Pour des milliers de Libanais aspirant à un avenir meilleur en Europe ou aux États-Unis, obtenir un visa est devenu une épreuve presque insurmontable, marquée par des délais interminables et des exigences draconiennes. « Les délais pour obtenir un visa Schengen ou américain se sont allongés, atteignant parfois plus d’un an. Les conditions se sont durcies, obligeant de nombreux candidats à l’émigration à renoncer à leurs projets », rapporte un journal régional. Ces restrictions, alimentées par les craintes d’une crise migratoire en Occident, bloquent les espoirs d’une population écrasée par la crise au Liban, incitant certains à emprunter des voies illégales au péril de leur vie.
Des délais qui paralysent les projets
Avant la crise économique de 2019, les Libanais pouvaient encore envisager une émigration légale vers l’Europe ou les États-Unis avec une certaine fluidité, surtout s’ils disposaient de ressources financières ou de réseaux familiaux. Aujourd’hui, les délais d’obtention d’un visa Schengen – donnant accès à 27 pays européens – ou d’un visa américain se sont étirés de manière dramatique. « Atteignant parfois plus d’un an », ces attentes interminables sont le fruit d’une surcharge des consulats, d’une réduction des créneaux d’entretien et d’une suspicion accrue envers les demandeurs issus d’un pays en plein chaos. À Beyrouth, décrocher un rendez-vous au centre VFS Global ou à l’ambassade américaine relève du miracle, les créneaux s’épuisant en minutes et les dates proposées repoussant souvent les espoirs à l’année suivante.
Les conditions d’obtention, elles, sont devenues quasi inaccessibles. Pour un visa Schengen, les ambassades exigent des preuves de stabilité financière – comptes bancaires bien garnis en devises fortes, contrats de travail solides – dans un pays où les dépôts bancaires sont gelés depuis 2019 et où l’inflation a atteint 200 % en 2023, selon les statistiques officielles. Aux États-Unis, les entretiens consulaires, obligatoires pour la plupart des demandeurs, se soldent fréquemment par des refus sous prétexte que le candidat ne prouve pas suffisamment son intention de retour, un critère difficile à remplir quand le Liban offre peu de perspectives. « Les conditions se sont durcies », transformant ces visas en un luxe réservé à une élite, loin de la réalité de la majorité des Libanais.
Une jeunesse sans horizon
Cette fermeture des voies légales frappe de plein fouet une population désespérée par la crise économique et politique. Avec une livre dévaluée de plus de 98 %, un chômage des jeunes dépassant 40 % (Organisation internationale du travail, 2023) et 80 % des habitants sous le seuil de pauvreté (ONU), l’émigration est perçue comme une issue vitale. Étudiants rêvant d’universités étrangères, professionnels cherchant des emplois stables ou familles espérant rejoindre des proches : tous se heurtent à ces murs bureaucratiques. « De nombreux candidats à l’émigration renoncent à leurs projets », un abandon qui reflète autant l’épuisement que l’impossibilité de répondre aux exigences imposées.
Le processus lui-même est kafkaïen. Prendre un rendez-vous en ligne, première étape, est entravé par des coupures d’électricité pouvant atteindre 22 heures par jour, rendant les connexions internet aléatoires. Une fois obtenu, l’entretien exige des documents – extraits bancaires, titres de propriété – que beaucoup ne peuvent produire, leurs économies étant bloquées ou dévaluées. Les refus, souvent motivés par des soupçons d’intention d’immigration illégale, sont d’autant plus fréquents que les consulats, sous pression internationale, adoptent une approche restrictive envers les ressortissants d’un pays jugé instable.
Restrictions migratoires : une réponse à l’Occident
Ces difficultés s’inscrivent dans un contexte de durcissement des politiques migratoires en Europe et aux États-Unis. En Europe, la crainte d’une crise migratoire, exacerbée par les conflits au Moyen-Orient et l’effondrement du Liban, a poussé plusieurs pays à renforcer leurs filtres. La France, l’Allemagne et l’Italie, principales destinations des Libanais pour le visa Schengen, affichent des taux de rejet en hausse – 16,6 % pour la France en 2023, selon les données européennes. Les États-Unis, quant à eux, maintiennent une vigilance stricte depuis les attentats du 11 septembre 2001, renforcée par la classification du Liban comme un pays à risque sécuritaire en raison de l’influence du Hezbollah et de l’instabilité régionale.
Ce resserrement répond aussi à des dynamiques internes. L’afflux de réfugiés syriens au Liban – environ 1,5 million en 2023 – et les tensions sociales qu’il a générées ont alimenté les craintes en Occident d’un débordement migratoire. Les Libanais, bien que distincts des flux syriens, sont perçus à travers ce prisme, leurs demandes de visas étant scrutées avec une méfiance croissante. Cette politique, bien que compréhensible du point de vue occidental, ignore la détresse d’une population qui ne cherche pas à « envahir », mais à survivre.
Vers des chemins illégaux et dangereux
Face à ces portes fermées, certains Libanais se tournent vers des alternatives périlleuses. « Cette situation pousse certains à emprunter des voies illégales pour quitter le pays », augmentant les risques d’exploitation et d’abus. Les filières de passeurs, actives le long des côtes libanaises, proposent des traversées clandestines vers Chypre ou la Turquie, portes d’entrée vers l’Europe, pour des sommes exorbitantes – souvent 5 000 à 10 000 dollars par personne. Ces voyages, effectués sur des embarcations surchargées, ont déjà coûté la vie à des dizaines de Libanais : en décembre 2022, un naufrage au large de Tripoli a tué plus de 90 personnes, un drame qui illustre les dangers de ces routes.
Sur terre, d’autres tentent de passer par la Syrie ou la Turquie, utilisant des visas temporaires ou des faux papiers pour atteindre les frontières européennes. Ces trajets les exposent à des réseaux de trafic humain, où l’exploitation – travail forcé, abus sexuels – est monnaie courante. « Augmentant ainsi les risques d’exploitation et d’abus », cette dérive est une conséquence directe de l’absence de voies légales viables, transformant un droit fondamental à la mobilité en une quête désespérée et risquée.
Un exil entravé, une crise amplifiée
L’élection de Joseph Aoun à la présidence le 9 janvier 2025, après plus de deux ans de vacance, n’a pas encore inversé cette tendance. Bien que soutenu par Washington et Riyad, avec un déblocage de 95 millions de dollars pour l’armée libanaise, aucune initiative n’a émergé pour faciliter l’émigration légale ou redonner espoir à ceux qui restent. Plus de 400 000 Libanais, majoritairement jeunes, ont quitté le pays depuis 2019, selon Information International, mais pour ceux qui ne peuvent ni partir ni rester, le rêve d’un visa reste une chimère dans un Liban au bord du gouffre.