mercredi, avril 30, 2025

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Affaire Salamé : une banque genevoise épinglée par la presse suisse pour ses manquements anti-blanchiment

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L’affaire Riad Salamé, ancien gouverneur de la Banque centrale du Liban (BDL), secoue le monde financier international, et c’est la presse suisse qui met en lumière les défaillances d’HSBC Private Bank (Suisse) dans ce scandale retentissant. Poursuivi dans une dizaine de pays, dont la Suisse, Riad Salamé est soupçonné, avec son frère Raja, d’avoir détourné des centaines de millions de dollars au détriment de la BDL entre 1993 et 2023. Selon des documents judiciaires inédits dévoilés par la presse helvétique, notamment Public Eye, la grande banque genevoise a hébergé ces fonds douteux pendant plus de dix ans, ignorant des alertes internes répétées avant de signaler le cas au Bureau anti-blanchiment suisse (MROS) en août 2020. Une révélation qui expose les lacunes du système suisse de lutte contre le blanchiment d’argent.

Le 24 juin 2024, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) a discrètement annoncé que HSBC Private Bank (Suisse) avait « gravement manqué à ses obligations » en matière de prévention du blanchiment, en lien avec deux personnes politiquement exposées – une allusion claire aux frères Salamé. La sanction ? Une interdiction temporaire d’ouvrir de nouvelles relations avec des clients à haut risque, accompagnée d’une obligation de réviser toutes les relations existantes de ce type et de clarifier les responsabilités au sein de son conseil d’administration et de sa direction. Pourtant, aucune amende ni poursuite pénale n’a été prononcée contre la banque, un traitement jugé clément au vu des faits mis au jour par la presse suisse.

Des fonds douteux sous le radar genevois

Entre avril 2002 et mars 2015, près de 330 millions de dollars issus de la BDL ont transité par HSBC Private Bank (Suisse) sur le compte de Forry Associates, une société offshore enregistrée à Tortola, dans les îles Vierges britanniques, dont Raja Salamé est l’ayant droit économique. Ces fonds, transférés en plus de 300 opérations, auraient permis, entre autres, l’achat de deux immeubles de bureaux au bord du lac Léman, liés à Riad Salamé. Au Liban, où une crise économique ravage le pays depuis 2019, ce scandale, révélé à l’international en 2021, incarne la corruption d’une élite accusée d’avoir précipité la nation dans la ruine.

Les enquêtes menées en Suisse, en France et au Liban ont permis à la presse suisse de mettre la main sur des documents accablants. Public Eye, en particulier, a révélé que HSBC a ouvert le compte de Forry Associates en décembre 2001 via le cabinet panaméen Mossack Fonseca, impliqué dans les Panama Papers. Raja Salamé, frère du gouverneur de la BDL, a déclaré lors d’une audition en France en 2021 avoir demandé à HSBC Genève de créer cette société grâce à ses contacts dans l’établissement. Classé dès son arrivée comme client « SCC » (Special Categories of Clients) en raison de ses liens familiaux avec une figure politiquement exposée, il n’a été désigné « PEP Associate » – catégorie à risque maximal – qu’en 2013, soit plus d’une décennie après le début des opérations.

Un compte au fonctionnement suspect

Le compte de Forry Associates affichait des signaux inhabituels dès sa création. Sans bureau ni personnel, cette offshore déclarait un chiffre d’affaires annuel moyen de 25 millions de dollars, attribué à des « frais et commissions » versés par la BDL pour la commercialisation de bons du Trésor et d’Eurobonds auprès d’intermédiaires financiers libanais. Les flux financiers étaient intenses : sur les 330 millions de dollars reçus à Genève, 207 millions ont été renvoyés au Liban sur des comptes personnels de Raja Salamé dans quatre banques locales, sous le motif flou de « dépenses personnelles ». Par ailleurs, des sommes importantes – 26 millions de dollars, 9,2 millions d’euros et 5,3 millions de francs suisses – ont alimenté des sociétés en Suisse et à l’étranger, contrôlées par Riad Salamé, pour des investissements immobiliers et mobiliers.

