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Appel à la sauvegarde de notre Patrimoine mémoire : Les tombeaux de Chekri et Halil GANEM en France

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Monsieur le Président de la République, le Général Joseph Aoun,

Je m’adresse à vous, de France, en tant que franco-libanaise et éditrice du livre « Chekri Ganem : œuvres retrouvées », paru aux éditions Milelli (en octobre 2024) en hommage à un pionnier incontournable de notre histoire littéraire francophone et politique du Liban moderne, un symbole contre l’amnésie.

« Nous marchons tous sous l’épée de l’oubli et l’ingratitude des hommes ; sur le rythme du temps qui efface nos actions. Et pourtant, certains, comme les frères Chekri et Halil (Khalil) Ganem, ont su marquer l’histoire politique et littéraire du Liban. Ces deux hommes, chacun dans son domaine, ont porté haut les couleurs de l’engagement, de la résistance et de la culture libanaise, contribuant à sa naissance au creuset de l’Empire ottoman, dans la lumière tamisée de l’exil, des luttes politiques et des gloires littéraires. » (Michel Edmond Ghanem, 13 mai 2025, https://www.lorientlejour.com/article/1460042/chekri-et-halil-ganem-les-tombes-parisiennes-oubliees-dun-liban-abandonne.html) 

Monsieur le Président,

Il est des questions qui méritent réflexion et d’autres qui exigent action et réaction ; tel est le cas avec les tombeaux de Chekri Ganem (1861 – 1929) et son frère ainé, Halil Ganem (1846 – 1903), les oubliés de notre mémoire et notre histoire.  

« Ces hommes ne sont pas seulement des figures du passé : ils sont l’essence même de ce que nous sommes, de ce que nous avons été, et de ce que nous pourrions être. Ne les laissons pas s’effacer. » (Michel Edmond GHANEM, 16 mai 2025, https://www.agendaculturel.com/articles/chekri-et-halil-ganem-entre-oubli-et-memoire)

Permettez-moi de m’exprimer publiquement et de solliciter votre attention ainsi que celle des autorités compétentes afin de préserver la mémoire de nos aînés qui ont joué un rôle non négligeable dans la francophonie et l’indépendance du Liban.

« Les tombes parisiennes des Ganem sont abandonnées à leur sort, comme si ces hommes, leurs combats et leurs idées n’avaient jamais existé. »

Deux concessions funéraires, monuments historiques en région parisienne, où ces deux personnes ont été inhumées : Chekri Ganem enterré aux Batignolles 26ème division, ligne 16, tombe 11 et Halil Ganem enterré à Montparnasse, 10ème division, ligne 3S, tombe 46E) risquent de disparaître.

Tombe de Halil Ganem à Montparnasse -Paris 15

Cela me semble une cause qui mériterait votre intérêt en dépit de toutes vos préoccupations nationales, urgentes et prioritaires.

Si la contribution des frères Chekri et Halil Ganem à la littérature libanaise d’expression française et leur engagement politique ont été longtemps délaissés voire annihilés dans notre mémoire collective et notre histoire, celle du Liban, il est temps aujourd’hui de leur rendre hommage en sauvant leurs tombeaux.

« Le silence des pierres n’est que le reflet de notre indifférence collective. Comment pouvons-nous prétendre honorer ceux qui ont sacrifié leur vie pour notre liberté, lorsque nous laissons leurs sépultures se décomposer dans l’indifférence ? » (Michel Edmond Ghanem, https://www.lorientlejour.com/article/1460042/chekri-et-halil-ganem-les-tombes-parisiennes-oubliees-dun-liban-abandonne.html)

Décédés sans descendance directe, leur arrière petit neveu, Michel Edmond Ghanem auteur du livre cité ci-dessus et descendant indirect, est seul à se battre pour la sauvegarde de ces deux sépultures respectives (son arrière-grand-père, Elias, est le frère de Chekri, Halil et Abdallah).

