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Entre urnes et armes : le pari municipal du Liban

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Au Liban, les élections municipales prévues pour le 4 mai 2025 s’annoncent comme un test démocratique sous tension. Ce scrutin, attendu dans toutes les régions du pays, intervient dans un contexte particulier : celui d’une pression internationale renforcée sur le dossier du désarmement des groupes armés, en particulier le Hezbollah, et d’un climat institutionnel encore marqué par la lenteur des réformes. La juxtaposition entre exercice électoral local et exigences sécuritaires globales soulève une question centrale : peut-on voter librement sous l’ombre des armes illégales ? À travers ce scrutin, c’est l’équilibre fragile entre représentativité, souveraineté et stabilité qui est mis à l’épreuve.

Un scrutin à forte portée symbolique

Les élections municipales représentent l’un des rares espaces où la population libanaise peut encore exercer un droit électoral effectif. Malgré les défis logistiques, les obstacles juridiques et les tentatives de manipulation, les scrutins locaux ont régulièrement mobilisé des électeurs issus de tous les horizons. En 2025, cette dimension prend une ampleur nouvelle. Les municipalités apparaissent désormais comme les derniers bastions de gestion efficace dans un État miné par la paralysie institutionnelle.

La campagne municipale actuelle est marquée par une montée en puissance des listes indépendantes, souvent issues de mouvements citoyens nés dans le sillage des manifestations de 2019. Ces candidats, peu soutenus par les formations traditionnelles, revendiquent une gouvernance locale transparente, dépolitisée, centrée sur les services de base et la planification urbaine. Ils trouvent un écho certain auprès d’une partie de l’électorat lassée des clientélismes partisans.

Pour autant, les partis traditionnels, bien que fragilisés, ne renoncent pas. Ils investissent massivement dans des listes consensuelles, parfois transcommunautaires, dans les régions mixtes comme Zahlé, Aley ou Tyr. Ils espèrent ainsi démontrer leur capacité de recomposition et leur aptitude à jouer un rôle de médiateur dans des contextes de cohabitation fragile.

Une campagne parasitée par la question du désarmement

Si le scrutin local porte sur des enjeux de voirie, d’eau potable ou de déchets, il est inévitablement happé par une problématique sécuritaire nationale : celle du désarmement des groupes non étatiques. L’armée libanaise, soutenue par des partenaires internationaux, multiplie les signaux en faveur d’un redéploiement plus étendu, notamment au Sud. Le président libanais a récemment affirmé que l’armée remplissait pleinement son rôle dans cette zone, tout en pointant les obstacles liés à l’occupation israélienne.

Dans les discours électoraux, la référence au désarmement est omniprésente, mais souvent codée. Les candidats évitent d’attaquer frontalement le Hezbollah, sauf dans certains bastions politiques spécifiques. La question se pose alors en termes de « souveraineté totale », de « contrôle de l’État sur l’ensemble du territoire », ou encore de « nécessité de respecter les résolutions internationales ».

Le dilemme est clair : comment organiser un scrutin libre dans des zones où certains groupes détiennent un pouvoir militaire autonome ? Comment garantir l’expression démocratique quand une partie de l’échiquier électoral s’inscrit dans une logique parallèle d’autorité ? Cette ambiguïté nourrit la méfiance de certains électeurs, en particulier dans les zones frontalières ou périurbaines.

La résolution 1701 comme toile de fond

Depuis 2006, la résolution 1701 des Nations unies constitue le cadre légal principal pour la gestion du Sud libanais. Elle appelle au déploiement de l’armée nationale, à la coopération avec la FINUL, et à l’interdiction de la présence d’armes autres que celles de l’État dans la zone concernée. Or, les rapports successifs de la mission onusienne pointent régulièrement des manquements à ces principes, liés à la présence de caches d’armes et à l’activité persistante de certains groupes armés.

En 2025, cette résolution redevient un levier de pression. Plusieurs partenaires internationaux du Liban conditionnent leur aide à des progrès mesurables sur sa mise en œuvre. Des diplomates évoquent la possibilité de durcir la position du Conseil de sécurité si les autorités libanaises ne démontrent pas leur volonté de reprendre le contrôle total du Sud.

Dans ce contexte, les élections municipales sont vues par certains comme une opportunité : élire des maires, des conseils locaux et des acteurs de terrain capables de coopérer avec l’armée, d’alerter sur les zones grises, et de contribuer à la remontée d’informations. D’autres, au contraire, redoutent que ce scrutin ne soit instrumentalisé pour marginaliser certains groupes ou imposer une lecture unilatérale de la souveraineté.

Vers un choc entre représentativité et souveraineté ?

Le cœur du problème réside dans la contradiction entre deux principes fondamentaux : le droit des citoyens à élire leurs représentants, et le devoir de l’État à garantir l’usage exclusif de la force. En théorie, ces deux logiques se renforcent mutuellement. En pratique, elles entrent souvent en conflit dans le contexte libanais.

Certaines municipalités, notamment dans la Békaa, la banlieue sud de Beyrouth ou le Sud, voient coexister une autorité élue et une autorité de fait, représentée par des partis dotés d’une capacité sécuritaire. Cette situation crée un flou juridique, mais aussi une asymétrie politique : les candidats indépendants peuvent difficilement faire campagne dans des zones où le terrain est contrôlé par des acteurs militarisés.

Les appels à une « souveraineté intégrale » se heurtent donc à la réalité du terrain. Pour sortir de cette impasse, plusieurs voix plaident pour une approche graduelle : renforcement des capacités municipales, développement d’une police locale formée par l’État, et création de mécanismes de concertation entre l’armée et les autorités locales.

Quelle issue après le scrutin ?

Au lendemain des élections, le véritable défi sera celui de l’intégration : comment articuler les résultats électoraux avec une politique nationale de sécurité ? Comment faire en sorte que les maires élus deviennent des partenaires de l’État et non des acteurs en concurrence avec lui ? Ces questions détermineront en grande partie la suite du processus politique libanais.

Le scrutin municipal de 2025 ne tranchera pas, à lui seul, la question du désarmement. Mais il peut en modifier les termes. En favorisant une montée en puissance d’élus ancrés localement, proches des populations, mais rattachés aux institutions centrales, il ouvre la voie à une redéfinition du contrat entre l’État et ses citoyens.

Dans cette optique, l’enjeu dépasse la simple arithmétique électorale. Il s’agit de tester une capacité collective à faire coexister pluralisme politique, paix civile et autorité républicaine. Si le scrutin se déroule dans des conditions acceptables, il renforcera la crédibilité de l’État. En cas d’incidents, de fraudes ou d’intimidations, il renforcera les arguments de ceux qui prônent la confrontation.

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