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Réformer ou sombrer : le dilemme d’un Parlement contesté

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Le Parlement libanais traverse une séquence politique décisive. Au cœur de ses débats : deux chantiers majeurs qui engagent la survie de l’État – la réforme du système judiciaire et la restructuration du secteur bancaire. Or ces enjeux se déploient dans une conjoncture particulière, marquée par l’approche des élections municipales, la montée en puissance des contestations citoyennes et la fragilisation des partis traditionnels. Dans cette configuration, la Chambre des députés se retrouve au centre d’un carrefour stratégique : entre urgence des réformes, pression sociale croissante et profonde crise de légitimité institutionnelle. Ce moment législatif cristallise les tensions structurelles qui traversent l’appareil politique libanais depuis la fin de la guerre civile.

Une institution en quête de crédibilité

Le Parlement libanais souffre depuis des années d’un déficit de légitimité. L’image de l’institution a été érodée par les scandales, les blocages, les absences répétées et le sentiment d’un éloignement croissant entre les élus et leurs électeurs. La crise économique, la dévaluation de la livre, et l’effondrement des services publics ont accentué ce divorce entre la société et sa représentation politique.

La mobilisation citoyenne de 2019, puis les élections législatives de 2022, ont confirmé cette fracture. Une partie significative de la population ne se reconnaît plus dans les pratiques du Parlement, perçues comme opaques, clientélistes, voire déconnectées. Les tentatives de rénovation interne, de moralisation ou de renouveau générationnel n’ont pas suffi à inverser la tendance.

Dans ce contexte, les débats sur les réformes judiciaires et bancaires sont perçus comme un test ultime : la classe politique peut-elle encore produire des lois structurantes, capables de redonner du sens à la gouvernance ? Ou se contente-t-elle de repousser les échéances sous la pression des équilibres confessionnels et des intérêts économiques ?

Réforme de la justice : entre consensus affiché et lignes rouges invisibles

Le chantier de réforme judiciaire occupe une place centrale dans l’agenda parlementaire. Il vise à renforcer l’indépendance des magistrats, à moderniser l’organisation des juridictions, et à limiter les ingérences politiques dans le travail des procureurs. En apparence, tous les blocs s’accordent sur la nécessité d’une réforme. En réalité, les désaccords sur les modalités concrètes restent profonds.

Certains députés plaident pour une refonte du Conseil supérieur de la magistrature, avec une élection des membres par les magistrats eux-mêmes. D’autres s’y opposent, au nom de la préservation des équilibres confessionnels. Le débat sur le pouvoir disciplinaire du ministre de la Justice cristallise aussi des oppositions anciennes : faut-il le maintenir, l’encadrer ou le supprimer ?

Au-delà des textes, c’est l’usage concret du droit qui est en jeu. Depuis des années, des affaires de corruption, de détournement de fonds ou de responsabilités dans la crise bancaire ont été soulevées sans aboutir à des condamnations majeures. Les réformes proposées peuvent-elles réellement ouvrir la voie à une justice indépendante, ou s’agit-il d’un toilettage institutionnel sans impact réel ?

Restructuration bancaire : un chantier piégé

La réforme du secteur bancaire est, quant à elle, considérée comme la condition sine qua non de tout redémarrage économique. Le Parlement doit se prononcer sur un texte proposé par le gouvernement, qui vise à classer les banques selon leur viabilité, à absorber les pertes accumulées et à protéger les dépôts des petits épargnants.

Mais les débats sont tendus. Plusieurs députés dénoncent un projet de loi flou, qui ne précise ni les mécanismes de compensation, ni la hiérarchisation exacte des pertes. La question de la responsabilité des banques dans la crise financière reste également sans réponse. Nombre d’élus demandent des audits complets, des sanctions ciblées et une transparence totale.

Le texte proposé suscite aussi l’opposition des syndicats bancaires, inquiets pour l’emploi des salariés, et celle des associations de déposants, qui redoutent une spoliation de leurs avoirs. Dans ce climat, le Parlement devient l’arène d’un affrontement complexe entre technocrates, lobby bancaire, mouvements sociaux et logiques politiques.

À chaque avancée du projet, une contre-offensive surgit. Les commissions parlementaires multiplient les auditions, les amendements, les renvois en consultation. Cette lenteur législative, perçue par certains comme une garantie de sérieux, est vécue par d’autres comme une stratégie de temporisation pour éviter toute remise en cause systémique.

Le lien avec les élections municipales : légitimation ou diversion ?

L’approche des élections municipales ajoute une dimension politique supplémentaire à ces réformes. Les partis représentés au Parlement cherchent à capitaliser sur leurs positions législatives pour renforcer leur assise électorale locale. Certains députés n’hésitent pas à évoquer leur rôle dans la rédaction des lois comme argument de campagne.

Mais cette instrumentalisation des débats parlementaires à des fins électorales suscite la méfiance. Elle contribue à l’idée d’un Parlement plus préoccupé par la gestion de ses intérêts que par l’intérêt général. Les candidats indépendants aux élections municipales dénoncent ce double discours : d’un côté, des promesses de réforme ; de l’autre, une absence de résultats concrets.

L’interconnexion entre la scène locale et la scène nationale est donc à double tranchant. Si les réformes aboutissent, les partis au pouvoir peuvent en tirer profit. Si elles échouent ou s’enlisent, elles alimenteront la défiance et renforceront les candidatures alternatives.

Crise de légitimité : un Parlement au pied du mur

La crise de légitimité du Parlement libanais ne date pas d’hier. Mais elle atteint aujourd’hui un seuil critique. L’absence de résultats tangibles, la lenteur des réformes, et l’impression générale d’un système verrouillé accentuent la rupture entre les citoyens et leurs représentants.

Les débats actuels ne sont pas seulement techniques ou institutionnels. Ils ont une portée existentielle. Le Parlement peut-il encore être l’organe central de la démocratie libanaise, ou est-il condamné à devenir une chambre d’enregistrement au service des compromis communautaires ?

Pour retrouver une crédibilité, l’institution devra démontrer qu’elle est capable de légiférer dans l’intérêt général, de résister aux pressions sectorielles, et d’ouvrir ses portes à une nouvelle génération d’élus. Les prochaines semaines seront décisives. Le Parlement joue une partie essentielle pour l’avenir du pays, au moment même où ses fondements sont interrogés de toutes parts.

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Newsdesk Libnanews
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