Suite à son courriel adressé au service des cimetières de la ville de Paris (le 2 décembre 2024) pour faire valoir ses droits sur ces deux concessions, Michel Edmond Ghanem s’est vu refuser ce droit dans l’attente de leur transmettre les documents d’état civils ou notariés apportant la preuve de ses « liens de filiation » ou de sa « qualité d’héritier » (réponse de la ville de Paris en date du 22 janvier 2025).

Aux yeux de cette administration, les documents présentés ne permettraient pas d’établir sa qualité d’héritier vis-à vis de l’un ou de l’autre des concessionnaires : « La preuve de l’absence de descendant et de la qualité d’héritier doit être apportée au moyen d’une déclaration de succession, d’un acte de succession ou bien d’une notoriété. Un livret de famille est insuffisant à cet effet […] Il conviendra d’apporter également les documents d’état civil […] prouvant votre lien de filiation avec lui. »

Ces tombes pourraient disparaître si nous ne faisons rien.

Monsieur le Président,

Vue l’urgence de la situation et s’agissant de notre héritage culturel commun, français et libanais (surtout pour nous résidants en France), je vous sollicite afin de nous aider à sauvegarder la mémoire de nos aînés.

Qui de nos jours se souvient encore de Chekri et Halil Ganem ? Qui sont-ils et pourquoi l’objet de mon appel solennel ? La caserne de l’armée Libanaise abritant l’Ecole Militaire et une rue à Beyrouth portent le nom de Ghekri Ganem. A part ça, rien d’autre.

Pour mémoire, Chekri Ganem (1861-1929), né à Beyrouth, a fait ses études aux collège Saint-Joseph d’Antoura où il écrit ses premiers vers. Il quitte sa terre natale en 1882 et entreprend de nombreux voyages en Egypte, en Suisse et en Autriche. Il jette l’ancre en Tunisie où il occupe un poste d’interprète et d’archiviste au gouvernement tunisien.

Chekri Ganem, collection Philippe Jabre

En 1895, il rejoint son frère Halil (Khalil) en France où il travaille comme journaliste et publie plusieurs ouvrages littéraires : Fou d’amour (1894), Ronces et Fleurs (1896), Ouarda ou fleur d’amour et Un quart d’heure des Mille et Une Nuits (1904), Da’ad (1908), ainsi que plusieurs pièces de théâtre en 1908 et 1911 : Tamerlan, Les Ailes (aujourd’hui introuvables) et La Giaour (L’Infidèle). Antar, son chef-d’œuvre, fut produit à l’Odéon en 1910 puis mis en musique à l’Opéra de Paris par Gabriel Dupont.

Journaliste, poète, dramaturge et homme politique, il peut être tenu à la fois pour le père de la littérature libanaise d’expression française et l’un des principaux militants pour la libération du Liban du joug ottoman.

Le rayonnement politique de Chekri Ganem ne fut pas moins glorieux que son rayonnement littéraire :  il fonde et préside plusieurs comités à Paris, notamment le Comité Libanais de Paris (1912) qui vise la réforme du règlement du Mont-Liban en vue d’une autonomie effective.

Vice-président, en 1913, du premier Congrès arabe syrien à Paris et fondateur de plusieurs revues telles al-Moustakbal et Correspondance d’Orient.

Pendant la première guerre mondiale, il milite activement pour l’émancipation de son pays natal, le Liban, de la domination ottomane et prononce en 1919, à la Conférence de la Paix à Paris, une allocution au nom du Comité Central Syrien qu’il préside. Il se rallie à la cause de l’indépendance libanaise et œuvre pour la réintégration de Beyrouth, Tripoli et la Békaa dans l’État du Grand Liban.

En 1921, il se retire de la vie publique dans sa villa d’Antibes, « La Libanaise », où il meurt le 2 mai 1929.

