Tania Saleh: Croisement du chant, de poésie et du Street Art

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Figure 1 : photos prises sur le site officiel de Tania Saleh, Photomontage : Haytham Daezly

Les artistes peuvent-ils donner à leurs œuvres des qualités à la fois esthétiques et politiques ? Si on lui reconnaît un contenu politique, l’œuvre peut-elle réellement agir sur les réalités sociopolitiques ? Avec son nouvel album Intersection, Tania Saleh nous livre un album engagé et poétique, inspiré de différents poètes du monde arabe. Une nouvelle expérience audiovisuelle mêlant poésie, sons électroniques contemporains et graffiti. L’artiste visuelle nous invite à repenser ce monde cruel où règnent ignorance et racisme, corruption et injustice en revendiquant la laïcité et l’unité par sa voix.

À l’ère du numérique, l’œuvre prend une nouvelle dimension. L’avènement de pratiques artistiques dites in situ (Graffiti, Street Art) a replacé l’œuvre dans l’espace public et nourri la réflexion sur la politique de l’œuvre et son identité. La question de l’engagement ne peut donc plus ignorer les techniques et les médiums utilisés.

Les artistes sont des acteurs sociaux profondément influencés par le contexte culturel, social et politique dans lequel ils s’insèrent ; le sens de la figure militante de l’artiste engagé se plaît manifestement toujours à convoquer une rhétorique guerrière. La métaphore de la « résistance » ayant désormais supplanté celle de l’« avant-garde », pour proclamer la liberté souveraine et inaliénable de l’art et manifester sa mission subversive. Qu’est-ce que donc que cette « résistance culturelle » qui, aujourd’hui, légitime et donne ses lettres de noblesse aux actions d’artistes qui revendiquent une fonction politique, ou qu’on qualifie, parfois à leurs corps défendant, de politiques, dans nos sociétés postmodernes et postindustrielles où, pour faire bref, la censure d’État a largement fait place aux lois du marché ? Il est évident que les artistes comme Tania Saleh qui vivent sous des régimes où la censure d’État se pratique ouvertement, et où des individus sont emprisonnés pour leurs idées, ont besoin de militer à travers le chant et l’illustration comme moyen d’expression. Ses peintures murales expriment l’essence de la poésie intemporelle qu’elle a choisie et reflètent la situation dans les rues arabes aujourd’hui.

Les chansons « engagées » de Tania Saleh sont perçues comme le résultat naturel de la vie au sein de la société libanaise, des outils de critiques sincères et directes mais douces. Elle est inscrite dans un courant préexistant en évolution. Le terme « alternatif » désigne ce mélange d’instruments orientaux et occidentaux dans la recherche d’une manière appropriée.

Ce choix du genre musical contient en lui-même un autre message. La recherche de valeurs sociétales « alternatives » vient se dénuer au niveau des genres musicaux qualifiés aussi d’« alternatifs ». Du rap, au hip-hop, à la musique alternative, les artistes libanais ne renoncent pas à leur identité arabe, mais la réintègrent dans leurs musiques à travers les instruments musicaux orientaux. Ils créent et s’approprient un nouveau genre emblématique de la mondialisation, de l’individualisation et des aspirations des peuples arabes.

Des débuts marquants couronnés par sa rencontre avec l’interprète et le compositeur Ziad Rhabani en tant qu’actrice et vocaliste, Tania Saleh est considérée comme le successeur de Sayed Darwich et des frères Rahbani sur la scène musicale libanaise et arabe, une tendance qui ne gêne pas notre actrice de terrain rendant hommage à ces artistes et soulignant leur grande influence sur son art. Son nom est associé aussi à ceux des grands artistes internationaux tels que Charlotte Caffey, Jack Blades, Steven Las et Miles Copeland et des grands artistes libanais à reconnaissance internationale tels que Issam Al Haj Ali, Charbel Rouhana, Philippe Tohme, Khaled Mouzannar et Nadine Labaki. Ses sonorités sont un mélange de rock, de funk et de folk américain, mêlées aux beats orientaux et laissent souvent la place aux mots. Néanmoins, la chanteuse ne se considère pas toujours engagée mais elle conserve sa face alternative unique en traitant des sujets de la vie, allant de l’amour à l’abandon, passant par l’environnement et la société dans laquelle elle vit.

Dans leur part « engagée » les chansons de Tania Saleh font appel à la cohabitation entre les religions. Elles renoncent au confessionnalisme, et soulignent la nécessité de la coexistence entre Sunnites et Chiites et l’impossibilité de survie de l’un au détriment de l’autre.

Pour conclure, la scène culturelle libanaise joue un rôle dans l’éveil de la conscience politique. Ainsi, l’art devient un porte-parole de la protestation de cette créativité bouillonnante. Ces nouveaux territoires de l’art, où technologies numériques, chant et peinture constituent plus qu’une ressource, un véritable objet d’exploration et de création.

Haytham DAEZLY
Haytham Daezly, originaire de Tripoli-Liban, vit et travaille à Paris. Il est Docteur en Sciences de l'information et de la communication, directeur artistique en publicité, artiste visuel et actuellement médiateur culturel à Paris. Il est l'auteur de : « L’essor de la culture virtuelle au Liban, entre effervescence numérique et instabilité politique : réseaux sociaux, musique en ligne et sites institutionnels ». Mots-clés : #art #culture #médiation #numérique #TIC #Liban Pour avoir une ample idée sur son parcours professionnel et artistique, vous pouvez consulter ses pages en ligne : Lien thèse : http://theses.fr/2016LIMO0062 Lien blog : http://haythamdaezly.tumblr.com/

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