquêtes sur Salamé et ses pairs n’avancent pas, la rue risque de devenir le seul recours pour une population désespérée.
Al Akhbar prédit un « soulèvement » si les pressions politiques continuent de bloquer la justice. Avec un PIB à 18 milliards de dollars (contre 55 milliards en 2018) et une guerre coûtant 11 milliards selon l’ONU, le Liban n’a plus de marge. Les lenteurs judiciaires, perçues comme une protection des coupables, pourraient transformer la défiance en révolte.
Scénarios possibles
- Statu quo prolongé : Les interférences maintiennent les enquêtes en suspens, Saïd poursuit son plan sans audit, et la défiance s’accentue, avec un risque de chaos social d’ici fin 2025.
- Pressions internationales : Une action concertée du FMI et de pays comme la France force un audit, relançant les procédures contre Salamé, mais au prix de tensions politiques internes.
- Explosion populaire : L’inaction judiciaire déclenche des manifestations massives, paralysant Beyrouth et forçant une révision du système sous pression populaire.
Une justice en échec ?
Au 29 mars 2025, l’affaire de la Banque du Liban incarne les maux d’un système judiciaire libanais en crise : lenteurs, interférences, et impunité. Al Akhbar dénonce les pressions sur les juges, Ad Diyar révèle des tractations occultes, et Al 3arabi Al Jadid pleure l’absence de transparence. Alors que Karim Saïd tente de redresser la BDL, le fantôme de Riad Salamé plane, intouchable malgré les accusations. Dans un Liban exsangue, la justice, censée être un rempart, semble abdiquer face aux puissants, au risque d’un effondrement total.