Quant à Halil Ganem (1846-1903), le frère aîné de Chekri, né en 1846 à Beyrouth, il fut un homme aux multiples visages. Il a fait ses études au collège Saint-Joseph d’Antoura avant de commencer une carrière de fonctionnaire comme drogman aux vilayets de Beyrouth et de Damas, puis chef de cabinet du grand vizir à Istanbul. À ce titre, il fut l’un des rédacteurs de la Constitution ottomane de 1876 aux côtés de Midhat Pacha.

Halil Ganem

Élu ensuite député de Beyrouth au Meclis-i-Mebusan, le premier Parlement ottoman, en 1877, il se distingua par son éloquence et l’habileté de ses prises de parole et s’établit rapidement comme un des principaux meneurs de l’opposition dans la chambre.

Après la suspension de celle-ci par le sultan Abdul Hamid II, il fit partie des dix députés qui furent éloignés de la capitale ottomane. Il s’exila d’abord à Genève, puis à Paris, où il débuta une intense activité comme journaliste et éditeur et devint au cours des années un homme fortement respecté de la société parisienne et très écouté au sujet des affaires d’Orient par des hommes politiques français tels que Gambetta.

Quand le sultan tenta de le faire taire à travers le procès du Mechveret, Georges Clemenceau lui-même vint témoigner à la barre. Opposant notoire à Abdul Hamid II et membre fondateur du Mouvement des Jeunes-Turcs, il s’est trouvé au centre des événements historiques et des débats intellectuels et politiques entre Istanbul et Paris à la fin du XIXe siècle.

En plus de son abondante contribution journalistique, il est l’auteur d’un essai pionnier en socio-économie (en langue arabe, publié en 1877) et de plusieurs essais historiques : L’Éducation des princes ottomans (publié en 1895) et deux volumes intitulés Les Sultans ottomans (publiés en 1901). Il est également l’auteur d’un recueil de poèmes Le Christ (publié en 1902).

Cette haute figure intellectuelle et politique a vécu une vie révélatrice des tensions et des limites de la modernité telle qu’elle a été vécue par l’élite intellectuelle orientale du XIXe siècle.

Sa disparition prématurée en 1903 à Paris a privé le Mouvement des Jeunes-Turcs de l’une de ses rares figures éminentes non turque. Aurait-il pu éviter les dérives qu’a connues le mouvement des Jeunes-Turcs après sa prise du pouvoir en 1908 et qui ont précipité l’Empire ottoman à sa fin ? L’histoire ne nous le dira pas.

Monsieur le Président,

Au nom de l’amitié franco-libanaise, de la francophonie et ces liens historiques qui lient nos deux pays, une intervention solennelle de l’Etat Libanais, auprès des autorités françaises, pourrait préserver ces lieux de mémoire afin de sauvegarder notre héritage collectif.

Si le temps a fait que ces frères Ganem soient oubliés par les Libanais, n’effaçons pas, à jamais, leur mémoire. Voilà aujourd’hui que la pierre nous appelle à leur souvenir comme dernier message et nous invite à réagir en leur rendant hommage.

C’est aussi un symbole pour nous autres libanais vivant loin de notre terre natale et qui, pour une bonne majorité, ne pourront pas faire leur dernier voyage et se faire enterrés dans leur terre de miel et de lait.  

Nous sommes et resterons ces cèdres du Liban éparpillés dans le monde dont le cœur reste noué à ses racines et dont la plume de certains pourrait faire écho à notre nostalgie et notre attachement au pays.

Jinane Chaker-Sultani Milelli

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Jinane Chaker Sultani Milelli
Jinane Chaker Sultani Milelli
Jinane Chaker-Sultani Milelli est une éditrice et auteur franco-libanaise. Née à Beyrouth, Jinane Chaker-Sultani Milelli a fait ses études supérieures en France. Sociologue de formation [pédagogie et sciences de l’éducation] et titulaire d’un doctorat PHD [janvier 1990], en Anthropologie, Ethnologie politique et Sciences des Religions, elle s’oriente vers le management stratégique des ressources humaines [diplôme d’ingénieur et doctorat 3e cycle en 1994] puis s’affirme dans la méthodologie de prise de décision en management par construction de projet [1998].