Un poste stratégique au cœur d’enjeux nationaux et internationaux
La nomination du prochain gouverneur de la Banque du Liban (BDL) s’impose comme un enjeu central de la restructuration financière du pays. Après des années de crise économique, marquées par l’effondrement de la livre libanaise et les scandales liés à la gestion de Riad Salamé, la désignation de son successeur revêt une importance capitale pour l’avenir monétaire et économique du Liban.
D’après Al Akhbar (25 février 2025), trois candidats principaux émergent pour prendre la tête de l’institution, chacun bénéficiant d’un soutien différent selon les puissances internationales impliquées dans le dossier. Washington, Riyad, Paris et d’autres acteurs tentent d’influencer cette nomination afin d’assurer que le prochain gouverneur adopte une ligne économique conforme à leurs intérêts géopolitiques.
Avec la pression du Fonds monétaire international (FMI), qui conditionne son aide à des réformes profondes, et les attentes des pays du Golfe, qui lient leur soutien financier à des changements structurels, la nomination du gouverneur de la BDL ne sera pas qu’une décision technocratique, mais bien une bataille politique aux répercussions économiques majeures.
Jihad Azour : le candidat soutenu par Washington et les institutions financières internationales
Ancien ministre des Finances et actuel directeur du FMI pour le Moyen-Orient et l’Asie centrale, Jihad Azourfigure parmi les favoris pour prendre la tête de la Banque du Liban. Son profil technocratique et son expérience au sein du FMI font de lui un candidat prisé par les États-Unis et certains pays européens.
Selon Nahar (25 février 2025), Washington voit en Azour l’homme capable de mener les réformes nécessaires pour stabiliser l’économie libanaise, notamment en matière de réduction du déficit budgétaire, de restructuration du secteur bancaire et d’application des recommandations du FMI. Son éventuelle nomination est perçue comme un gage de crédibilité auprès des créanciers internationaux et des bailleurs de fonds étrangers.
Cependant, le passé d’Azour en tant que ministre des Finances en 2005-2008 suscite la controverse. Sous son mandat, 11 milliards de dollars ont été dépensés sans contrôle public, un scandale financier qui a marqué les institutions libanaises et nourri des soupçons de mauvaise gestion. Cette opacité budgétaire a contribué à la dérive financière du pays et alimente aujourd’hui les critiques contre sa candidature.
De plus, le Hezbollah et ses alliés politiques s’opposent fermement à sa désignation, estimant qu’il représente les intérêts des institutions financières internationales au détriment de la souveraineté libanaise. Ils craignent notamment qu’il impose des politiques d’austérité drastiques et une approche trop favorable aux créanciers internationaux, au détriment des classes populaires.
Firas Abou Nassar : l’option privilégiée par l’Arabie Saoudite
Le second candidat en lice, Firas Abou Nassar, est un expert financier basé à New York, disposant de solides connexions avec les milieux bancaires saoudiens et les fonds d’investissement du Golfe. Son profil international et ses liens étroits avec Riyad font de lui le choix privilégié de l’Arabie Saoudite et de ses alliés libanais.
Selon Al Joumhouriyat (25 février 2025), l’Arabie Saoudite voit en Abou Nassar un candidat capable de rétablir la confiance des investisseurs arabes, condition essentielle pour une éventuelle aide financière saoudienne au Liban. Riyad cherche également à réduire l’influence iranienne et pro-Hezbollah au sein des institutions libanaises, et sa nomination serait perçue comme une victoire stratégique pour le camp pro-souverainiste.
Toutefois, son manque d’expérience dans l’administration publique libanaise et son ancrage majoritairement international constituent des points faibles. Certains députés et économistes libanais estiment qu’il pourrait se heurter à des résistances internes, notamment face à une bureaucratie nationale complexe et politisée.
Nassif Hitti : le compromis possible entre les forces locales et internationales
Le troisième candidat, Nassif Hitti, ancien ministre des Affaires étrangères et diplomate chevronné, est vu comme une option de compromis entre les différentes forces en présence. Son parcours en tant que haut fonctionnaire et ses relations équilibrées avec les grandes puissances en font un candidat plus neutre, capable d’établir un dialogue avec tous les acteurs politiques et économiques.
D’après Al Akhbar (25 février 2025), Hitti bénéficierait du soutien de certains courants souverainistes libanais, ainsi que de la France, qui cherche à éviter un affrontement direct entre les États-Unis, l’Arabie Saoudite et le Hezbollah sur cette nomination. Il incarne une ligne plus diplomatique et institutionnelle, avec une approche qui mettrait l’accent sur la modernisation de la Banque du Liban et la transparence financière.
Cependant, son manque d’expérience directe dans le secteur bancaire pourrait jouer en sa défaveur. Certains experts estiment que le Liban a besoin d’un spécialiste de la finance plutôt que d’un diplomate à la tête de sa banque centrale.
Les défis du futur gouverneur : entre réforme et pressions politiques
Quel que soit le candidat retenu, le futur gouverneur de la Banque du Liban devra faire face à une série de défis majeurs :
- Réforme du secteur bancaire : Après l’effondrement du système financier, la restructuration des banques et le remboursement des déposants sont des priorités essentielles.
- Négociations avec le FMI : L’obtention de financements internationaux dépendra de la mise en place de réformes profondes, incluant des mesures d’austérité controversées.
- Pressions politiques internes : Les tensions entre les différentes factions libanaises compliqueront la mise en œuvre d’une politique monétaire indépendante et cohérente.
- Stabilisation de la monnaie nationale : La livre libanaise a connu une dévaluation massive, et la restauration de la confiance passe par une politique monétaire rigoureuse.
Une décision sous haute surveillance
La nomination du gouverneur de la Banque du Liban sera donc un test de souveraineté pour le Liban, mais aussi un indicateur des rapports de force entre les acteurs internationaux.
Si Jihad Azour est choisi, cela marquera un alignement sur les recommandations du FMI et des États-Unis, avec une approche orientée vers la restructuration économique et la réduction du déficit. Si Firas Abou Nassar est désigné, l’Arabie Saoudite pourrait réinvestir dans l’économie libanaise, mais cela pourrait accentuer les clivages internes avec les forces pro-iraniennes. Enfin, si Nassif Hitti est retenu, cela traduirait une tentative d’équilibre, visant à éviter une polarisation excessive.
Quelle que soit l’issue de ce choix, le Liban restera sous la pression des grandes puissances, chacune cherchant à influencer les réformes économiques en fonction de ses propres intérêts stratégiques.