Dès 2006, des alertes internes ont émergé au sein de HSBC. Entre juin et septembre de cette année, cinq virements totalisant plus de 8 millions de dollars, provenant de la BDL et libellés « Central Board Resolution/Fees & Commissions », ont interpellé le service de conformité. Le banquier responsable, un cadre influent, a répondu dans un courriel : « Nous sommes confortables ». Il a justifié ces transactions par le passé de Raja Salamé à la Republic National Bank of New York à Beyrouth (rachetée par HSBC en 1999) et son rôle de consultant via Forry Associates, ajoutant avoir constaté, lors de visites au Liban, les investissements immobiliers de son client.

La presse suisse dévoile une inertie coupable

Fin 2007, le dossier est soumis au Due Dilligence Committee (DDC), un organe interne chargé d’examiner les clients sensibles. HSBC exige alors une « résolution » de la BDL pour légitimer ces transferts, s’appuyant sur un contrat de courtage de 2002 signé par Riad Salamé. Mais ce n’est qu’en 2009, après un rappel d’un employé de la conformité, qu’un message Swift de la BDL confirme ces paiements, sans mentionner les liens avec Raja Salamé. Ce document apaise le DDC, le banquier de Raja arguant qu’il serait « inapproprié » de demander plus à la BDL.

Entre 2006 et 2013, la presse suisse, via Public Eye, a recensé une vingtaine de demandes de clarification internes sur des transferts suspects, comme ceux vers West Lake Commercial Inc., une offshore panaméenne liée à Riad Salamé, qui a reçu plus de 7 millions de dollars. Chaque fois, des justifications ont permis de maintenir le compte. En 2013, face à un volume de transactions jugé « extraordinaire », le Financial Crime Compliance (FCC) classe Raja comme « PEP Associate », mais aucune mesure significative n’est prise.

Une réaction tardive sous pression

En 2015, les alertes internes deviennent un risque réputationnel. La Financial Intelligence Unit (FIU) et le FCC scrutent Forry Associates, exhumant un câble américain de 2007 (publié par Wikileaks en 2011) évoquant des commissions perçues par Raja dans les années 90 sous la supervision de Riad. Des incohérences dans la propriété de Forry Associates émergent également. En juillet 2015, une version actualisée du contrat BDL-Forry est fournie, mais elle présente des anomalies : l’adresse passe de Genève à Beyrouth, et Raja y figure comme directeur général, un rôle jusque-là inconnu.

En mars 2016, le FCC recommande la fermeture du compte, entérinée en avril par le Comité des risques réputationnels. Aucun signalement n’est toutefois fait au MROS, malgré l’obligation légale. Ce n’est qu’en août 2020, après des révélations de la presse suisse et internationale (OCCRP et Daraj) sur les agissements des Salamé, que HSBC informe le MROS de trois comptes : ceux de Forry Associates et Raja Salamé (fermés en 2016) et celui de Naranore Limited, lié à Riad Salamé, ouvert en 2003.

Une plainte libanaise en vue

L’affaire pourrait prendre une nouvelle tournure. En janvier 2025, l’État libanais aurait déposé une plainte pénale en Suisse contre les frères Salamé et toute partie impliquée, y compris HSBC, selon des informations relayées par la presse suisse, bien que le Ministère public de la Confédération n’ait pas encore confirmé. Si avérée, cette plainte viserait des dédommagements pour les fonds détournés. HSBC, contactée, affirme prendre « très au sérieux » ses obligations anti-blanchiment, sans commenter davantage.

Ces révélations, portées par la presse suisse, exposent les failles d’un système dépendant de l’autodiscipline des banques. Pendant des années, HSBC Private Bank (Suisse) a laissé circuler des fonds suspects, au détriment du Liban en crise. Reste à savoir si la justice ira plus loin dans ce dossier brûlant.

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Newsdesk Libnanews
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