Une rencontre au sommet à Damas pour relancer les relations bilatérales
Le Premier ministre libanais Nawaf Salam s’est rendu ce lundi à Damas, marquant ainsi un tournant majeur dans les relations entre le Liban et la Syrie. Il s’agit de la première visite officielle d’un haut responsable libanais dans la capitale syrienne depuis la formation du nouveau gouvernement à Beyrouth en février.
Accompagné d’une importante délégation ministérielle comprenant les ministres des Affaires étrangères, de la Défense et de l’Intérieur, Nawaf Salam a été accueilli par le président syrien par intérim, Ahmad al-Sharaa. Le ministre syrien de la Défense, Asaad al-Shaibani, a également pris part à la rencontre, soulignant l’importance stratégique des échanges en cours.
Cette visite survient dans un contexte de profondes mutations politiques au Proche-Orient. Deux mois auparavant, une alliance dirigée par des islamistes avait renversé l’ancien président syrien Bachar al-Assad, mettant ainsi un terme à plusieurs décennies d’autorité familiale sur la Syrie et d’influence directe sur le Liban.
Les priorités libanaises : sécurité, économie et souveraineté
Selon des sources gouvernementales libanaises, la visite de Nawaf Salam vise à traiter une série de dossiers sensibles qui empoisonnent les relations entre les deux pays depuis de nombreuses années.
Parmi les priorités évoquées figurent :
- La question des disparus dans les prisons syriennes, une plaie toujours ouverte pour de nombreuses familles libanaises.
- La révision des accords bilatéraux, certains d’entre eux datant d’une époque marquée par la domination syrienne sur le Liban.
- La fermeture des points de passage de contrebande, essentiels pour rétablir l’ordre sur une frontière poreuse de 330 kilomètres.
- La suppression du Conseil syro-libanais, un organe hérité du passé que Beyrouth souhaite désormais dissoudre.
- La facilitation du transit des marchandises libanaises vers les pays arabes, indispensable pour relancer l’économie d’un Liban en pleine crise.
- Le sort des réfugiés syriens au Liban, alors que le pays héberge environ 1,5 million de Syriens selon les autorités locales, ou 750 000 selon l’ONU.
Les deux parties ont également convenu de la formation de comités spéciaux chargés d’examiner chacun de ces dossiers pour proposer des solutions concrètes.
Le retour du dialogue institutionnel après des années de rupture
Le déplacement de Nawaf Salam à Damas est d’autant plus symbolique qu’il intervient après une longue période de refroidissement diplomatique. L’ancien Premier ministre Najib Mikati avait déjà amorcé un rapprochement en janvier, lors de sa rencontre avec Ahmad al-Sharaa. Il s’agissait alors de la première visite d’un chef de gouvernement libanais en Syrie depuis le début de la guerre civile syrienne.
La dynamique actuelle semble traduire une volonté commune de « corriger la trajectoire des relations entre les deux pays sur la base du respect mutuel », comme l’a confié un responsable libanais sous couvert d’anonymat.
Ce rapprochement s’inscrit dans un contexte marqué par la chute du régime Assad, ancien allié incontournable de plusieurs factions politiques libanaises, mais aussi accusé d’avoir orchestré des assassinats politiques au Liban. Le Liban compte désormais sur la coopération des nouvelles autorités syriennes pour lever les obstacles à la normalisation des relations bilatérales.
Les disparus et les assassinats politiques : des dossiers brûlants
Parmi les questions les plus sensibles abordées lors de cette visite figure celle des personnes disparues dans les geôles syriennes. Nawaf Salam a expressément indiqué qu’il soulèverait le cas des Libanais détenus et portés disparus dans les prisons syriennes tristement célèbres sous le règne d’Assad.
En outre, le Premier ministre libanais prévoit d’aborder la création d’une commission d’enquête sur les nombreux assassinats politiques qui ont marqué l’histoire récente du Liban. Le précédent régime syrien est directement mis en cause dans plusieurs de ces affaires.
Cette démarche vise à faire la lumière sur des décennies de violences politiques qui ont fragilisé le Liban, tout en répondant aux attentes de justice exprimées par une large partie de la population.
Sécurisation des frontières et lutte contre la contrebande
Autre dossier prioritaire : le contrôle et la délimitation de la frontière libano-syrienne. Longue de 330 kilomètres, cette frontière reste extrêmement poreuse, facilitant la contrebande de biens et de personnes.
Le mois dernier, lors d’une visite en Arabie Saoudite, les ministres de la Défense libanais et syrien avaient signé un accord de coopération destiné à renforcer la sécurité le long de cette ligne sensible, après des affrontements ayant causé la mort de dix personnes.
Cette coopération sécuritaire constitue un pas important vers une gestion plus efficace des flux frontaliers, avec l’objectif clair de mettre un terme aux trafics illicites qui alimentent l’instabilité régionale.
Le dossier des réfugiés syriens, un enjeu national majeur pour le Liban
Le Liban accueille aujourd’hui un nombre considérable de réfugiés syriens ayant fui la guerre dans leur pays depuis 2011. Les autorités libanaises estiment à environ 1,5 million le nombre de réfugiés présents sur leur sol, tandis que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en recense officiellement près de 750 000.
Ce dossier est particulièrement sensible pour un pays déjà confronté à une grave crise économique et sociale. Nawaf Salam prévoit ainsi d’évoquer avec ses homologues syriens les conditions d’un éventuel retour des réfugiés vers la Syrie, dans le respect de la sécurité et de la dignité des personnes concernées.
Le Premier ministre libanais cherche à obtenir des garanties claires de la part des autorités syriennes, afin de faciliter un processus de retour progressif et sécurisé des réfugiés, enjeu vital pour l’équilibre démographique et économique du Liban.
Des perspectives prudentes pour la suite du dialogue syro-libanais
La formation de comités conjoints pour étudier les différents dossiers marque une volonté d’approfondir le dialogue et de dépasser les différends historiques.
Ces comités auront pour mission d’examiner en détail chacun des sujets de friction, d’élaborer des recommandations et de proposer des solutions pragmatiques acceptables par les deux parties.
Cette approche technique, privilégiant des solutions concrètes aux discours politiques généraux, témoigne d’un changement de méthode qui pourrait porter ses fruits à moyen terme.
La déclaration du président intérimaire syrien Ahmad al-Sharaa en décembre, selon laquelle la Syrie « n’interférera pas négativement au Liban et respectera la souveraineté de son voisin », semble ouvrir la voie à une coopération renouvelée, basée sur des principes de respect mutuel.